Aux origines de la réflexion
L’évaluation de la qualité de vie au travail passe dans la grande majorité des cas par des approches de type diagnostic. Depuis plusieurs années, ces démarches sont pourtant décriées en raison de nombreuses limites. Premièrement, elles reposent souvent sur des expertises externes et mettent peu en dynamique les organisations. Elles entretiennent l’idée que la QVT est un objet échappant aux salariés et devant faire l’objet de décisions centralisées.
Les diagnostics donnent par ailleurs lieu à des plans d’action pluriannuels souvent fondés sur une photographie très contextuelle des conditions de travail, ce qui pose la question de la fiabilité du lien entre les constats et les actions à conduire.
Depuis l’accord national interprofessionnel pour la qualité de vie au travail de juin 2013, les partenaires sociaux et les acteurs institutionnels appellent à des approches plus intégratives de la QVT.
La vision intégrative de la QVT repose en premier lieu sur la pérennité des démarches d’employeur, en opposition avec les démarches opportunistes déployées en réaction à un évènement aigu. Elle repose par ailleurs sur une compétence collective associant l’ensemble des acteurs d’une organisation, ne faisant pas de la QVT l’affaire de quelques experts internes ou externes.
Enfin, une démarche QVT intégrative repose sur la mise en débat des pratiques concrètes favorisant l’amélioration durable de la QVT, indépendamment des perceptions subjectives contextuelles.
Pour donner à ces orientations une assise scientifique, AD Conseil et le laboratoire Qualipsy de l’université de Tours ont mis en œuvre une recherche doctorale soutenue en 2021 et portant sur l’identification des pratiques organisationnelles favorables à la santé psychologiques, aux attitudes et aux comportements positifs des collaborateurs. Cette démarche a reçu en 2022 le prix de thèse international et pluridisciplinaire de la Fondation Anthony Mainguené-CIECST
Cette série de trois articles partage les principaux enseignements de cette approche innovante.
Quelles pratiques pour promouvoir la QVT ?
Le projet doctoral a été initié à partir d’un état des lieux de la recherche scientifique sur le sujet des pratiques favorisant la QVT, ainsi que des recommandations de l’Association Américaine de Psychologie. Il a permis en premier lieu d’identifier huit pratiques organisationnelles implémentables par les organisations pour promouvoir le bien-être psychologique des collaborateurs.
Elles sont qualifiées de « vertueuses » car elles contribuent au fonctionnement optimal et au développement des collaborateurs.
Ces huit pratiques peuvent également être qualifiées de « formelles » dans la mesure où l’organisation les inscrit dans sa stratégie globale et soutient leur mise en application sur le terrain. Elles doivent donc être portées par l’ensemble des membres de l’organisation et à tous les niveaux.
Ce premier résultat a d’ores et déjà fait l’objet d’une publication scientifique dans la revue Frontiers in Psychology.
Les huit familles de pratiques organisationnelles vertueuses
Les pratiques de participation à la prise de décision
Ces pratiques permettent aux collaborateurs d’exprimer leurs sentiments et leurs idées, d’être reconnus, valorisés et responsabilisés par l’organisation, et de mieux s’ajuster aux situations stressantes grâce à un meilleur contrôle de leur environnement professionnel.
Quelques exemples : les réunions de prises de décision, les groupes de résolution de problèmes, les systèmes formels de suggestion (ex. : boîtes à idées), les référendums.
Les pratiques de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle
Détaillées dans l’un de nos précédents articles, ces pratiques confèrent aux collaborateurs de la flexibilité et de l’aide dans l’accomplissement du travail pour satisfaire leurs exigences professionnelles et personnelles, et ce, notamment au travers du choix des horaires, de la durée et de la localisation du travail.
Quelques exemples : le travail à temps partiel, la semaine comprimée, le télétravail, mais aussi les aides financières, la garde d’enfant ou encore le rallongement des congés de maternité et paternité.
Les pratiques de santé et de sécurité
Ces pratiques signalent aux collaborateurs le caractère prioritaire que l’organisation accorde à leur santé et sécurité physique et psychologique. Elles visent à réduire les risques physiques et psychosociaux de l’environnement professionnel susceptibles de leur porter atteinte.
Quelques exemples : veille sociale, programme de prévention du harcèlement au travail, actualisation du DUERP, identification de référent handicap, ergonomie des postes.
Les pratiques de reconnaissance
Ces pratiques permettent aux collaborateurs d’être reconnus pour leurs investissements, leurs efforts, leurs réalisations professionnelles et leurs contributions aux collectifs comme à l’organisation. Elles génèrent du sens à leur activité professionnelle et renforcent leur estime de soi.
Quelques exemples : les félicitations, les biens et les services tels que les congés supplémentaires, la rémunération variable telle que les augmentations de salaire ou les primes, les symboles honorifiques tels que les trophées et les prix.
Les pratiques de gestion de la carrière
Ces pratiques soutiennent la réussite professionnelle des collaborateurs par le développement de leurs connaissances, de leurs compétences et de leur employabilité, et par la mise en correspondance des possibilités organisationnelles avec leurs aspirations.
Quelques exemples : la procédure d’accueil des nouveaux arrivants, les programmes de formation, la GPEC, le coaching et le mentorat, les promotions, les dispositifs de bilan de compétences et de VAE, les programmes de préparation à la retraite.
Les pratiques de communication
Ces pratiques diffusent auprès des collaborateurs une variété d’informations (ex : missions, objectifs, performance financière, productivité, changements majeurs) nécessairement précises, utiles et opportunes, leur permettant de comprendre ce qui est attendu d’eux et de s’adapter plus aisément aux changements organisationnels.
Quelques exemples de canaux de diffusion : les réunions d’information, les emailing avec newsletters, l’intranet, les messageries instantanées, les journaux d’entreprise, les affiches, les blogs et les forums, les réseaux sociaux.
Les pratiques de justice organisationnelle
Ces pratiques promeuvent pour les collaborateurs une rétribution juste adaptée aux contributions de chacun, des procédures de décisions transparentes et une diffusion équitable de l’information dans l’organisation. Elles leur signalent le respect que l’organisation leur attribue.
Quelques exemples : programme de prévention aux discriminations, label « Diversité », politique paritaire, politique salariale transparente, connaissance par tous des critères d’attribution des primes.
Les pratiques de dialogue social
Ces pratiques représentent pour l’ensemble des parties prenantes l’opportunité de mieux comprendre les problématiques organisationnelles, de défendre leurs intérêts respectifs, de participation à la définition des changements et de contribuer à l’amélioration des conditions de travail.
Quelques exemples : les consultations formelles et régulières entre les parties prenantes, les formations dédiées à l’ensemble des membres du comité social et économique, les accords d’entreprise.
Concevoir les pratiques comme un système
Les chercheurs s’accordent à dire que les pratiques organisationnelles ne sont pas indépendantes les unes des autres. Elles s’influenceraient mutuellement et généreraient ensemble un effet qu’ils qualifient de « synergique ». En d’autres mots, leurs effets conjoints sur les collaborateurs serait supérieurs à la somme de leurs effets additionnés.
Cela signifie qu’il est nécessaire de concevoir les pratiques comme un système, dans lequel une petite modification aura potentiellement pour conséquence de modifier l’ensemble.
Concrètement, l’amélioration d’une seule pratique ne doit donc pas être pensée dans son individualité mais doit questionner les effets potentiels sur la cohérence de l’ensemble du système organisationnel et sur les collaborateurs.
La recherche a par la suite été dédiée aux travaux portant sur leurs effets des pratiques organisationnelles vertueuses sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements de ces travailleurs, ainsi que sur l’identification des mécanismes sous-jacents susceptibles d’expliquer ses relations. Nous reviendrons sur ces liens dans les deux prochains articles de cette série.
L’auteure
Julia Aubouin Bonnaventure, docteure en psychologie du travail et des organisations et associée au laboratoire Qualipsy de l’université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Publication scientifique d’origine : Aubouin-Bonnaventure, J., Fouquereau, E., Coillot, H., Lahiani, F. J., & Chevalier, S., : Virtuous Organizational Practices: A New Construct and a New Inventory, Front. Psychol., 13 October 2021
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