La reconnaissance au travail est un facteur essentiel à la santé psychologique et à l’épanouissement des professionnels. Pourtant, Jean-Pierre Brun et Ninon Dugas (2005), chercheurs à l’Université Laval au Canada, constataient que « tant les chiffres que les données qualitatives signalent la présence d’un décalage entre ce besoin de reconnaissance et les pratiques de gestion des ressources humaines mises au point en milieu de travail ».
Ce constat s’explique d’une part par la culture dominante du contrôle dans les organisations du travail et d’autre part par la méconnaissance de la diversité des pratiques dont les managers peuvent se saisir pour reconnaître leurs collaborateurs. Quels sont les effets de la reconnaissance ? Que doit-on reconnaître ? Comment reconnaître ? Et par qui ? Nous vous proposons aujourd’hui un retour sur les fondements scientifiques de cette pratique.
Quels sont les effets de la reconnaissance au travail ?
La reconnaissance professionnelle est levier fondamental de la confiance et de l’estime de soi dans l’exercice de ses fonctions. En effet, elle participe au développement de la croyance que l’on a les capacités pour réussir. Cette pratique permet également au salarié d’être récompensé et valorisé pour sa contribution au collectif de travail (Fall, 2015 ; Grolleau et collaborateurs, 2015).
Pour ces raisons, la reconnaissance au travail est un déterminant de la santé psychologique et comportementale des professionnels. A titre d’illustration, des travaux scientifiques ont démontré que cette pratique était associée à une augmentation de la satisfaction au travail, des expériences de récupération et des comportements de citoyenneté organisationnelle (ex : aider ses collègues en difficultés) (Kooij et collaborateurs, 2010 ; Podsakoff et collaborateurs, 2009).
De plus, parce qu’elle promeut l’engagement affectif et la confiance des travailleurs envers l’organisation d’une part ainsi que leur volonté de faire perdurer leur relation d’autre part, la reconnaissance constitue également un levier essentiel de fidélisation et de rétention des personnels (Uraon, 2018).
Comment faire preuve de reconnaissance ?
La reconnaissance au travail est polysémique et multidimensionnelle, c’est-à-dire qu’il existe plusieurs objets de reconnaissance. Brun et Dugas (2008) ont soutenu que les travailleurs pouvaient être reconnus pour :
- Leurs accomplissements et leurs résultats : il s’agit ici de reconnaître les résultats tangibles du travail tel que la quantité et la qualité des produits, des livrables ou des ventes générés. Cette forme de reconnaissance est aujourd’hui la plus pratiquée dans notre culture.
- Leur performance au travail : il s’agit ici de reconnaître l’expertise, les compétences, les connaissances et les qualifications professionnelles d’une personne dans l’exercice de ses fonctions. Cela renvoie également à la reconnaissance de leur capacité de créativité et d’innovation, mais aussi de résolution de problème.
- Leur implication et leur dévouement : il s’agit ici de reconnaître les efforts et l’engagement dont ils font preuve dans la réalisation de leur travail. Cette forme de reconnaissance est primordiale dans la mesure où les résultats de nos efforts ne sont pas toujours au rendez-vous.
- Leur individualité : il s’agit ici de reconnaître les professionnels dans leur identité propre et de les considérer avec respect et dignité. Cette forme de reconnaissance s’illustre par la considération de leurs contraintes professionnelles et personnelles, en leur attribuant des tâches qui correspondent à leurs capacités et en les tenant informés de la vie de l’organisation.
Comment reconnaître ?
Il existe une multitude de pratiques formelles et informelles visant à reconnaître les travailleurs. St-Onge et ses collaborateurs (2005) ont rapporté que ces derniers pouvaient être reconnus par des appréciations verbales (ex : féliciter et remercier), des attitudes et des comportements de considération (ex : les écouter et recueillir leurs besoins et leurs attentes), des récompenses tangibles financières (ex : primes, augmentations), mais également non-financières (ex : promotions, congés supplémentaires, avantages, cadeaux), des symboles honorifiques (ex : prix, trophées) ou encore par l’amélioration de leurs conditions et de leur environnement de travail.
Lorsque l’on évoque le mot « reconnaissance », les récompenses financières sont souvent les premières idées qui nous viennent à l’esprit. Or, si certaines études ont démontré que le système idéal de reconnaissance est un modèle mixte combinant les récompenses monétaires (ex : salaire au mérite, prime) et non-monétaires (ex : promotion, contenu du travail, flexibilité des horaires) (Stajkovic et Luthans, 2003), d’autres ont conclu que ces dernières prédisaient davantage la motivation et l’engagement affectif des travailleurs que ces premières (Harunavamwe et Kanengoni, 2011 ; Melancon et collaborateurs, 2011). En somme, le recours à la seule reconnaissance monétaire ne se suffit pas à générer le sentiment d’être récompensé.
Par qui ?
Ils existent plusieurs sources de reconnaissance dans l’organisation (Fall, 2015). Chacune d’entre elle joue un rôle dans le sentiment qu’ont les travailleurs d’être reconnu.
- La reconnaissance de l’organisation, aussi appelée « reconnaissance institutionnelle », peut prendre la forme de pratiques organisationnelles formelles et connues de tous (ex : promotion, augmentation du salaire) et doit nécessairement s’accompagner d’une grande transparence vis-à-vis des critères d’attribution.
- La reconnaissance du supérieur, aussi appelée « reconnaissance verticale », peut prendre la forme d’appréciations verbales, de considération et de valorisation au travers par exemple de mots d’encouragement, de félicitations et de soutien lorsqu’ils sont confrontés à des situations de difficulté.
- La reconnaissance des collègues, aussi appelée « reconnaissance horinzontale », peut prendre la forme de remerciements pour la contribution du travailleur aux objectifs collectifs ou encore d’événements organisés en sa faveur (ex : intégration à l’équipe, pot de départ).
La formation de l’ensemble de ces acteurs reste aujourd’hui le meilleur atout de l’organisation pour accroître la compréhension des enjeux et l’utilisation des pratiques de reconnaissance en son sein.
Conclusion
Bien que la reconnaissance soit un facteur déterminant de la santé psychologique et de la satisfaction des travailleurs, les organisations du travail ne s’en saisissent que peu. Pourtant, les pratiques formelles comme informelles sont multiples et peuvent par conséquent s’adapter à divers contextes et besoins. Toutefois, des études le démontrent, les augmentations et les primes ne suffisent pas. La meilleure stratégie reste encore d’instaurer une veille constante sur les besoins des personnels en matière de reconnaissance, de les former et d’implémenter les pratiques qui ont été conjointement choisies.
Auteur
Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
Brun, J.-P., & Dugas, N. (2008). An analysis of employee recognition : Perspectives on human resources practices. The International Journal of Human Resource Management, 19(4), 716‑730. https://doi.org/10.1080/09585190801953723
Fall, A. (2015). Reconnaissance au travail : Validation d’une échelle de mesure dans le contexte des entreprises. European Review of Applied Psychology, 65(4), 189‑203. https://doi.org/10.1016/j.erap.2015.07.001
Grolleau, G., Mzoughi, N., & Pekovic, S. (2015). Work Recognition and Labor Productivity : Evidence from French Data: Work Recognition and Labor Productivity. Managerial and Decision Economics, 36(8), 508‑516. https://doi.org/10.1002/mde.2690
Harunavamwe, M., & Kanengoni, H. (2013). The Impact of Monetary and Non-Monetary Rewards on Motivation among Lower Level Employees in Selected Retail Shops. African Journal of Business Management, 7(38), 3929‑3935. https://doi.org/10.5897/AJBM2012.1381
Kooij, D. T. A. M., Jansen, P. G. W., Dikkers, J. S. E., & De Lange, A. H. (2010). The influence of age on the associations between HR practices and both affective commitment and job satisfaction : A meta-analysis: HR Practices, age, and work-related attitudes. Journal of Organizational Behavior, 31(8), 1111‑1136. https://doi.org/10.1002/job.666
Podsakoff, N. P., Whiting, S. W., Podsakoff, P. M., & Blume, B. D. (2009). Individual- and organizational-level consequences of organizational citizenship behaviors : A meta-analysis. Journal of Applied Psychology, 94(1), 122‑141. https://doi.org/10.1037/a0013079
Stajkovic, A. D., & Luthans, F. (2003). Behavioral management and task eprformance in organizations : conceptual background, meta-analysis, and test of alternative models. Personnel Psychology, 56(1), 155‑194. https://doi.org/10.1111/j.1744-6570.2003.tb00147.x
St-Onge, S., Haines III, V. Y., Aubin, I., & Rousseau, C. (2005). Pour une meilleure reconnaissance des contributions au travail. Gestion, 30(2), 80‑101. https://doi.org/10.3917/riges.302.0089
Uraon, R. S. (2018). Examining the Impact of HRD Practices on Organizational Commitment and Intention to Stay Within Selected Software Companies in India. Advances in Developing Human Resources, 20(1), 11‑43. https://doi.org/10.1177/1523422317741691
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