Santé au travail : quelles compétences doit posséder chaque manager ? 4/4 : Préserver la QVT des managers

18 Jan, 2024

En matière de santé et de qualité de vie au travail, la fonction managériale évolue dans un cadre paradoxal. Les managers opérationnels sont les premiers à devoir gérer les problématiques de santé au travail qui ont des conséquences importantes sur leur quotidien (gestion des absences, climat social, motivation, performance, gestion des restrictions d’aptitude, etc.). 

Pourtant, la santé au travail est rarement considérée comme une compétence centrale du management. Les définitions de poste des managers n’intègrent que rarement une rubrique dédiée aux questions de prévention, de santé et de QVT, et la formation initiale et continue des managers en la matière reste au mieux parcellaire et au pire inexistante.

Soyons clairs, les managers n’ont pas vocation à être des experts de la santé et de la qualité de vie au travail. Les outiller dans ce domaine revient plutôt à leur donner des clés leur permettant d’intégrer les enjeux de santé et de prévention à leur quotidien pour cesser de considérer les contraintes qui y sont liées comme des imprévus ou des aléas et les traiter comme des paramètres prévisibles.

Dans cette série de quatre articles, nous reviendrons sur ces compétences socles que doit posséder tout manager. Nous avons consacré un premier volet aux pratiques managériales préventives, un second aux pratiques curatives et un troisième au socle organisationnel favorisant le développement de ces pratiques vertueuses.

Ce dernier article de la série est consacré aux approches permettant aux managers de se préserver et d’œuvrer en faveur de leur propre qualité de vie au travail.

Quels enjeux de qualité de vie au travail pour les managers ?

Le management ne peut contribuer à l’amélioration de la qualité de vie au travail s’il est lui-même en tension. Partant de ce postulat, il semble essentiel de tenir compte de la spécificité des contraintes managériales et d’identifier des mesures ciblées pour les réguler.

La fonction managériale est soumise à des contraintes bien spécifiques. Contrairement à d’autres métiers, ces contraintes sont relativement similaires selon le secteur d’activité ou la taille de l’entreprise. Cela permet de dresser un tableau global des enjeux de santé et de qualité de vie au travail communs à toutes les personnes exerçant une fonction d’encadrement.

Dans cet article, nous faisons le choix de nous focaliser sur trois contraintes caractéristiques de la fonction managériale : les exigences émotionnelles, les contraintes temporelles, et l’exigence de polyvalence et d’expertises multiples.

Pour chacune de ces contraintes, nous partagerons des pistes de régulation.

“Posture”, “courage managérial” : les exigences émotionnelles des managers

Les managers exercent par nature une fonction de représentation de l’employeur et endossent à ce titre une posture qui ne reflète pas forcément leur propre opinion. Ils sont à l’interface de la volonté d’employeur et des réalités et des besoins des collaborateurs de terrain.

Cette posture de représentation peut conduire à des situations de dissonance émotionnelle potentiellement pathogènes. 

Les exigences émotionnelles sont également fortes lorsque les managers doivent se confronter à des situations humainement difficiles. Réprimander, sanctionner, pointer une insuffisance, arbitrer un conflit, refuser un congé ou une formation : tous ces actes consubstantiels à la fonction managériale ont un impact émotionnel important et peuvent devenir une source d’anxiété et d’appréhension. Ces appréhensions peuvent conduire à des comportements d’évitement eux-mêmes coûteux pour l’estime de soi. 

Contrairement à d’autres métiers où l’exigence émotionnelle est perçue collectivement, les managers vivent souvent ces difficultés dans un isolement qui les accentue. 

Cet isolement s’explique en partie par le poids des doctrines managériales opérées pour former et évaluer les managers. Depuis les années 80, les sciences du management ont progressivement construit le mythe d’une fonction d’encadrement dont l’efficience se jauge à l’aune des compétences de “posture” et de “courage managérial”. 

Illustrations – intervenants et contenus sur le “courage managérial”

Cette construction créé en creux l’image d’un manager inefficace lorsqu’il est incapable de faire face aux exigences émotionnelles. Elle contribue à accentuer le sentiment de culpabilité et l’isolement managérial dans des situations complexes.

La régulation des exigences émotionnelles chez les managers passe avant tout par une révision de nos doctrines managériales qui doivent réhumaniser l’action managériale: un manager en difficulté n’est pas un mauvais manager. L’acte managérial implique au contraire de multiples situations qu’il est humainement difficile de vivre. Le fait de l’admettre permet de rompre l’isolement et de sortir de l’illusion de la résolution individuelle de toutes les problématiques.

Traiter les exigences émotionnelles passe également par une conception collective du management. C’est en faisant corps que les collectifs managériaux peuvent s’entraider, se conseiller et s’apporter le recul nécessaire dans des situations délicates. Instituer des temps de co-développement ou de résolution collective de problèmes représente ainsi une ressource utile dont toute organisation devrait doter ses managers.

Le soutien ascendant est également précieux pour réduire les situations de dissonance émotionnelle. Le manager n’est pas un exécutant sans âme. Il doit pouvoir questionner le bien-fondé des décisions qu’il porte auprès de son équipe, à fortiori lorsqu’il s’agit de décisions supérieures impliquant des difficultés ou vides de sens aux yeux des collaborateurs de terrain. Cela n’est possible que lorsque les gouvernances développent des mécanismes de co-construction de la décision, y associent leurs managers, et restent ouvertes au dialogue en aval de la mise en œuvre des décisions stratégiques.

Se projeter en gérant le quotidien : la double temporalité des managers

La fonction managériale est également caractérisée par sa temporalité distordue. Manager, c’est en quelque sorte vivre dans une forme permanente d’anticipation. Idéalement, le manager planifie, anticipe et donne de la visibilité sur les attendus et le travail à accomplir à son équipe. Cette projection permanente demande une réelle prise de recul. Or, le quotidien de la majorité des encadrants est fait d’aléas, de sollicitations et de demandes immédiates qui rendent difficile cette prise de recul. Beaucoup de managers expriment une réelle difficulté à concilier les exigences de l’immédiateté et le besoin de prise de recul pour planifier et anticiper. 

Plusieurs leviers permettent de réguler les contraintes temporelles. Sur le plan méthodologique, il est nécessaire de mieux outiller les managers en outils et compétences de planification, afin de les accompagner dans la modélisation du travail de leurs équipes et de leur permettre de partager clairement ce qui doit être fait.

Un soin particulier doit également être apporté aux méthodes de travail afin de recentrer la mission managériale sur les tâches à haute valeur ajoutée (planifier, suivre, réguler, communiquer) et non sur la résolution de difficultés du quotidien. Cela passe par plusieurs mesures concrètes comme des temps de déconnexion stables et suffisants, un système de réunion efficient permettant le traitement collectif et périodique des difficultés, ou des outils managériaux d’analyse périodique des remontées immédiates afin d’en tirer des enseignements et de formaliser des procédures permettant leur résolution ultérieure sans intervention managériale.

Ces différentes mesures seront facilitées si les managers ont accès à des appuis internes les accompagnant dans la prise de recul et l’amélioration continue de leurs méthodes de travail.

Des généralistes experts : le poids des missions transverses

La fonction managériale est enfin caractérisée par une importante diversification des missions qui implique une inflation de la charge de travail. Outre les missions “cœur de métier”, les managers opérationnels sont identifiés comme les garants de la mise en œuvre de nombreux objectifs d’employeur. RSE, achats responsables, égalité, handicap, prévention des risques professionnels : tous ces projets transversaux comportent des volets opérationnels qui impliquent un besoin de montée en compétences et de nouvelles missions. Les managers d’aujourd’hui deviennent des généralistes aux expertises multiples. Outre leur hiérarchie directe, ils rendent compte à de nombreux donneurs d’ordre et alimentent de nombreux canaux de reporting.

Le caractère dispersé de ces attentes institutionnelles rend difficile la régulation de la charge de travail managériale et l’harmonisation des attendus auxquels ils répondent. 

L’implication des managers dans les missions transverses – à commencer par la qualité de vie au travail – reste utile. Il n’est en revanche réaliste qu’au prix d’une régulation rigoureuse de leur charge de travail. Dans les grandes organisations, et particulièrement au sein de celles qui adoptent des fonctionnements matriciels, cela implique une concertation continue entre l’ensemble des donneurs d’ordre d’un même manager. L’organisation doit également se doter d’indicateurs de hiérarchisation de l’importance des missions et accorder aux managers une latitude suffisante pour opérer des arbitrages et mettre de côté certaines missions pour éviter la surcharge ou la dispersion.

La question des moyens humains doit également être posée. Il est bien-entendu nécessaire d’associer les managers aux différents chantiers transverses, mais il n’est pas concevable d’en faire les garants. Les organisations doivent ainsi dédier des moyens humains à la mise en œuvre opérationnelle de leurs chantiers transverses (fonctions d’animation, fonctions d’appui méthodologique aux managers, etc.) afin de rendre ces différentes missions soutenables.

Conclusion

Développer un management favorisant la qualité de vie au travail commence peut-être par la prise en considération des enjeux de santé et de QVT propres aux managers. Ceux-ci sont nombreux et très spécifiques. Leur régulation implique une révision de nos modèles de l’efficience managériale et le développement de doctrines davantage ouvertes à l’expression de la difficulté et à sa résolution collective.

La qualité de vie au travail des managers est également tributaire de gouvernances ne considérant pas les managers comme de simples exécutants d’une stratégie préétablie, mais comme une véritable partie prenante de la décision managériale dans un souci de congruence et soutenabilité de la décision.

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Joseph Lahiani

Joseph Lahiani

Psychologue du travail et des organisations

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