Une méthodologie solide
Nous attirions l’attention dans notre dernier article sur l’enjeu majeur que représente la santé mentale dans l’espace de travail français. La publication des résultats de l’étude de la Fondation Pierre Deniker sur la santé mentale des actifs en France ce 26 novembre confirme les tendances alarmantes que de nombreuses parties prenantes soulignent depuis plusieurs années.
Contrairement à de précédentes études dont la qualité méthodologique ou statistique pouvait être légitimement mise en cause, l’étude de la fondation Pierre Deniker a été conduite suivant un protocole rigoureux. 3 200 actifs ont été interrogés. Ils se sont vus administrer :
- Un questionnaire sur la santé mentale, le « General Health Questionnaire » (GHQ28). Un score égal ou supérieur à 24 à ce questionnaire met en évidence la présence d’une détresse psychique orientant vers un trouble mental.
- Un questionnaire d’évaluation des risques psychosociaux, le FRPS 44, regroupant l’ensemble des facteurs de risques énumérés par le Collège d’Expertise Statistique sur le Suivi des Risques Psychosociaux.
Les auteurs ont ensuite étudié les corrélations entre l’indice de santé mentale et l’exposition aux risques psychosociaux.
Un indice de santé mentale alarmant
Selon l’étude, 22 % des actifs présentent une détresse orientant vers un trouble mental, avec une prévalence significativement plus importante chez les femmes (26 % contre 19 %).
Plusieurs facteurs socio-environnementaux contribuent par ailleurs à l’augmentation de la prévalence des troubles mentaux :
- Le fait d’être un aidant
- Un faible niveau de revenu
- Le fait d’avoir connu une période de chômage
- Une mauvaise santé physique
- Un temps de trajet travail-domicile important
- Un impact évident des facteurs de RPS
Un lien évident entre exposition aux RPS et troubles mentaux
L’étude démontre par ailleurs que certains facteurs de RPS contribuent fortement à une prévalence élevée de troubles mentaux. Le manque de soutien entre collègues, la mauvaise qualité de la communication interne ou encore la réalisation d’un travail peu valorisant sont des exemples de facteurs de RPS générant une forte hausse de la prévalence de troubles mentaux.
En effet, la taux d’actifs présentant une détresse orientant vers un trouble mental fait plus que doubler lorsque l’exposition à l’un de ces facteurs de risque est élevée.
Cette tendance se vérifie, dans une moindre mesure, pour la plupart des autres facteurs de risques psychosociaux.
15 propositions pour une réponse à la hauteur des enjeux
L’étude de la Fondation Pierre Deniker est une contribution supplémentaire qui met en lumière l’extrême importance d’agir en urgence en faveur de la santé psychologique des actifs.
Il est plus que temps de considérer la santé psychologique au travail comme un enjeu majeur de qualité de vie au travail, mais aussi de performance, au regard des coûts faramineux qui résultent directement et indirectement de ces atteintes.
Plusieurs leviers concrets doivent être activés :
Au niveau des pouvoirs publics :
- A l’heure où des leviers de croissance sont recherchés, affirmer avec force l’enjeu représenté par la santé psychologique au travail.
- Conférer à la question de la santé mentale chez les actifs une portée interministérielle afin de ne plus en dissocier le volet sanitaire du volet économique.
- Faire évoluer les grilles de lecture obligatoires d’évaluation des risques professionnels afin de mieux prendre en compte les indicateurs de santé psychologique au travail et coupler ces dernier aux indicateurs de performance économique.
- Cesser de segmenter le champ d’intervention sanitaire du champ d’intervention professionnel. Il est aujourd’hui indéniable qu’une dialectique forte existe entre les facteurs socio-démographiques (temps de trajet, habitat, obligations familiales, précarité, etc.) et les conditions de travail. Cet état de fait exige une approche holistique de la prévention et de l’actions curative, considérant l’intégrité des individus comme un tout insécable.
- Reconsidérer les moyens attribués à la recherche sur le champ de la santé mentale. Ils ne représentent aujourd’hui que 4,2 % des dépenses globales de recherche en santé. Ils gagneraient à être indexés sur un ou plusieurs indices d’impact rendant compte de l’ampleur de la problématique (ex. : pourcentage du PIB, part du budget AT/MP de la sécurité sociale, etc.).
- Valoriser les initiatives d’employeur vertueuses en faveur de la gouvernance éthique favorisant la qualité de vie au travail.
- Favoriser des mesures de prévention, d’accompagnement et de prévention renforcées et ciblées en direction des publics les plus exposées (travailleurs de nuit, femmes, travailleurs à faible niveau de revenu, etc.). Ces mesures pourront être soutenues par des leviers incitatifs à la main des pouvoirs publics (ex. : Carsat) ou d’autres acteurs institutionnels (ex. : mutuelles et prévoyances).
- Développer les compétences de prévention et d’accompagnement sur le plan de la santé psychologique au travail chez les acteurs institutionnels de la santé au travail (SIST, Carsat, ARS, etc.).
Au niveau des employeurs :
- Considérer la santé psychologique au travail comme un pilier stratégique de la performance durable des organisations et le traiter en conséquence. Les questions de qualité de vie au travail méritent ainsi d’être considérées comme un sujet transversal de tout comité de direction et non comme un sujet RH ou social connexe. Les travaux scientifiques sur le climat de sécurité psychosociale démontrent d’ailleurs nettement l’intérêt de ce type d’engagement.
- Développer des indicateurs d’activité et de performance intégrant des indices de la santé psychologique au travail.
- Développer la compétence collective en faveur de la santé psychologique au travail.
- Prôner l’exemplarité dans la mise en œuvre des bonnes pratiques favorisant la qualité de vie au travail (ex. : respect de la sphère privée et réduction de la charge numérique).
- Mettre en débat les questions de santé psychologique au travail afin de les démystifier et de libérer la parole autour de ces questions encore taboues.
- Développer les processus de veille sociale permettant d’orienter précocement tout salarié en situation de difficulté.
- Faire évoluer les pratiques internes au gré des évolutions technologiques, en questionnant notamment l’impact du numérique sur la qualité de vie au travail.
Pour en savoir plus : découvrez l’intégralité du rapport de la Fondation Pierre Deniker pour la recherche et la prévention en santé mentale.
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