Reconnaissance, dialogue social, gestion de carrière… Ces « pratiques organisationnelles vertueuses » au travail

15 Déc, 2022

Depuis plus de trente ans, on observe une dégradation des conditions de travail et une altération grandissante de la santé de nombreux salariés français. Cette tendance s’est en outre accélérée à la suite de la pandémie de Covid-19. Les enquêtes récurrentes « Conditions de travail » de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) commandées par le ministère du Travail relèvent en parallèle une multiplication par six des cadences de travail entre 1984 et 2016.

Plus largement, un constat alarmant sur le stress et l’épuisement professionnel vécus par les travailleurs français ressort des bilans dressés par des experts du monde du travail. Mais, quelle est la responsabilité des employeurs face à de tels constats et quel rôle peuvent-ils assumer à ce niveau ?

L’employeur a, selon le Code du travail, l’obligation légale d’assurer la sécurité et de protéger la santé de ses salariés (article L. 4121-1) par la mise en place d’actions préventives (loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991). Les accords institutionnels co-construits avec les partenaires sociaux tels que l’Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 « Qualité de vie au travail » (QVT) et le 4ᵉ Plan santé au travail 2021-2025, recommandent également la mise en œuvre d’actions de prévention primaire « renforcée » pour protéger la santé des travailleurs français.

Mais alors que le cadre juridique définissant la responsabilité des employeurs a été clairement posé, les pratiques déployées sur les terrains en faveur de la santé des collaborateurs demeurent le plus souvent hétérogènes, empiriquement choisies voire parfois même seulement opportunistes. Pourtant, des travaux scientifiques récents permettent aux employeurs d’élaborer une véritable stratégie vertueuse au sein de leurs structures.

Les POV, des actions concrètes

Les « pratiques organisationnelles vertueuses » (POV), que nous avons conceptualisées dans une étude publiée en 2021, désignent des pratiques formelles, c’est-à-dire inscrites dans la stratégie de l’organisation, ayant pour finalité la promotion du bien-être psychologique et de l’épanouissement des collaborateurs.

Elles reposent sur le modèle Psychologically Healthy Workplace de l’Association américaine de psychologie (AAP), qui définit le cadre d’organisations du travail dites « saines » en matière d’amélioration de la santé de leurs salariés. Les POV ont fait l’objet d’une modélisation scientifique récente et de la création d’un outil permettant de les évaluer au travers de huit dimensions, à savoir :

  • les pratiques de participation aux prises de décision, telles que les référendums ou les groupes de résolution de problèmes ;
  • Les pratiques de conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, telles que les horaires de travail flexibles, la possibilité du télétravail ou du temps partiel ;
  • les pratiques de santé et de sécurité, telles que les diagnostics des risques psychosociaux ou les programmes de prévention des accidents du travail, de la violence, du harcèlement au travail ;
  • les pratiques de gestion de carrière, telles que le parcours d’intégration des nouveaux arrivants, les programmes de formation ou les possibilités de mobilité interne ;
  • les pratiques de reconnaissance, telles que les primes, les distinctions professionnelles ou les jours de congés additionnels ;
  • les pratiques de communication organisationnelle, telles que les réunions d’information, la diffusion de newsletters ou la mise en place d’un intranet ;
  • les pratiques de justice organisationnelle, telles qu’une politique salariale transparente, des critères factuels d’attribution des primes et des promotions ou des programmes de prévention contre les discriminations au travail,
  • les pratiques de dialogue social, telles que la consultation des instances représentatives du personnel en amont, pendant et après un changement organisationnel ou pour améliorer les conditions de travail.

Les chercheurs s’accordent par ailleurs à dire que les pratiques organisationnelles ne doivent pas être considérées individuellement mais conjointement puisqu’elles se renforcent mutuellement et ont un effet synergique sur la santé des salariés.

Effets positifs des POV

Les POV dans les organisations du travail peuvent constituer l’origine d’une spirale vertueuse pour les travailleurs et les entreprises concernées. À titre d’exemple, nos travaux démontrent qu’elles sont favorables à différentes dimensions du bien-être psychologique des salariés comme la satisfaction au travail ou la croissance professionnelle (sentiment de se développer au travail).

Précisément, les POV génèrent ce bien-être psychologique chez les travailleurs, parce qu’elles favorisent chez ces derniers le développement de ressources professionnelles et personnelles comme le capital psychologique (sentiment d’auto-efficacité, espoir, optimisme, résilience) et par conséquent facilitent la réalisation de leur travail.

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D’autres études que nous avons menées révèlent également que les POV fidélisent les personnes et les incitent à adopter davantage de comportements favorables au bon fonctionnement de l’entreprise. En effet, les POV constituent un signal pour ces derniers sur les intentions et les objectifs vertueux de leur direction, ce qui renforce chez les salariés le sentiment de partager des intérêts communs avec leur organisation, d’être en adéquation avec ses valeurs et ses objectifs et, de ce fait, d’y être plus étroitement attachés. En conséquence, les collaborateurs témoignent alors d’une plus forte volonté de rester dans l’organisation et s’investissent davantage dans la vie de celle-ci.

Les POV, une réponse au « greatwashing »

Les actions superficielles de « greatwashing » mises en œuvre par un pourcentage accru d’organisations du travail contemporaines ne constituent pas des réponses satisfaisantes aux obligations légales et aux recommandations gouvernementales en matière de protection de la santé des salariés français.

En revanche, la mise en œuvre et l’optimisation des POV dans les entreprises constituent des mesures de prévention primaire directement articulées sur les conditions d’exercice réelles de l’activité professionnelle des salariés pour in fine améliorer leur qualité de vie au travail.

Ces pratiques, fondées sur une modélisation scientifiquement éprouvée, correspondent à des leviers d’actions concrets et aisément implémentables sur les terrains. Reste aux employeurs et plus largement aux organisations du travail à se saisir de ces POV pour promouvoir durablement la bonne santé psychologique et la fidélisation de leurs collaborateurs.

Les autrices

Julia Aubouin-Bonnaventure est Ingénieure de recherche en psychologie du travail et des organisations au sein de l’EE 1901 QualiPsy, Université de Tours
Evelyne Fouquereau est Professeure des Universités en Psychologie du travail, Directrice de l’EE 1901 QualiPsy, Université de Tours
Séverine Chevalier est Maître de conférence en psychologie du travail au sein de l’EE 1901 QualiPsy, Université de Tours

Crédits :

Cet article est reproduit sous licence Créative Commons. La version originale a été publiée sur The Conversation

La recherche présentée par l’article a été co-financée par AD CONSEIL dans le cadre d’une convention CIFRE. Découvrez la publication scientifique d’origine.

Photo de Ryoji Iwata sur Unsplash

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