Dans une récente étude, Ethan S. Bernstein et Stephen Turbandeux, chercheurs à la Harvard Business School, se sont intéressés à l’évolution des collaborations au sein de deux multinationales qui ont transformé la disposition de leur environnement de travail, passant d’espaces de travail individualisés à une configuration de type « open space ».
A l’aide de capteurs spécifique, des badges « sociométriques », ils ont mesuré le nombre et la durée des interactions entre employés avant et après le passage à la nouvelle configuration. Ils se sont également intéressés à la qualité de ces interactions et à leur impact sur la productivité des employés.
Les résultats de l’expérience ont été pour le moins contre-intuitifs : dans les deux entreprises, les interactions directes entre employés ont fortement chuté. Parallèlement, le nombre de communications électroniques a fortement augmenté (56 % d’e-mails en plus).
Les suivi des indicateurs de performance a également permis de mettre en évidence une baisse générale de la productivité.
Quelles explications ?
Les chercheurs expliquent qu’en l’absence de frontières physiques garantissant leur intimité, les salariés ont tenté de préserver cette dernière au travers de comportements leur permettant de s’isoler et de se concentrer (casques, écouteurs, comportements d’attention sélective, etc.). A l’inverse des bénéfices attendus, ces comportements finissent par impacter les collaborations en accentuant l’isolement volontaire des employés.
Par ailleurs, les chercheurs mettent en évidence le fait que le travail en open-space développe chez les employés le sentiment d’être observés, voire surveillés par leurs collègues. Ce sentiment est à l’origine de comportements plus attentistes. Il amène les employés à privilégier des modes de communication plus traçables, dans une logique de justification individuelle, au détriment des comportements de production collective. En somme, les comportements de collaboration spontanée refluent.
Quelles perspectives ?
Au-delà de l’argument économique, la facilitation des échanges a souvent servi d’argument en faveur de la généralisation des open-space. L’étude de Bernstein et Turban a le mérite de remettre en question ce postulat en mettant en évidence l’intérêt des frontières physiques préservant l’intimité des individus. Le lien entre le sentiment d’intimité, la nature et la qualité des échanges, et le niveau général de performance permet également de questionner certains choix économiques.
Il est indéniable que les espaces de travail évoluent inexorablement avec l’apparition de nouvelles formes de collaboration permises par la révolution numérique (télétravail, coworking, etc.). Cependant, à l’heure où les deux tiers des multinationales prévoient d’évoluer vers le « hot-desking » d’ici 2020 (organisation où les employés ne disposent pas de bureaux attitrés), il serait utile, tant pour la qualité de vie au travail que pour la performance des organisations, d’engager des réflexions collectives sur la façon dont ces nouveaux espaces permettrons de préserver une forme d’intimité et un lien individualisé à son propre univers de travail.
Pour en savoir plus : Le détail de l’étude de Bernstein et Turban (ENG)
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