La semaine dernière a eu lieu la 23ème semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Pour cette occasion, nous avons décidé de mettre en lumière les troubles psychiques, bien souvent délaissées par les institutions et les politiques d’entreprise.
Première cause de handicap au travail, les déficiences psychiques souffrent également de nombreuses idées reçues dans l’imaginaire collectif.
Claire Le Roy Hatala, sociologue des organisations et spécialiste sur les problématiques de santé mentale au travail, a accepté de nous parler de son expertise sur les déficiences psychiques et de l’association Clubhouse France qui vient en aide au personnes atteintes de ces troubles.
Pouvez-vous vous présenter et introduire l’association Clubhouse France ?
Je suis sociologue des organisations et je travaille depuis 15 ans sur la question de l’emploi des personnes handicapées psychiques ainsi que sur toutes les questions liées à la santé mentale au travail.
Au cours de mon parcours professionnel, j’ai participé à la création de l’association Clubhouse France. J’ai été par la suite la directrice du premier Clubhouse à Paris. Aujourd’hui, je conseille, accompagne et forme les entreprises, associations, fondations et institutions dans le domaine de la santé mentale au travail.
L’association Clubhouse France au service des personnes souffrant de troubles psychiques
L’Association Clubhouse France a été créée il y a 11 ans par plusieurs personnes dont Philippe Charrier, l’actuel président de l’association. Il avait entendu parler du concept « Clubhouse », né il y a 50 ans aux Etats-Unis, comme un lieu d’accueil pour des personnes vivant avec des troubles psychiques graves. Ce type de lieu permettait à ces personnes de bénéficier d’un accompagnement dans leur réinsertion sociale et professionnelle. A cette époque, on comptait déjà 350 Clubhouses dans le monde mais aucun en France.
Un concept innovant soutenu par les pouvoirs publics
Le but de cette association était d’expérimenter le modèle Clubhouse en France afin de voir si ce dispositif pouvait apporter une aide complémentaire par rapport aux dispositifs de soins et d’accompagnement déjà existant.
Le premier Clubhouse a ouvert il y a maintenant plus de 10 ans à Paris et nous avons eu à cœur de suivre l’évolution et le rétablissement des personnes fréquentant l’association. Les pouvoirs publics nous ont soutenu dès le début, bien qu’intrigués par cette approche innovante. Une dizaine de ministres sont venus visiter les lieux. Nous avons également pu bénéficier de l’aide des ARS (Agences Régionales de Santé) mais cela n’a pas été sans mal.
Grâce à leur soutien et à celui des donateurs, nous avons pu ouvrir trois autres Clubhouses à Lyon, Bordeaux et Nantes. Cette année nous en ouvrons un à Lille.
La principale innovation qu’apporte le Clubhouse est le caractère non médicalisé du lieu. Il n’y a pas de soignants au sein d’un Clubhouse. Il n’y a pas de psychologues, d’ergothérapeutes, d’infirmiers et encore moins de médecins. C’est un lieu de droit commun qui est gratuit pour les personnes qui le fréquentent. Elles sont membres du Club et non des bénéficiaires ou des patients.
Tous les membres participent à la vie du lieu. Chacun peut ainsi apporter son temps et sa compétence pour faire vivre le lieu d’accueil et la communauté d’entraide. Il y a donc beaucoup de soutien entre pairs.
L’un des principaux objectifs est également de soutenir l’insertion sociale et professionnelle de chacun en tissant notamment des liens avec des partenaires extérieurs.
Pourquoi est-il encore difficile de parler des troubles psychiques en entreprise ?
Ce n’est pas facile de répondre à cette question, les freins sont multifactoriels. Deux principales raisons méritent cependant d’être développées.
Le handicap psychique nous renvoie à nos propres enjeux de santé mentale
Il y a un effet miroir qui nous confronte à nos fragilités psychiques et au fait d’avoir une santé mentale changeante.
Nous sommes des êtres vulnérables qui se posent des questions existentielles auxquelles nous n’avons pas de réponse. La confrontation avec la maladie mentale vient réveiller ces questions et nous met dans une position inconfortable.
Historiquement, ces pathologies ont été très stigmatisées. Pendant très longtemps, les personnes malades ont été mises à l’écart. On a ainsi longtemps considérées attribué que les déficiences psychiques étaient dues à des facteurs mystiques (sorts, malédictions) ou à des traits individuels négatifs (faiblesse, dégénérescence, etc.). Ces idées relevaient plus d’un mécanisme de défense et de protection pour mettre à distance des situations où nous nous retrouvons.
Malheureusement, ces représentations de la maladie persistent encore. Il n’y a pas encore si longtemps, les hôpitaux psychiatriques étaient des lieux très fermés, mystérieux et dont on parlait peu. Dans certaines régions, l’hôpital est encore une vieille bâtisse repliée sur elle-même, dont les portes sont très fermés malgré les politiques de santé mentale soutenant leur l’ouverture.
Il y a donc quelque chose de mystérieux, d’inquiétant et de très stigmatisant quand on parle de ces maladies.
Dans le monde de l’entreprise, ces représentations sont encore présentes dans l’imaginaire collectif.
La difficulté de représenter le handicap psychique et les situations qui en découlent
Il est difficile de comprendre ou de traduire les troubles psychiques. C’est un handicap qui est invisible et qui est donc susceptible de fabriquer de la surinterprétation. On peut avoir tendance à exagérer les difficultés ou la pathologie de la personne.
Par ailleurs, ses signes peuvent être très différents d’une personne à l’autre. Il n’y a pas nécessairement de signes extérieurs clarifiant la situation de handicap et cela peut créer des fantasmes ou des incompréhensions.
Comment mobiliser les employeurs pour faire évoluer la prise en charge des troubles psychiques ?
Selon moi, il y a trois axes pour mobiliser les employeurs sur la question des troubles psychiques.
Informer l’ensemble des collaborateurs au sein de l’entreprise
Aujourd’hui, nous manquons d’informations sur ces sujets dans les entreprises. Nous savons par exemple qu’il est important de faire du sport, de faire attention à sa position quand on est devant son ordinateur ou de manger des fruits et légumes. Mais la santé mentale reste peu évoquée alors qu’une personne sur cinq dans la population active est concernée par les troubles psychiques.
Il est primordial de donner des éléments d’information tels que :
- Comprendre que prendre soin de sa santé mentale est tout aussi important que prendre soin de sa santé physique,
- Apprendre à repérer les signes de dégradation de sa santé mentale,
- Connaître les méthodes pour en prendre soin et la protéger,
- Dépasser les idées reçues car, il n’y a pas que les personnes fragiles qui tombent malade
Sensibiliser les managers dans les équipes de travail
Les managers sont souvent démunis face à certaines situations et peuvent se poser de nombreuses questions :
- Comment faire pour aborder un salarié fragilisé par un handicap psychique?
- Quelles actions mettre en place avec les services de santé au travail ?
- Comment aménager un poste de travail ou préparer le retour d’un salarié?
A partir du moment où l’on arrive à mettre des mots sur les difficultés, de créer de la confiance pour aborder ces sujets-là, on dénoue beaucoup de situations très complexes.
Apporter des solutions aux entreprises
Il faut accompagner les entreprises et leur montrer que la maladie psychique n’est pas une fatalité car il existe des solutions pour les salariés en difficulté. Les équipes de travail doivent être aussi accompagnées et formées. Des aménagements de postes peuvent également être envisagés. Mais attention l’ensemble de ces solutions sont possibles sous réserve d’une libération de la parole.
Il faut également rappeler qu’il est normal que les entreprises ne soient pas spontanément à l’aise avec le sujet. Il ne faut pas les condamner pour ça, mais au contraire les soutenir et leur montrer qu’en implémentant un certain nombre d’actions concrètes, on arrive à dénouer des situations réputées inextricables
Lorsqu’on accompagne une entreprise, il faut être capable de jouer sur les différents leviers disponibles : les équipes, les managers et la direction.
Les équipes ont besoin de réponses très concrètes face aux situations difficiles. Les managers doivent être sensibilisés et formés à ces situations avec des messages clairs et simples.
Au plus haut niveau de l’entreprise, il faut enfin qu’un travail d’information, de communication et de mobilisation soit fait sur le sujet pour favoriser des prises de position exemplaires.
Quelles évolutions avez-vous remarqué depuis le début de votre carrière? Et quels sont les points restant à améliorer ?
On pourrait opter pour une lecture pessimiste de la situation car de plus en plus d’organisations sont maltraitantes et la question de la santé mentale n’est toujours pas prise en compte. On constate donc une difficulté à progresser face à cette réalité.
Néanmoins, ce sujet a beaucoup évolué ces dernières années. Personnellement, je vois une vraie différence entre le moment où j’ai commencé à travailler sur ma thèse de sociologie et maintenant.
Je remarque que la question de la santé mentale n’est plus aussi tabou qu’auparavant. Des études ont été menées sur le sujet. Des personnes souffrant de troubles témoignent de leur parcours professionnel dans des grandes entreprises. La loi de 2005 a par ailleurs contribué à la reconnaissance du handicap psychique.
Mine de rien, cette évolution a permis de faire exister le sujet, au même titre que les autres types de handicaps.
Ces dernières années nous avons pris conscience que le travail est un lieu essentiel pour le rétablissement des personnes atteintes de troubles psychiques. Et je pense que nous avons beaucoup évolué sur ce sujet. Aujourd’hui nous sommes conscients du fait qu’il est nécessaire de travailler car il y a un risque majeur de désinsertion professionnelle chez les personnes atteintes de déficiences psychiques.
La France reste néanmoins en retard au sujet du handicap psychique par rapport aux pays anglo-saxon tels que l’Angleterre, le Canada, les Etats-Unis ou encore l’Australie. Ces pays ont développé de véritables programmes d’accompagnement des personnes dans l’emploi, ainsi que des programmes de promotion de la santé mentale. Nous sommes loin d’avoir rattrapé notre retard mais nous avançons progressivement.
L’avis du Blog QVT :
Le témoignage de Claire Leroy Hatala est précieux à double titre : il rappelle d’une part que la prise en charge de la déficience psychique n’est pas exclusivement médicale. Les initiatives non médicalisées mettant les personnes en situation de handicap au centre de leurs parcours telles que le Clubhouse méritent d’être mieux connues et généralisées.
D’autre part, ce témoignage nous rappelle l’importance d’un travail de fond sur les représentations accompagnant la maladie mentale qui demeurent aussi handicapantes que les troubles psychiques proprement dits.
Claire Le Roy Hatala
Claire Le Roy-Hatala travaille depuis 15 ans sur le thème du handicap et des troubles psychiques dans l’emploi. Depuis sa thèse de doctorat, ses travaux de recherche l’ont amenée à se spécialiser sur les problématiques de santé mentale dans les organisations. Elle a travaillé sur la dimension stratégique des politiques du handicap au sein de l’Agence Entreprises & Handicap, puis a rejoint le cabinet de la Secrétaire d’Etats à la Cohésion Sociale, Marie-Anne Montchamp, en tant que Conseiller-Santé mentale.
Elle a dirigé le Clubhouse Paris, structure d’accueil et de rétablissement socio-professionnel pour personnes vivant avec des troubles psychiques graves (basée sur une approche du rétablissement et de l’empowerment), avant de développer un cabinet indépendant sur les questions de santé mentale dans l’emploi.
Claire Le Roy-Hatala intervient dans différents enseignements universitaires : Paris 5, Paris I, le CNAM et Sciences Po Paris. Elle est membre bénévole actif du conseil d’administration de l’association Clubhouse France et milite en faveur de la lutte contre la stigmatisation dont sont les victimes les personnes qui vivent avec des troubles psychiques graves.
Retrouvez sa présentation et ses champ d’intervention et d’accompagnement sur son site web : cliquer ici
Photo by Ehimetalor Akhere Unuabona on Unsplash
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