Dans une récente sortie médiatique, le sénateur macroniste Francis Patriat arguait que « les déménageurs, les couvreurs, sont équipés d’exosquelettes, de matériaux » pour justifier l’absence de prise en compte de la pénibilité de ces métiers dans la future réforme des retraites.
Au-delà de sa maladresse, cette sortie médiatique relaye le postulat largement admis que l’automatisation et la robotisation vont venir à bout des tâches pénibles et de l’usure professionnelle qui en découle. Mais la robotisation implique aussi une transformation des organisations du travail et une nouvelle forme de cohabitation entre les travailleurs humains et les machines. Ces transformations posent de nouveaux enjeux de santé au travail que nous partageons dans ce second article sur l’entreprise digitale après un premier opus consacré au métaverse.
Qu’entend-on par robotisation ?
Un métier est considéré comme susceptible d’être robotisé dès lors que 70 % des tâches qui le composent peuvent être automatisées à l’exclusion des tâches de surveillance et de maintenance. L’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail différencie trois types d’activités robotisées :
Des activités orientées vers l’objet : il s’agit notamment de tâches manufacturières (assemblage, collage, conditionnement, etc.), historiquement présentes dans l’industrie et qui s’étendent de plus en plus à de nouveaux secteurs comme la logistique ou la restauration
Des activités orientées vers la collecte d’information : elles concernent les appareils conçus pour évoluer dans un environnement et capter des informations à l’aide de dispositifs sensoriels (caméras, capteurs thermiques, etc.).
Des activités orientées vers l’interaction : Il s’agit de robots conçus pour interagir avec des humains dans le cadre d’activités quotidiennes. Ces robots sont notamment utilisés dans le secteur de la santé ou dans la restauration.
Chacun de ces champs d’applications peut mettre en œuvre des robots pilotés à distance, préprogrammés pour agir de façon autonome, ou mus par des intelligences artificielles leur permettant de s’adapter et de développer des capacités d’apprentissage. Des IA conversationnelles commencent ainsi à être utilisées dans les hôpitaux et les EHPAD. Le secteur de la logistique fait également de plus en plus appel à des solutions robotisées conduites par des IA.
Dans un article intitulé « The Future of Employment » publié en 2013, les économistes Carl Benedikt Frey & Michael Osborne de l’université d’Oxford ont analysé des données prospectives pour évaluer l’impact de la robotisation et de l’automatisation des tâches. Ils ont établi un modèle mathématique permettant de prédire la probabilité de voir l’humain remplacé par une machine en fonction d’un certain nombre de paramètres dont la variété des tâches, leur caractère prévisible ou le fait de faire appel à des fonctions cognitives supérieurs pour opérer des arbitrages.
Le site web « will robots take my job » propose un simulateur basé sur leurs travaux.
Quels impacts sur la santé au travail ?
L’impact de la robotisation sur la santé travail reste peu documenté. L’automatisation visant à remplacer une activité humaine, il est en effet plutôt admis que les robots tendent à remplacer les humains dans la réalisation de tâches pénibles ou ingrates.
Dans les faits, ce remplacement n’est jamais total. Les périmètres de travail robotisés ne voient pas disparaître leurs travailleurs humains. On assiste plutôt à l’installation d’une cohabitation entre homme et machine qui peut entraîner des conséquences sur le contenu du travail, mais aussi sur la structure des organisations ou les méthodes de régulation et de management.
Dans une étude conduite auprès de travailleurs américains de l’industrie, Osea Guintella, chercheuse en économie à l’université de Pittsburg a mis en évidence des impacts bénéfiques de la robotisation, mais aussi des effets pervers.
Sa recherche a notamment confirmé le fait que la robotisation diminuait le risque d’atteintes physiques. Elle a en revanche démontré que les travailleurs évoluant aux côtés de robots étaient significativement plus exposés aux décès prématurés liés à l’abus de drogues ou d’alcool.
Selon Osea Guintella, ce phénomène s’expliquerait la pression psychosociale induite par la peur chronique de perdre son emploi. La robotisation de l’industrie américaine s’est en effet accompagnée de nombreuses destructions d’emplois, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne où le taux d’emploi industriel est resté stable malgré l’automatisation du travail et où ces impacts sur la santé sont absents.
D’autres retours sur expériences tendent à démontrer que l’automatisation et le contrôle du travail, notamment via des IA, a un effet sur les cadences qui peut se traduire par une augmentation des accidents du travail. Une étude publiée en 2021 par le Strategic Organisation Center, un organisme d’études intersyndical américain, a par exemple montré que le système de production du géant de la logistique Amazon était responsable d’un important taux d’accidents du travail. L’étude a ainsi recensé 6,8 atteintes physiques pour 100 employés en moyenne chez Amazon, contre 3,3 pour 100 employés au sein des entreprises similaires.
Enfin, des travaux récents de l’INRS sur les exosquelettes rappellent que l’efficacité des solutions technologiques passe par leur acceptabilité et leur acceptation par les utilisateurs. Cette acceptabilité dépend de nombreux facteurs comme la facilité d’utilisation, l’attente de performances ou les affects induits par l’interaction avec les machines.
Quels enjeux de prévention ?
Les premières données dont nous commençons à disposer mettent en évidence la complexité des enjeux associés à la robotisation. Elle peut certes améliorer les conditions de travail, mais aussi induire de nouveaux risques professionnels ou des effets pervers inattendus. Dans son rapport de 2022 intitulé « Advanced robotics and automation: implications for occupational safety and health », l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail identifie trois principaux axes de prévention liés à la robotisation devant entrainer une évolution des pratiques.
Des enjeux liés à la prévention des risques physiques : ils englobent la régulation des cadences imposées par les machines pour prévenir les atteintes musculosquelettiques ou la prévention des accidents liés à la cohabitation physiques de travailleurs humains et de robots.
Des enjeux liés à l’organisation : ils soulèvent notamment la question de l’interaction entre les acteurs en charge de l’activité robotisée et les professionnels de la santé au travail. Ils posent également la question de la formation des employés et de la mise en œuvre de systèmes de retour sur expérience permettant de réguler les effets pervers inattendus. Cette dimension intègre enfin le fait d’associer les futurs utilisateurs à la conception et à l’amélioration continue des machines avec lesquelles ils devront interagir.
Des enjeux psychosociaux : il s’agit d’identifier les facteurs de risques psychosociaux potentiellement générés par la robotisation et de pallier leurs conséquences. Cela englobe le fait d’accompagner les transformations, de maintenir un management soutenant et présent et de favoriser la concertation et la participation lors de l’implantation de changements technologiques.
Un article de Fadi Joseph LAHIANI, Psychologue du travail et des organisations et de Clémence DEPRESLE, journaliste pour le Blog QVT |
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