“En EHPAD la notion du temps n’existe pas”
Piera Clément est directrice de l’association AGIR (Association Gérontologique InterRégionale), propriétaire et gestionnaire d’EHPAD dans la région Occitanie. Elle explique avoir créé AGIRTEC avec son équipe, un pôle innovation sélectionné dans le cadre du programme 21 de la Croix Rouge pour l’employabilité et le handicap au travail, en coopération avec l’OETH.
Quelle est votre technologie innovante ?
Il s’agit d’une assistance vocale pour les agents de services hospitaliers employés dans des établissements sanitaires sociaux et médico-sociaux (ESMS). “Jadebot” a été construite sur le terrain en collaboration avec nos équipes d’ASH (Agents de Service Hospitalier). L’idée de départ a été de limiter l’écart entre le travail prescrit par le gestionnaire d’établissement et ce qui est possible de faire sur le terrain.
Comment s’utilise cette assistance vocale dans le quotidien des agents ?
Lorsque l’on a créé l’application, on a fait plusieurs expérimentations dans différents établissements et c’est le personnel de terrain qui a enrichi l’application. On a travaillé sur différentes thématiques, cantonnées à une unique ligne directrice : l’organisation du travail.
L’agent a accès à l’application sur son mobile ou sa tablette. Il peut consulter le déroulé de sa journée, mais c’est lui qui remplit la fiche de tâches, l’accompagnement des résidents et les différents protocoles, induisant la mise en place de son propre rythme. L’objectif de départ est de faciliter le travail, améliorer la communication et simplifier la traçabilité demandée par les établissements. Le second objectif, était un devoir d’équité, en mettant au même niveau le personnel de terrain et les demandes qui sont faites par les établissements et ainsi rétablir la parole des premiers concernés sur ce qui peut être fait et ce qui doit être remis au jour suivant.
Comment vous est venue cette idée de bot communiquant ?
On a ciblé certaines problématiques dans les établissements. Elles avaient un lien commun, puisqu’elles concernaient quasiment à chaque fois le poste d’ASH. On sait que ces difficultés récurrentes ont des conséquences sur le plan humain. À la fois sur la relation avec le soignant, l’habitant qui peut être une personne âgée ou en situation de handicap, et même la famille du patient. En se penchant sur ces problématiques, on s’est rendu compte qu’elles n’avaient aucun outil de travail. Je dis “elles” parce qu’on compte une majorité de femmes ASH et qu’il faut bien les mettre en valeur aussi. Nous avons cherché des solutions sur des logiciels de soins et on s’est rendu compte que ce qui existait n’était pas fait pour accompagner le salarié sur le terrain, mais plutôt un moyen d’avoir une traçabilité pour le gestionnaire. Avec notre application, on change complètement de paradigme. On est sur une valorisation du métier ASH. Cela témoigne de la philosophie d’AGIR quant à l’accompagnement de ses employés, ainsi que la prise en charge des soins pour les résidents. On s’est attelé à travailler avec nos équipes, en organisant une immense veille. Durant ce temps partagé, on a cherché au-delà des logiciels de soins existants. Finalement, une fois l’ensemble des outils réuni, on a constaté qu’ils n’apportaient aucun appui sur le terrain pour les travailleurs. Comme on a une appétence pour l’innovation et qu’on réfléchit depuis quelques années déjà; on avait consulté un collège d’experts en 2016 sur “qu’est-ce que pourrait être l’EHPAD 3.0”. On avait quelques pistes techniques et nous sommes partis sur l’idée que l’assistante vocale serait adaptée à ce corps de métier. Elle permet de travailler en souplesse. Effectivement, on peut communiquer vocalement en envoyant un message, l’employé n’est donc pas contraint d’enlever ses gants.
On a fait différentes expérimentations, 4 au total et on a 100% des utilisateurs comblés par “Jadebot”. En plus de cette innovation, nous avons soulevé la problématique de la valorisation de ces emplois et de la professionnalisation des travailleurs. Pour cela, nous avons mis en place des formations en E-learning, prises en charge par l’OPCO Santé. Un moyen pour nous d’être sur notre cœur de métier, d’accompagner les ASH de manière exhaustive.
Avez-vous des exemples de retours sur expérience pour l’instant ?
Nous avons expérimenté cette innovation dans quatre établissements ainsi que dans deux autres appartenant à la Croix-Rouge, on est d’ailleurs en signature de contrat actuellement. On a commencé à expérimenter dans le cadre de l’appel à un projet de 21croix rouge OETH. Dans ce cadre-là, les établissements gardent l’application, ce qui est un point positif. Dans deux des autres établissements, on a un retour sur une diminution du turn-over.
Le turn-over, c’est ce dont souffre les ESMS (établissements sociaux et médico-sociaux). Mais on constate que sur les postes d’ASH, ce phénomène diminue considérablement après le partage de l’application. C’est un point positif et en même temps largement compréhensible. À partir du moment où on donne un outil à une équipe permettant de l’accompagner, et de s’organiser, elle ressentira bien plus l’envie de s’investir dans son travail.
Cette application vous a valu d’être sélectionnée ?
Effectivement, dans le cadre du programme 21 de la Croix Rouge pour l’employabilité et le handicap au travail, en coopération avec l’OETH. Nous ne sommes pas des industriels, nous sommes une association et à un certain moment, il a fallu qu’on se lance dans l’entrepreneuriat. Nous souhaitons faire bouger les lignes par rapport à ces postes-là. Le métier d’ASH représente 25% des salariés en EHPAD, il est donc primordial. On a donc été légèrement poussé dans l’entrepreneuriat, mais nous gardons avant tout une âme sociale. D’ailleurs, la Carsat Midi-Pyrénées (Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé Au Travail) a reconnue le “Jadebot” comme étant un instrument de prévention primaire. Un outil numérique est nécessaire dans ce domaine, mais il a ses limites. Nous faisons en premier lieu de l’innovation sociale. Cet outil permet de développer la communication inter et intra-équipe et d’avoir un feedback. Mais on va aussi ouvrir humainement la communication en direct avec les équipes pour leur permettre de s’exprimer, c’est ce que l’on préconise quand on forme les équipes sur le terrain. Le tout ne passe pas par l’application. C’est vraiment une base qui s’avère utile et qu’on a envie de garder, mais à côté de ça, il faut assurément développer la communication au sein des établissements.
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