Divertissements au travail : futilité ou véritable levier d’amélioration de la QVT ?

8 Nov, 2019

Depuis une vingtaine d’années, le divertissement connaît un intérêt croissant dans les organisations du travail.

Né dans les années 90 au sein des entreprises de la Silicon Valley, le courant de la ludification au travail a apporté de nombreuses évolutions comme l’apparition de jeux dans l’espace de travail – à commencer par le mythique babyfoot – les activités de team building ou la célébration de certains évènements au travail.

Des entreprises telles que Google ou Walt Disney ont même intégré le divertissement comme un axe stratégique de leur culture organisationnelle. Cette initiative repose sur la conviction fondamentale que le divertissement au travail favorise le bien-être, l’engagement et la performance durable des collaborateurs.

Ces initiatives sont souvent décriées et qualifiées de mesures « cosmétiques » dans la mesure où elles n’ont aucun impact sur la nature du travail ou les conditions de son exercice.

Pourtant, le divertissement au travail a fait l’objet de recherches scientifiques, dont les résultats nous démontrent que la réalité n’est pas aussi tranchée.

Les effets positifs du divertissement au travail

Karl et ses collaborateurs (2007), chercheurs à l’Université du Tennessee, ont démontré que le divertissement sur le lieu de travail était favorable à la santé des collaborateurs. Précisément, il promeut la satisfaction au travail et protège de l’épuisement émotionnel. Les résultats de l’étude ont par ailleurs soulevé que le divertissement soutient le développement de la confiance entre les collègues et leurs supérieurs.

Les travaux de Tews et ses collaborateurs (2012 ; 2013 ; 2014), professeurs en management à l’Université Park en Pennsylvanie, ont quant à eux révélé que le divertissement au travail influe favorablement sur la performance au travail et la rétention des collaborateurs ainsi que sur l’attraction des candidats. Concernant ce dernier point, le divertissement était d’ailleurs aux yeux des collaborateurs un critère plus important que la rémunération ou les possibilités d’avancement dans les annonces de recrutement.

Toutefois, d’autres études ont soutenu que tous les types de divertissement ne se valaient pas et démontré que leurs effets sur les collaborateurs différaient considérablement.

L’importance de la nature de l’activité de divertissement

Plester et Hutchison (2016), chercheuses en science du management à l’Université d’Auckland, ont identifié deux formes d’activités de divertissement :

  • Les activités informelles (aussi nommé « organiques ») : elles se produisent naturellement entre les membres de l’organisation au travers d’interactions spontanées telles que l’humour et les plaisanteries.
  • Les activités formelles (aussi nommé « contrôlées ») : elles sont organisées de manière consciente et stratégique par les responsables dans le but spécifique d’encourager le divertissement et l’engagement des collaborateurs ainsi que d’atteindre les objectifs de l’organisation.

Ces auteures expliquent par ailleurs qu’en théorie, la nature de l’activité représente un facteur fondamental et déterminant dans le degré d’appréciation d’un événement à priori amusant. En pratique, quelques études publiées sur le sujet soutiennent cette idée.

A titre d’exemple, Tews et ses collaborateurs (2014) ont démontré que les activités informelles et le soutien du supérieur pour le divertissement ont des effets plus importants sur la réduction du turnover que les activités formelles.

Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer ces résultats.

Si les activités formelles sont des expériences de courte durée (ayant un début et une fin) et ne représentent pas le quotidien des collaborateurs, les activités informelles sont omniprésentes et continues. Elles traduisent une véritable culture fondée sur des affinités motivées, contrairement aux activités formelles qui restent une prescription.

De plus, les activités informelles permettent d’entretenir des relations sociales plus solides que les activités formelles.

Enfin, selon Fineman (2006), professeur émérite à la School of Management de l’University of Bath en Grande Bretagne, la mise en place d’activités formelles de divertissement pose question car « les gains du divertissement se tirent fondamentalement de sa spontanéité, de sa surprise et souvent de sa subversion » (p. 280). En ce sens, Fleming (2005), professeur à Cambridge, a d’ailleurs démontré que si les activités informelles étaient considérées comme authentiques, les activités formelles étaient perçues comme factices par les collaborateurs.

Les risques associés aux activités formelles

Tenter de créer artificiellement et intentionnellement du divertissement sur le lieu de travail comporte des risques.

Plusieurs chercheurs ont démontré que la participation à des activités formelles de divertissement en milieu de travail pouvait générer des craintes, de la contrariété, de la consternation voire même de la résistance. Ford et ses collaborateurs (2003) révèlent d’ailleurs que les raisons principales de cette résistance sont le manque de temps, les coûts financiers engendrés mais également la peur de paraître idiot et la peur de désapprobation du supérieur.

Warren et Fineman (2007) ont par ailleurs expliqué que certains professionnels pouvaient sentir leur expertise et leur professionnalisme ridiculisés face à certaines activités formelles organisées par l’organisation.

Bien que la mise en place de telles activités soit apparemment anodine, les chercheurs nous avertissent : la création d’un divertissement artificiel peut susciter le cynisme et l’apathie des collaborateurs. Précisément, les activités de divertissements n’ont pas ou peu d’effet positif direct sur les comportements des collaborateurs s’ils perçoivent que leur utilisation peut être associée à des conséquences délétères sur leur carrière.

Enfin, Tews et ses collaborateurs (2012) ont démontré que les activités formelles représentent un risque pour l’organisation qui les promet car le divertissement ne doit pas être forcé si, en réalité, le lieu de travail n’est pas amusant. Si les nouveaux arrivants perçoivent un écart dans les promesses qui leurs sont associées et la réalité, ils feront l’amère expérience d’une brèche du contrat psychologique et auront de plus de probabilités de quitter l’organisation.

Conclusion

L’ensemble de ces travaux scientifiques nous enseignent que même si le divertissement au travail est un facteur favorisant la qualité de vie au travail, l’instauration d’activités formelles de divertissement peut générer des effets délétères pour les collaborateurs.

Les chercheurs mettent ainsi en évidence l’intérêt d’une culture d’entreprise favorisant le divertissement spontané au travers de degrés de liberté réels et d’une hiérarchie ouverte. Ce type d’environnement sera bien plus bénéfique que dans le cas où les collaborateurs sont soumis à des activités divertissantes prescrites, d’autant plus lorsque la réalité du travail est loin d’être ludique.

Auteur

Julia Aubouin Bonnaventure

Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.

 

 

Bibliographie

Fineman, S. (2006). On being positive: Concerns and counterpoints. Academy of Management Review, 31(2), 270-291. https://doi.org/10.2307/20159201

Fleming, P. (2005). Workers’ Playtime? : Boundaries and Cynicism in a “Culture of Fun” Program. The Journal of Applied Behavioral Science, 41(3), 285‑303. https://doi.org/10.1177/0021886305277033

Ford, R.C., Mc Laughlin, F.S., & Newstrom, J.W. (2003). Questions and answers about fun at work. Human Resource Planning, 26(4), 285-303.

Karl, K. A., Peluchette, J. V., & Harland, L. (2007). Is fun for everyone ? Personality differences in healthcare providers’ attitudes toward fun. Journal of Health and Human Services Administration, 29(4), 409-447.

and workplace engagement. Employee Relations, 38(3), 332-350. https://doi.org/10.1108/ER-03-2014-0027

Tews, M. J., Michel, J. W., & Allen, D. G. (2014). Fun and friends : The impact of workplace fun and constituent attachment on turnover in a hospitality context. Human Relations, 67(8), 923‑946. https://doi.org/10.1177/0018726713508143

Tews, M. J., Michel, J. W., & Bartlett, A. (2012). The Fundamental Role of Workplace Fun in Applicant Attraction. Journal of Leadership & Organizational Studies, 19(1), 105–114. https://doi.org/10.1177/1548051811431828

Tews, M. J., Michel, J. W., & Stafford, K. (2013). Does Fun Pay? The Impact of Workplace Fun on Employee Turnover and Performance. Cornell Hospitality Quarterly, 54(4), 370‑382. https://doi.org/10.1177/1938965513505355

Warren, S., & Fineman, S. (2007a). ‘Don’t get me wrong, it’s fun here, but…’ Ambivalence and paradox in a ‘fun’ work environment. In R. Westwood & C. Rhodes (Eds.), Humour, work and organisation, (pp. 92 -112). London: Routledge.

Photo by Alex Rosario on Unsplash

 

 

 

 

 

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