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A l’heure du second confinement général, l’incertitude socioéconomique n’a jamais été aussi forte pour toute une génération de travailleurs. Aux menaces réelles que représentent l’épidémie, le choc économique et l’impact psychosocial des restrictions s’ajoutent les menaces subjectives nées des peurs, de l’usure, de l’isolement ou de la sidération face à ce qui nous dépasse.
Pour celles et ceux qui continuent de travailler, cette situation exceptionnelle n’est pas sans conséquence. Elle aggrave l’exposition aux risques psychosociaux et peut avoir des conséquences psychologiques et organisationnelles importantes et durables.
Pour tempérer tant que faire se peut les effets de cette incertitude prolongée, le rôle du management stratégique et opérationnel est crucial. Dans cette série d’articles, nous exposerons les enjeux managériaux propres aux périodes d’incertitude structurelle et tenterons de partager quelques clés concrètes pour préserver l’intégrité psychosociale des travailleurs.
Le manager opérationnel : premier rempart face à l’incertitude
Dans un contexte incertain, les managers opérationnels sont les premiers à être confrontés aux conséquences individuelles et collectives qui affectent les collaborateurs et les dynamiques de groupe. Ils sont les récipiendaires des peurs, des préoccupations et doivent se battre contre les comportements contre-productifs, les individualismes et les rumeurs.
Paradoxalement, ils subissent souvent la même incertitude que les salariés qu’ils encadrent, et doivent malgré tout maintenir une posture de loyauté vis-à-vis de leur employeur et afficher une attitude constructive et motivante.
Ces situations sont potentiellement génératrices de dissonances qui, lorsqu’elles s’installent dans la durées, impactent la santé et la qualité des pratiques et postures managériales (Llosa et ses collaborateurs, 2018). Il est par conséquent important de les comprendre pour les prévenir.
A quoi fait face un manager opérationnel dans un contexte anxiogène ?
Les contextes incertains sont par nature générateurs d’anxiété. Lorsqu’elle est intense et durable, cette anxiété a des effets délétères sur la santé et les dynamiques collectives (Koutsimani et ses collaborateurs, 2019). C’est à ce titre que le collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail initié par le Ministère du travail considère l’insécurité de la situation de travail comme un risque psychosocial majeur et met en évidence ses effets pervers sur la santé et la performance collective.
La pandémie que nous traversons et ses corollaires économiques et sociaux nous placent aujourd’hui dans un contexte porteur d’une incertitude structurelle. Les managers opérationnels sont donc amenés à composer avec toutes les conséquences humaines d’un tel climat.
Sur le plan individuel, la psychologie sociale démontre que l’incertitude perçue favorise l’individualisme, le repli sur soi et les comportements attentistes. Les managers doivent ainsi faire face au délitement des solidarités et des dynamiques de soutien réciproques.
Ces comportements sont à l’origine de tensions parfois difficiles à dépasser. Il est ainsi fréquent de voir des divisions apparaître, des clans se former ou des individus stigmatisés.
La brutalité et le caractère irréel de certains changements, à l’instar du confinement, sont également à l’origine de phénomènes de sidération entraînant une inertie collective difficile à dépasser.
Par ailleurs, en l’absence d’informations fiables qui induit une difficulté à se projeter, un contexte incertain produira naturellement son lot de rumeurs et de fausses informations. Le mécanisme est simple : lorsqu’une information manque, nous avons tendance à compenser le vide, quitte à propager une spéculation. L’absence de vision stratégique de la part des gouvernances accentue particulièrement ces comportements.
Ce climat peut considérablement affecter la santé des collaborateurs. Les managers feront par conséquence face à de nombreuses situations de fragilité compromettant le maintien dans l’emploi (burnout, troubles anxieux, usure, etc.). Leur rôle de sentinelle en est décuplé.
Quelles pratiques adopter ?
Faire face à un tel contexte est un défi majeur pour tout encadrant opérationnel. Déjà en temps normal, le rôle d’encadrant intermédiaire est par définition délicat, dans la mesure où il est tiraillé entre les orientations impulsées par la gouvernance et les besoins exprimés par les collaborateurs encadrés.
Ce rôle d’interface est exacerbé dans les situations d’incertitude structurelle ou de crise. Il est attendu du manager opérationnel d’afficher une loyauté sans faille vis-à-vis de sa gouvernance lorsque tout le monde doute.
Dans ces situations, il est primordial de prendre un recul suffisant pour se dire qu’un encadrant intermédiaire n’est pas un faiseur de miracle. Il ne pourra soutenir son collectif et prévenir les effets pervers générés par le contexte que si la gouvernance fait preuve d’un positionnement exemplaire et se montre en capacité de donner de la visibilité et conserve sa capacité à prendre du recul.
Si ce prérequis est vérifié, il revient au management opérationnel d’assurer un rôle d’équilibriste peu commode : partager et soutenir la vision d’employeur, tout en prenant le temps d’écouter les préoccupations, sans jamais opposer les deux visions.
Il appartient également au management opérationnel d’assurer un rôle de communication ascendante en informant la gouvernance des craintes, des attentes et des besoins afin de permettre à cette dernière de construire une communication stratégique à la hauteur des enjeux.
Représentant de l’employeur en temps normal, le management opérationnel évolue ainsi vers une posture de médiation en temps de crise. Il conserve toutefois ses prérogatives disciplinaires et se doit d’agir sans délai face à tout comportement contre-productif : les violences, les rumeurs, les comportements de défiance doivent ainsi être jugulés. Il ne s’agit pas de punir, mais de montrer ce que l’on n’accepte pas tout en offrant des alternatives constructives.
Mais avant tout, se préserver
Tenir un tel rôle est émotionnellement exigeant, voire contre-nature. Un manager opérationnel est avant tout un être humain. Il est en proie aux mêmes craintes et aux mêmes doutes que les collaborateurs qu’il encadre, à l’exception près qu’il ne peut se permettre de les exprimer.
Pour préserver l’intégrité des managers et leur permettre de jouer leur rôle, il est indispensable de penser des temps d’échange, d’expression et de soutien réciproque entre pairs. Les difficultés, les craintes, les violences subies et la dissonance perçue doivent pouvoir s’exprimer.
Le principe de soutien ascendant reposant sur une gouvernance exemplaire et à l’écoute est également essentiel. On ne peut demander l’impossible au manager opérationnel si la gouvernance n’est pas en capacité de partager un cap, de soutenir ses cadres, de faire preuve de transparence et transmettre des leviers d’action légitimant le management.
En somme, il est indispensable de considérer la résilience d’une organisation comme le produit d’une chaîne de valeur qui commence par la capacité de la gouvernance à partager une vision stratégique concrète malgré l’incertitude structurelle, puis qui se poursuit au travers des pratiques managériales de proximités favorisant l’écoute, l’information, la régulation et la sauvegarde des soutiens face aux individualismes.
Bibliographie
Montgomery, A. (2019). The Relationship Between Burnout, Depression, and Anxiety : A Systematic Review and Meta-Analysis. Frontiers in Psychology, 10(19), 1-19. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.00284
Llosa-Fernández, J. A., Menéndez-Espina, S., Agulló-Tomás, E., & Rodríguez-Suárez, J. (2018). Job insecurity and mental health: A meta-analytical review of the consequences of precarious work in clinical disorders. Anales de Psicología, 34(2), 211-223. https://doi.org/10.6018/analesps.34.2.281651
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