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Considéré comme un facteur de risque majeur par le collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, l’insécurité de la situation de travail a des effets démontrés sur la santé des travailleurs et la performance collective. Dans le contexte actuel, l’insécurité devient structurelle et le risque perçu intense. Comment dans ce cas prévenir ses effets délétères sur les individus et les organisations ?
Dans cet article, nous allons nous intéresser aux apports de la recherche fondamentale pour répondre à ce défi.
Quels enjeux dans le contexte actuel ?
La dégradation de la situation sanitaire et les confinements successifs ont entraîné une instabilité économique pour les organisations du travail. Pour faire face, celles-ci doivent s’adapter et réaliser des changements conséquents tant sur le plan de l’organisation du travail (ex : télétravail) que sur le plan humain (ex : activité partielle, plans sociaux, etc.).
Cette situation entraîne inévitablement un sentiment d’insécurité professionnelle chez les travailleurs. Or, les études scientifiques démontrent que l’insécurité perçue de l’emploi est associée à une santé mentale détériorée et à une performance altérée. En d’autres mots, si les organisations doivent affronter des difficultés économiques tangibles, elles doivent également payer un coût humain caché.
Pourtant, différents leviers organisationnels et managériaux existent pour atténuer l’effet délétère de l’insécurité perçue de l’emploi sur la santé et les comportements des salariés. Alors qu’en est-il ? Quels enseignements tirés de la recherche scientifique sur le sujet ?
Qu’est-ce que l’insécurité perçue de l’emploi ?
Greenhalgh et Rosenblatt, deux chercheurs pionniers sur le sujet, ont défini l’insécurité perçue de l’emploi comme « une impuissance perçue à maintenir la continuité souhaitée dans une situation d’emploi menacée » (1984, p. 438). Plusieurs éléments sont importants dans cette définition.
En premier lieu, cette insécurité perçue est une perception empreinte de subjectivité. Cela signifie que deux salariés peuvent avoir des perceptions différentes de la même situation professionnelle d’une part et, d’autre part, qu’elle se distingue de la perte effective de l’emploi.
En second lieu, cette notion renvoie à la perception d’une menace potentielle et donc à des inquiétudes liées à une éventuelle perte d’emploi. Autrement dit, l’insécurité perçue de l’emploi est sous-tendue par une incertitude prolongée.
Parce qu’elle se caractérise par un sentiment d’impuissance et une perte de contrôle qui peuvent s’inscrire dans la durée, les chercheurs estiment que cette insécurité perçue est un facteur de stress important préjudiciable pour la santé des travailleurs.
Quels sont les effets de l’insécurité perçue de l’emploi ?
Une série de travaux ont été publiés sur les liens entre l’insécurité perçue de l’emploi et la santé, les attitudes et les comportements des salariés.
En premier lieu, Llosa et ses collaborateurs, ont analysé les résultats de 33 études internationales et ont publié en 2018 des conclusions sans équivoque. Ils ont observé que des salariés se sentant particulièrement menacés par l’insécurité professionnelle, présentaient plus de probabilité de ressentir de l’anxiété, d’éprouver un épuisement émotionnel et d’exprimer des symptômes de la dépression.
Plus inquiétant encore, une autre équipe de chercheurs a démontré, sur un panel 13 études de cohorte (suivi longitudinal de patients) pour un total de 174 438 participants, un lien positif entre l’insécurité d’emploi perçue d’une part et l’insuffisance coronarienne d’autre part (Virtanen et al, 2013). Autrement dit, ce sentiment d’insécurité est associé à la dégradation de la santé mentale comme physique.
Enfin, Sverke et ses collaborateurs (2002), chercheurs à l’Université de Stockholm, ont observé les effets délétères de l’insécurité d’emploi perçue sur la santé, les attitudes et les comportements. Leur travail a révélé que les salariés percevant une haute insécurité, sont moins satisfaits, impliqués et engagés au travail d’une part, et sont moins performants au travail et ont davantage l’intention de quitter l’organisation d’autre part. Les résultats établissent finalement que la confiance portée envers leur organisation est également altérée.
Quels sont les leviers organisationnels et managériaux pour rassurer les salariés ?
Les travaux scientifiques réalisés nous fournissent des pistes concrètes pour réduire la perception de cette insécurité sur les travailleurs.
La communication organisationnelle
En premier lieu, une étude a démontré que cette insécurité perçue était réduite lorsque la communication organisationnelle était largement déployée (Keim et al., 2014). Précisément, une communication suffisamment fréquente et précise auprès des salariés leurs permet d’avoir les informations nécessaires pour analyser et comprendre la situation, ainsi que d’avoir une vision à long terme de l’organisation et de s’y projeter facilement. En d’autres mots, la communication organisationnelle accroît la prévisibilité des futures actions de l’organisation.
La justice procédurale
En second lieu, des chercheurs ont identifié qu’une justice procédurale suffisamment développée au sein de l’organisation était associée à une réduction de l’insécurité perçue de l’emploi (Loi et al, 2012). La justice procédurale renvoie à clarté du processus et des critères de prise de décision. Aussi, lorsque les décisions reposent sur des procédures et des règles éthiques et équitables, les salariés sont plus susceptibles de comprendre le fonctionnement organisationnel, de faire confiance à la ligne managériale et d’estimer qu’ils ne seront pas floués pour des raisons non justifiées.
Le leadership éthique
En troisième lieu, il a été démontré que lorsque le manager adopte un , ses collaborateurs ressentent moins d’insécurité (Loi et al, 2012). Le leadership éthique se caractérise par le respect de standards éthiques, tels que l’équité, l’honnêteté, le respect, la confiance et la clarté dans les décisions. Parce qu’un tel manager donne les informations et les conseils nécessaires à ses collaborateurs, promeut la justice dans ses prises de décision, explique systématiquement ses choix et établit des normes et des attentes explicites et qu’il les respecte, ses collaborateurs lui accordent plus de crédibilité et ont une meilleure prévisibilité sur l’avenir de leur poste.
Par ailleurs, un manager qui dit explicitement la réalité des choses sans tenter de camoufler les revers permet de rassurer les collaborateurs car ils savent qu’ils seront directement informés si une menace survient.
Conclusion
La situation actuelle engendre légitimement des questionnements et de l’incertitude professionnelle. Cette dernière est aussi bien associée à la dégradation de la santé chez les salariés qu’à la détérioration de leur performance au travail.
Pour prévenir les coûts humains et économiques liés à cette insécurité perçue, les organisations du travail peuvent mobiliser des actions concrètes qui promeuvent la prévisibilité des stratégies de l’organisation et le contrôle des salariés sur leur travail.
Si les impacts de la communication organisationnelle, de la justice procédurale et du leadership éthique sont ici démontrés, d’autres facteurs organisationnels peuvent être identifiés directement sur le terrain en questionnant les salariés et en acceptant de mettre le caractère exceptionnel du contexte en débat
Auteur
Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
Greenhalgh, L., & Rosenblatt, Z. (1984). Job Insecurity: Toward Conceptual Clarity. The Academy of Management Review, 9, 438–448. https://doi.org/10.2307/258284
Keim, A. C., Landis, R. S., Pierce, C. A., & Earnest, D. R. (2014). Why do employees worry about their jobs? A meta-analytic review of predictors of job insecurity. Journal of Occupational Health Psychology, 19(3), 269‑290. https://doi.org/10.1037/a0036743
Llosa-Fernández, J. A., Menéndez-Espina, S., Agulló-Tomás, E., & Rodríguez-Suárez, J. (2018). Job insecurity and mental health: A meta-analytical review of the consequences of precarious work in clinical disorders. Anales de Psicología, 34(2), 211. https://doi.org/10.6018/analesps.34.2.281651
Loi, R., Lam, L. W., & Chan, K. W. (2012). Coping with Job Insecurity : The Role of Procedural Justice, Ethical Leadership and Power Distance Orientation. Journal of Business Ethics, 108(3), 361‑372. https://doi.org/10.1007/s10551-011-1095-3
Sverke, M., Hellgren, J., & Näswall, K. (2002). No security : A meta-analysis and review of job insecurity and its consequences. Journal of Occupational Health Psychology, 7(3), 242‑264. https://doi.org/10.1037/1076-8998.7.3.242
Virtanen, M., Nyberg, S. T., Batty, G. D., Jokela, M., Heikkila, K., Fransson, E. I., Alfredsson, L., Bjorner, J. B., Borritz, M., Burr, H., Casini, A., Clays, E., De Bacquer, D., Dragano, N., Elovainio, M., Erbel, R., Ferrie, J. E., Hamer, M., Jockel, K.-H., … For the IPD-Work Consortium. (2013). Perceived job insecurity as a risk factor for incident coronary heart disease : Systematic review and meta-analysis. BMJ, 347(1), 4746‑4746. https://doi.org/10.1136/bmj.f4746
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