Cinq écueils à éviter pour réguler les usages managériaux de la messagerie électronique

22 Mar, 2019

L’impact des usages dérégulés des messageries électroniques sur la qualité de vie au travail est aujourd’hui largement démontré. Plusieurs conséquences sont ainsi largement documentées comme la diffusion de la sphère professionnelle sur la sphère privée, la surcharge informationnelle, les interruptions fréquentes ou encore l’avènement d’une culture de l’immédiateté permanente.

Dans cet article, nous nous intéresserons à une autre facette de l’impact de la messagerie électronique : la prescription de travail. Le mail, qui était initialement un vecteur purement informationnel à l’instar du courrier physique, est en effet progressivement devenu l’outil de prédilection pour « manager ».

Dans la majorité des métiers du secteur tertiaire ou de l’administration, le mail est aujourd’hui le premier vecteur de prescription de travail.

Or, force est de constater que la prescription de travail par mail est à l’origine de nombreuses difficultés, tensions ou dysfonctionnements lorsque ces pratiques ne sont pas raisonnées. Il est donc utile de mettre en lumière les situations qui impactent négativement la performance collective et la qualité de vie au travail afin de les prévenir.

Les écueils du management par mail

1/ Considérer qu’un travail est attribué parce qu’un mail a été envoyé :

Aujourd’hui, de nombreux managers estiment plus ou moins consciemment qu’une tâche a été attribuée ou déléguée à partir du moment où une consigne par mail a été transmise à un collaborateur. Dans les faits, rien ne le garantit. La plupart des travailleurs pâtissent d’une réelle surcharge informationnelle et ne disposent pas de méthodes ou solutions techniques pour traiter ou prioriser les flux de messages entrants.

Ce constat est encore plus prononcé dans les organisations de type matriciel où une même personne peut avoir plusieurs donneurs d’ordre hiérarchiques et fonctionnels.

Par ailleurs, ce mode de prescription du travail supprime le caractère transactionnel du management, où l’objectif, les moyens, les délais et les priorités sont discutés entre managers et subordonnés. En court-circuitant ces temps d’échanges, l’usage du mail supprime ainsi un tampon naturel de régulation de la charge de travail.

2/ Attendre systématiquement une réponse immédiate

La majorité des travailleurs utilisant fréquemment le mail subissent le diktat de l’immédiateté. La prise de recul devient moins aisée et les temps ouvrables de travail sont de plus en plus rythmés par des injonctions à satisfaire immédiatement. En France, les résultats de l’enquête périodique SUMER de la DARES démontrent de façon nette l’inflation des contraintes de demande immédiate.

Paradoxalement, la majorité des professionnels attendent des réponses rapides, voire immédiates, à leurs demandes par mail, et n’hésitent pas à relancer leurs homologues lorsqu’ils estiment qu’ils tardent trop à réagir. Le caractère ultra-réactif de la réponse attendue – voire exigée – s’est en effet progressivement imposé comme une norme, et chacun contribue à alimenter le cercle vicieux de la demande immédiate.

3/ Répartir une mission complexe entre plusieurs personnes

Le mail est avant tout un outil d’information descendante. A partir du moment où une tâche relativement complexe doit être subdivisée entre plusieurs collaborateurs, les choses se compliquent. Le travail à prescrire ne peut se résumer à des segments de tâches à répartir. L’efficience collective passe en effet par une visibilité partagée des articulations, des circuits de validation, du séquençage des tâche ou encore du plan de charge de chaque collaborateur concerné.

Le mail ne permet en aucun cas ces régulations, entraînant dans ce cas de figure de nombreux dysfonctionnements.

4/ Imposer un délai de façon unilatérale

La prescription de travail n’est pas une injonction, mais une transaction entre un hiérarchique exprimant un objectif organisationnel et un subordonné agissant avec ses ressources (compétences, temps disponible, ressources, contraintes, etc.). La réalisation du travail dans un délai optimal est à l’intersection des deux logiques et passe idéalement par un véritable échange argumenté.

Le fait d’imposer un délai sans cette régulation transactionnelle peut contribuer à déréguler la charge de travail réelle, et empêche une planification sereine des flux de travail.

Il devient par ailleurs difficile de susciter l’adhésion lorsque ce registre de communication, pauvre par définition, s’installe dans la durée.

En outre, cette façon de procéder engendre un sentiment de déconsidération dans la mesure où les potentielles contraintes auxquelles font face les collaborateurs sont implicitement niées.

5/ Morceler la prescription de travail

Parfois, les managers prescrivent les tâches relevant d’un même travail en distillant des étapes les unes après les autres. Un projet potentiellement stimulant se transformera ainsi en une succession de consignes par mail sans véritable fil conducteur. Cette situation reflète souvent un phénomène en cascade, où le prescripteur découvre lui-même la démarche en question pas à pas.

Ce type de situation ne permet pas aux collaborateurs d’avoir une vue d’ensemble de leur travail, ni d’en saisir le sens et la finalité, ce qui finit par porter logiquement atteinte à leur engagement.

Quelles bonnes pratiques mettre en œuvre ?

Les écueils que nous décrivons ne sont pas une fatalité. Ils ne sont pas imputables à la messagerie électronique, mais à des comportements bien humains qui tendent à se systématiser du fait d’absence de régulations et de choix opérés par facilité, sans véritable recul sur les flux de travail.

Ces situations où chacun est bourreau et victime peuvent être maîtrisées en sécurisant les espaces de régulation indispensables (système de réunions efficient, temps d’échange physiques autour de la charge de travail, temps dédiés à la présentation globale des projets, etc.).

L’exploration d’alternatives technologiques plus collaboratives que le mail représente également une piste de travail intéressante. Pléthore d’outils collaboratifs ne cessent d’être développés pour répondre à des besoins très différents. Évidemment, ces solutions technologiques ne sont pas miraculeuses et sont toutes porteuses d’écueils. Il ne s’agit donc pas de « bannir le mail » par principe comme certaines organisation l’ont tenté avec un succès mitigé, mais plutôt de diversifier ses outils en prenant de recul sur les besoins de collaboration propres à son organisation.

Par ailleurs, certaines disciplines individuelles et collectives relevant du bon sens méritent d’être rappelées. Il peut être ainsi utile de définir collectivement des délais consensuellement raisonnables pour attendre une réponse à un mail habituel, tout en spécifiant de façon stricte ce qui relève de l’urgence. Le fait de s’astreindre à des temps de déconnexion planifiés et connus de tous, dédiés aux tâches de fond nécessitant une prise de recul, est également profitable et clarifie les normes de segmentation promues par l’organisation.

Ces mesures peu coûteuses ne tiennent qu’à la conjugaison des volontés. L’exemplarité du management, à commencer par les hauts dirigeants, est à ce titre indispensable.

 

 

 

 

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