Restrictions d’aptitude et inaptitude : comprendre et agir

31 Oct, 2018

Chaque mois, nous valorisons les contributions de nos consultants. Aujourd’hui, c’est Christina ARMAND, associée, experte des processus intégrés de veille sociale et de maintien dans l’emploi, qui analyse l’impact des restrictions d’aptitude et des inaptitudes sur les organisations du travail françaises.

Une problématique d’ampleur

En France chaque année, plus d’un million de salariés seraient concernés par des restrictions d’aptitude ou des demandes d’aménagement de poste formulés par le médecin du travail. Par ailleurs, près de 100 000 seraient déclarés inaptes à leur poste de travail chaque année.

Ces chiffres régulièrement cités dans les médias sont des estimations, en l’absence de consolidation officielle nationale. D’autres sources plus alarmistes (les Assises du maintien dans l’emploi – 24 avril 2018) font état de 5 à 10 millions de salariés qui risqueraient d’être licenciés en raison d’un handicap ou d’une maladie impactant la tenue du poste de travail.

En complément, quelques acteurs (certaines DIRECCTE, mutuelles, OPCA, etc.) ont mené des études spécifiques pour mieux connaître les enjeux de leur bassin d’emploi, ou secteur d’activité et/ou de leurs adhérents afin de rechercher des alternatives à ces situations lourdes de conséquences tant pour les individus que pour les structures. C’est le cas notamment de l’observatoire emploi du secteur sanitaire, social et médico-social (UNIFAF – CHORUM), dont l’enquête emploi 2012 met en évidence une augmentation en 5 ans de plus de 90 % des licenciements pour inaptitude.

Ces problématiques de santé ne sont pas les seuls facteurs fragilisant les individus au travail. La sphère privée est également déterminante. Récemment (avril 2018), une étude menée par Malakoff Médéric souligne « une situation de fragilité professionnelle ou personnelle pour plus d’un salarié sur deux ».

Quelles causes ?

Plusieurs facteurs convergent et se combinent pour contribuer à cette tendance haussière des inaptitudes : l’allongement des carrières, , le vieillissement des salariés, l’évolution des caractéristiques et des environnements de travail, l’apparition de nouvelles contraintes (ex. : NTIC) ou encore la diminution des degrés de liberté financiers et organisationnels au sein des entreprises et administrations.,

Le champ de la vie privée entre aussi en considération : les situations de précarité, la problématique des parents isolés et les possibles problématiques gardes d’enfants, les addictions, l’illettrisme qui met en difficulté nombre de professionnels (2,5 millions de personnes illettrées en France, dont 51% en emploi selon l’ANLCI) sont d’autant de facteurs individuels qui fragilisent et mettent à mal la capacité de travail durable des individus.

Quelles conséquences ?

Toutes les organisations, publiques ou privées, sont concernées.

Pour les salariés concernés se pose la question de l’employabilité, la capacité à maintenir une activité professionnelle, retrouver un emploi. Ainsi, près des deux tiers des salariés licenciés pour inaptitude ne retourneraient pas à l’emploi en raison de facteurs de santé, de compétences ou d’âge.

Pour les organisations, au-delà de la responsabilité sociale d’employeur, il s’agit d’un véritable enjeu de performance. De nombreuses sources démontrent ainsi le lien entre la santé, le bien-être des personnels et la performance collective. Parmi les facteurs qui peuvent impacter cette performance, citons notamment l’absentéisme et ses conséquences financières pouvant représenter jusqu’à 17% de la masse salariale (DARES 2010). Ces conséquences de l’absentéisme sont d’autant plus prégnantes  pour les établissements publics qui prennent en charge le traitement des agents absents pour raison de santé, et rend difficile le recours à un remplaçant, générant notamment des problématiques de charge de travail pour les équipes en poste, voire de qualité de service dans certains secteurs.

L’investissement dans la santé au travail impacte également positivement la performance sur plusieurs axes. L’AISS met ainsi en évidence un impact positif de ces investissements à de multiples niveaux: (plus grande motivation des salariés, meilleure qualité des services et des prestations, amélioration de l’image de la structure, innovation dans les produits et les services…).

L’enjeu n’est donc pas philanthropique. Il s’agit plutôt d’une recherche de compromis durable entre la santé au travail, le bien-être des travailleurs et la performance des organisations.

Développer un savoir-faire collectif

Bâtir des organisations pensées comme si l’ensemble des salariés allaient être en bonne santé tout au long de leur carrière devient illusoire. L’idée directrice est de faire du maintien durable dans l’emploi un paramètre intégré au management des ressources humaines de toute organisation. C’est l’objet des processus de veille et de maintien dans l’emploi qui peu à peu apparaissent, mais encore bien trop timidement malgré les enjeux et la complexité des situations.

Au vu de l’ampleur et du développement des restrictions d’aptitude et des inaptitudes, l’objet est de définir une méthodologie pour analyser et résoudre précocement ces situations, et non plus de les traiter de manière empirique, au gré de leur survenue, et souvent dans l’urgence.

Ces processus gagnent enfin à être adossés aux appuis techniques et financiers externes (SIST, professionnels du maintien dans l’emploi, associations spécialisées, etc.). En effet, lorsque la rupture de parcours professionnel est induite par une fragilité personnelle, il est indispensable d’envisager des prises en charge globales, permettant de pallier aux limites du rôle d’employeur.

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