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De nombreuses organisations s’engagent aujourd’hui dans des démarches de prévention des risques psychosociaux (RPS). Pourtant, peu évaluent réellement l’impact des plans d’action qui en découlent. Dans cet article, nous allons explorer différentes alternatives méthodologiques permettant d’évaluer avec fiabilité un plan de prévention des RPS.
Des démarches de plus en plus fréquentes
De nombreuses données scientifiques et institutionnelles convergent pour démontrer l’impact croissant des facteurs de risques psychosociaux sur la santé au travail et la performance des organisations. En 2016, dans son enquête périodique SUMER, la DARES mettait ainsi en évidence que 60 % des salariés français étaient soumis à trois facteurs de RPS ou plus.
En réaction, de nombreux employeurs privés et publics ont entrepris des démarches d’évaluation et de prévention des risques psychosociaux. Certains ont même mené à ce jour plusieurs cycles d’évaluation et commencent à capitaliser une expérience significative.
La plupart du temps, les démarches d’évaluation des RPS sont fondées sur des méthodologies de type diagnostic composées d’évaluations quantitatives (questionnaires) et qualitatives (entretiens) des risques psychosociaux. Elles permettent d’évaluer l’exposition des salariés aux RPS et d’identifier les situations de travail à améliorer pour préserver la santé et la qualité de vie au travail des collaborateurs.
L’évaluation de l’impact : parent pauvre des démarches RPS
Même lorsqu’elles sont fondées sur des méthodologies robustes, ces démarches souffrent d’un écueil : un diagnostic des risques psychosociaux reste un cliché instantané de la perception des salariés à un moment donné de la vie d’une organisation. Cette perception est susceptible d’évoluer au gré du temps, et ce d’autant plus dans le contexte actuel, particulièrement changeant et incertain.
Pourtant, les plans de prévention découlant de ces diagnostics sont souvent pluriannuels. Le déploiement des mesures de prévention s’étale en général sur des périodes allant de quelques mois pour les mesures curatives à plusieurs années pour les mesures préventives les plus stratégiques.
Plusieurs questions légitimes se posent dès lors : les mesures de prévention extrapolées à partir d’un instantané de la vie d’une organisation restent-elles durablement pertinentes ? Et finissent-elles par produire les effets positifs escomptés même en cas d’évolution du contexte ?
Il est difficile de répondre à ces questions sans une mesure d’impact digne de ce nom. Or, force est de constater que l’évaluation de l’impact reste le point faible de nombreux plans de prévention des risques psychosociaux.
Pourtant, plusieurs approches méthodologiques permettent de renseigner les pilotes d’un plan de prévention des RPS sur le caractère bénéfique, nul, voire contre-productif des mesures qu’ils implantent.
L’approche quantitative directe : réitérer la mesure
Le fait de réitérer une évaluation quantitative reste le moyen le plus simple d’observer l’évolution de l’exposition perçue des collaborateurs d’une organisation aux risques psychosociaux. Il s’agit tout simplement de reproduire l’évaluation d’origine de façon périodique pour mettre en évidence des évolutions positives ou négatives. On parle alors de protocoles longitudinaux.
Plusieurs incontournables méthodologiques doivent cependant être respectés pour qu’une enquête longitudinale soit réellement fiable :
Se baser sur un outil d’évaluation valide et étalonné :
Dans le cas des enquêtes questionnaire, il est essentiel d’utiliser des outils robustes. Nous avions partagé dans un précédent article les qualités garantissant la fiabilité d’un questionnaire d’évaluation des RPS.
Deux qualités intrinsèques des questionnaires sont particulièrement utiles dans le cas d’une étude d’impact :
1/ La fiabilité de l’outil, garantissant la cohérence des réponses des répondants dans le temps. Un questionnaire fiable garantit ainsi qu’à situation identique, un individu répondra très probablement la même chose que lors de la première passation. Cette fiabilité n’est possible qu’en utilisant des outils construits sur des bases scientifiques leur conférant une réelle qualité psychométrique.
2/ Le fait de disposer de données sectorielles moyennes à jour, permettant de comparer les résultats de son organisation à celui des organisations similaires (mêmes métiers, mêmes secteurs d’activité, etc.). Cette comparaison est essentielle pour différencier les fluctuations liées au contexte, et donc imputables à la conjoncture, et celles propres à l’organisation et devant donc questionner les situations de travail qui lui sont propres. Même s’il doit toujours être pris au sérieux, un résultat mettant en évidence un risque ne sera pas forcément interprété de la même façon dans les deux cas.
Choisir la bonne périodicité :
L’évolution de la perception du travail se fait sur des temporalités longues. Réitérer une évaluation des risques psychosociaux peu de temps après le déploiement d’un plan de prévention des RPS aura peu de sens.
La bonne périodicité dépend essentiellement de l’opérationnalisation concrète des mesures de prévention. C’est lorsque le travail s’est transformé qu’il convient d’évaluer l’impact, et non lorsqu’une mesure de prévention est décrétée.
L’approche qualitative directe : mettre en débat les mesures avec les collaborateurs concernés
Quoi de mieux pour juger de la visibilité et de la pertinence de mesures de prévention que de questionner les principaux intéressés ? La mise en place de groupes périodiques d’évaluation qualitative est un moyen efficace de questionner l’impact d’un plan de prévention des RPS.
Les méthodologies qualitatives de type « focus-groupe » permettant de sonder un groupe représentatif de collaborateurs sont particulièrement adaptées à ce type d’exercice.
Même si elles ne sont pas quantifiables, ces évaluations donnent du sens au plan d’action et contribuent à entretenir la dynamique autour d’un plan de prévention des RPS.
Pour être pertinentes, elles doivent cependant être mises en œuvre dans un cadre méthodologique et déontologique strict. La représentativité des participants aux groupes d’expression, les méthodes d’animation ou la façon dont sont interprétées les données sont autant de sources de biais possibles.
Par ailleurs, il est essentiel de garantir l’anonymat et la confidentialité des échanges. Seules les tendances globales et représentatives doivent ainsi être retenues.
Ces points de vigilance font des méthodologies qualitatives des outils à manier avec parcimonie, et de préférence avec l’appui de tiers experts.
L’approche indirecte : mesurer les indicateurs corrélés aux risques psychosociaux
Chaque organisation produit de nombreux indicateurs corrélés aux risques psychosociaux. Plusieurs travaux démontrent notamment des liens de cause à effet entre les RPS et l’absentéisme, les événements indésirables, les données d’accidentologie ou encore les restrictions d’aptitude (Hystad et ses collaborateurs, 2011 ; Nahrgang et ses collaborateurs, 2011)
Le fait de suivre de façon périodique ces indicateurs peut ainsi fournir une indication précieuse sur l’effet ou l’absence d’effets de mesures de prévention.
La mesure d’impact indirect ne peut cependant être fiable qu’à l’issue d’un travail préalable de qualification des indicateurs. Comme nous l’avions détaillé dans un précédent article, ils doivent ainsi être récoltés sur des périodicités régulières et homogènes, analysés sous forme de tendances et regroupés en « paquets » permettant de mettre en lumière des phénomènes globaux.
Comme la mesure directe, la mesure d’impact indirecte doit être réalisée à intervalles réguliers et suffisamment espacés pour s’assurer de la mise en œuvre concrètes des mesures évaluées.
Conclusion
Plusieurs protocoles permettent d’évaluer avec fiabilité l’impact d’une plan de prévention desRPS . Ces protocoles sont plus ou moins adaptés aux réalités et marges de manœuvre de chaque organisation. Ils peuvent également se superposer et se compléter.
Il est donc nécessaire que ces méthodologies d’évaluation d’impact soient mises en débat par l’ensemble des parties prenantes d’une démarche RPS dès son lancement afin d’opérer les choix les plus adaptés et d’en faire une suite logique à toute phase d’évaluation. C’est à ce prix que la crédibilité des démarches de prévention des RPS sera durablement garantie.
Bibliographie
Hystad, S. W., Eid, J., & Brevik J. I. (2011). Effects of Psychological Hardiness, Job Demands, and Job Control on Sickness Absence: A Prospective Study. Journal of Occupational Health Psychology, 16(3), 265–278. DOI: 10.1037/a0022904
Nahrgang, J. D., Morgeson, F. P., & Hofmann, D. A. (2011). Safety at work : A meta-analytic investigation of the link between job demands, job resources, burnout, engagement, and safety outcomes. Journal of Applied Psychology, 96(1), 71‑94. DOI: 10.1037/a0021484
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