En matière de santé et de qualité de vie au travail, la fonction managériale évolue dans un cadre paradoxal. Les managers opérationnels sont les premiers à devoir gérer les problématiques de santé au travail qui ont des conséquences importantes sur leur quotidien (gestion des absences, climat social, motivation, performance, gestion des restrictions d’aptitude, etc.). Pourtant, la santé au travail est rarement considérée comme une compétence centrale du management. Les définitions de poste des managers n’intègrent que rarement une rubrique dédiée aux questions de prévention, de santé et de QVT, et la formation initiale et continue des managers en la matière reste au mieux parcellaire et au pire inexistante.
Soyons clairs, les managers n’ont pas vocation à être des experts de la santé et de la qualité de vie au travail. Les outiller dans ce domaine revient plutôt à leur donner des clés leur permettant d’intégrer les enjeux de santé et de prévention à leur quotidien pour cesser de considérer les contraintes qui y sont liées comme des imprévus ou des aléas et les traiter comme des paramètres prévisibles.
Dans cette série de quatre articles, nous reviendrons sur ces compétences socles que doit posséder tout manager. Nous avons consacré un premier volet aux pratiques managériales préventives et un second aux pratiques curatives.
Ce troisième article s’intéresse au socle organisationnel nécessaire pour que ces compétences puissent s’exprimer de façon effective. Le dernier volet sera consacré aux approches permettant aux managers de se préserver et d’œuvrer en faveur de leur propre qualité de vie au travail.
Intégrer la santé au travail aux priorités stratégiques
Depuis plusieurs années, nombre d’organisations et d’acteurs institutionnels soulignent l’intérêt de « sensibiliser » la ligne managériale à différentes thématiques du champ de la santé et de la qualité de vie au travail.
L’expérience montre que ces actions de sensibilisation pourtant coûteuses en temps et en argent ont une efficacité discutable et que leur potentiel de transformation de l’action managériale au quotidien est limité. Autrement dit, il ne suffit pas de rendre les managers « sensibles » à une thématique pour que leurs postures et leurs pratiques évoluent.
Ce constat est loin de refléter un manque d’intérêt managérial pour ces questions. La plupart des managers ont une appétence forte pour les questions de santé au travail et en saisissent les enjeux. Pour comprendre cet état de fait, il faut plutôt s’intéresser au cadre organisationnel dans lequel sont conduites les démarches d’employeur en faveur de la santé et de la qualité de vie au travail. Aujourd’hui encore, peu de politiques d’entreprise revêtent une dimension intégrative les plaçant au cœur des gouvernances. Elles sont plutôt conduites en mode projet et sont déconnectées de la conception qu’a l’organisation de la fonction managériale ou des objectifs managériaux.
Pour bâtir une fonction managériale efficience sur le champ de la santé au travail, il est avant tout nécessaire de définir des objectifs stratégiques en la matière qui se déclinent dans les attentes qu’aura l’organisation vis à vis de l’ensemble de ses strates managériales, à commencer par les hauts dirigeants.
Pour traduire ce principe en actes, il est possible de s’appuyer sur les enseignements de la psychologie du travail et des recherches sur le climat de sécurité psychosociale, puissant prédicteur de la santé au travail auquel nous avions consacré une série d’articles.
Ce concept qui s’intéresse aux facteurs organisationnels favorisant la santé au travail met en évidence quatre familles de pratiques stratégiques :
- L’engagement de l’encadrement à tous les niveaux en faveur de la santé au travail,
- La communication managériale autour du caractère prioritaire de la santé au travail,
- La prise en considération par le management et la gouvernance des retours des salariés concernant la santé au travail
- L’implication de tous les niveaux de l’organisation dans les actions préventives.
Considérer la santé au travail sous l’angle du climat de sécurité psychosociale permet de l’envisager comme une compétence collective et permanente portée par chaque échelon de l’organisation.
Construire une fonction managériale dotée d’un volet santé au travail
Dans la plupart des organisations, la fonction managériale est théorisée pour encadrer des équipes qui seraient perpétuellement efficientes et en bonne santé. Les problématiques de santé au travail (absences, restrictions d’aptitude, fragilités, etc.) sont perçues comme des « aléas » ajoutant une « charge supplémentaire ».
Confrontée aux faits, cette conception du management pose question. Près de 15 % des actifs français travaillent avec un problème de santé chronique selon la DARES et de nombreux indicateurs de santé au travail indiquent une tendance à la dégradation du fait de multiples facteurs comme le vieillissement de la population, la précarisation de nombreux actifs ou les contraintes psychosociales.
Il est donc curieux que des organisations ayant théorisé et parfaitement intégré la notion de taux de disponibilité pour de nombreuses ressources matérielles (flottes automobiles, parc informatiques, etc.) n’appliquent pas à minima ce principe pour planifier et gérer les flux de travail.
Être à la hauteur des enjeux passe par l’inscription de la compétence santé au travail dans la définition de poste des managers, au même titre que leurs autres missions.
Les compétences préventives et curatives que nous avons détaillées dans les deux premiers articles de cette série peuvent ainsi constituer l’ossature d’un bloc de compétences et d’objectifs auquel est tenu tout manager. Ces compétences peuvent être transmises dans le cadre de parcours de formation et évaluées au même titre que les autres objectifs managériaux.
Dans cette même perspective, il serait utile de repenser les formations initiales des futurs managers afin de consolider ces compétences de bases en santé au travail et d’en faire un incontournable pour toute personne appelée à exercer une fonction d’encadrement.
Déconstruire la perception de l’efficience managériale
La fonction managériale s’exerce souvent dans la solitude. Un encadrant est seul face à son équipe et à ses supérieurs. Il est soumis à une pression forte pour atteindre des objectifs parfois antinomiques avec les enjeux de santé au travail.
Aujourd’hui encore, de nombreux managers associent l’apparition de problématiques de santé ou de fragilités au sein de leurs équipes comme une marque d’échec managérial. Ils en craignent les conséquences et les taisent.
Pour faire évoluer les pratiques managériales en faveur de la santé au travail, il est essentiel de déconstruire cette représentation et de rompre l’isolement managérial face aux difficultés générées par les problématiques de santé. Pour y parvenir, les organisations doivent tenir un discours permanent rappelant la fréquence et le caractère habituel de ces problématiques et les décorrélant des pratiques managériales. Avoir des collaborateurs en souffrance n’est pas une tare. C’est même une problématique fréquente, qui ne met pas en cause le management, mais qui l’enjoint en revanche à agir.
L’outil du co-développement managérial est également précieux pour permettre aux managers de partager des problématiques qui restent humainement difficiles, bénéficier des retours d’expérience et du soutien de leurs pairs, et rompre l’isolement.
Conclusion
Construire un management favorisant la santé au travail ne se limite pas à l’apport de compétences ponctuelles au gré des projets RH. Cela dépend avant tout d’un engagement organisationnel fort faisant de la santé au travail une priorité stratégique. Cet engagement permet de reconstruire la fonction managériale en y intégrant un bloc de compétences structuré et formalisé pour intégrer au quotidien les pratiques favorisant la santé au travail.
Enfin, nous devons collectivement déconstruire notre représentation de l’efficience managériale où la dégradation de la santé reste perçue comme un signe de faiblesse managériale.
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