Santé au travail : quelles compétences doit posséder chaque manager ? 2/4 : pratiques curatives

12 Oct, 2023
compétences managériales santé au travail

En matière de santé et de qualité de vie au travail, la fonction managériale évolue dans un cadre paradoxal. Les managers opérationnels sont les premiers à devoir gérer les problématiques de santé au travail qui ont des conséquences importantes sur leur quotidien (gestion des absences, climat social, motivation, performance, gestion des restrictions d’aptitude, etc.). Pourtant, la santé au travail est rarement considérée comme une compétence centrale du management. Les définitions de poste des managers n’intègrent que rarement une rubrique dédiée aux questions de prévention, de santé et de QVT, et la formation initiale et continue des managers en la matière reste au mieux parcellaire et au pire inexistante.

Soyons clairs, les managers n’ont pas vocation à être des experts de la santé et de la qualité de vie au travail. Les outiller dans ce domaine revient plutôt à leur donner des clés leur permettant d’intégrer les enjeux de santé et de prévention à leur quotidien pour cesser de considérer les contraintes qui y sont liées comme des imprévus ou des aléas et les traiter comme des paramètres prévisibles.

Dans cette série de quatre articles, nous reviendrons sur ces compétences socles que doit posséder tout manager. Nous avons consacré un premier volet aux pratiques managériales préventives. Ce second le complète en s’intéressant aux pratiques curatives.

Nous questionnerons dans un troisième article le climat organisationnel à développer pour que ces compétences puissent s’exprimer de façon effective. Nous reviendrons enfin sur les approches permettant aux managers de se préserver et d’œuvrer en faveur de leur propre qualité de vie au travail. 

Quelle posture managériale face à la dégradation de la santé au travail ?

Absences perlées, baisse de la qualité du travail, multiplication des incidents, isolement : de nombreux managers font l’expérience de ces “signaux faibles” préfigurant une rupture de parcours professionnel chez certains de leurs collaborateurs. Beaucoup se sentent démunis et se questionnent à juste titre sur leur légitimité à intervenir, la juste distance à garder ou sur les mesures à mettre en œuvre.

Cette difficulté à se positionner est compréhensible. Nous concevons encore la fonction managériale comme si elle devait s’opérer dans un environnement de travail où tous les collaborateurs seraient en permanence sains et motivés. Le problème de santé est perçu comme un aléa, un imprévu qui perturbe la bonne marche du travail. La santé au travail reste perçue comme une affaire réservée aux professionnels de soutien, relevant de la “vie privée” et débordant de la compétence managériale. Le mantra des “problèmes personnels qui s’arrêtent au seuil de l’entreprise” prospère encore.

Ces conjectures résistent pourtant peu aux données de santé au travail : selon l’enquête conditions de travail de la DARES, 14 % des actifs français travaillent avec un problème de santé chronique. Un actif sur deux déclarera au cours de sa carrière un problème de santé handicapant selon l’AGEFIPH. Ces problèmes de santé sont de plus en plus complexes. Du fait de l’évolution des contraintes professionnelles et sociales, les atteintes psychiques et les pathologies chroniques invalidantes sont aujourd’hui les premières causes de rupture de parcours, là où les atteintes aiguës imputables aux accidents du travail l’étaient il y a plusieurs années.

Malgré les progrès en prévention des risques professionnels, ces tendances stagnent ou s’aggravent selon les secteurs en raison de plusieurs facteurs conjugués (vieillissement des actifs, complexification du travail, précarisation, etc.).

En somme, penser la fonction managériale en dehors du paramètre santé au travail est un vœu pieux. L’apparition de difficultés fragilisant les parcours professionnels est loin d’être un aléa. Chaque manager est aujourd’hui statistiquement certain de composer avec des problématiques de santé au sein de son équipe.

Partant de ce postulat, il est essentiel de mieux définir les prérogatives et les limites managériales face aux difficultés compromettant le maintien dans l’emploi.

Quelle zone de légitimité pour intervenir auprès d’un collaborateur en difficulté ?

Un manager opérationnel est garant de la mise en œuvre individuelle et collective des objectifs de son organisation. Il n’est ni un expert de la santé au travail, ni un professionnel de soutien.

Face à l’accumulation de difficultés significatives chez un collaborateur, le but du manager n’est pas de diagnostiquer ou de solutionner. Il doit en revanche savoir intervenir de façon précoce pour éviter la dégradation de la situation et orienter le plus tôt possible le collaborateur concerné vers les acteurs internes qui pourront proposer des solutions de maintien dans l’emploi (acteurs RH, médecin du travail, etc.).

La juste posture ne passe donc pas par un discours compassionnel, mais par un dialogue franc constatant les impacts de la situation sur le travail et actant le fait que le statu quo n’est pas envisageable. Parallèlement, il est essentiel d’assurer le collaborateur du soutien de son organisation et du fait qu’elle saura mettre en œuvre les solutions utiles pour faciliter son maintien dans l’emploi. Ce premier acte managérial est décisif. Plus il est posé tôt, plus les chances de prévenir une rupture de parcours sont grandes.

Il n’en demeure pas moins humainement difficile. C’est pourquoi il est essentiel d’y préparer les managers, de les accompagner et de les outiller à travers des dispositifs de formation et de co-développement.

Une fois le constat posé, ile collaborateur doit être orienté vers les relais internes adéquats qui pourront proposer des solutions de maintien dans l’emploi adaptées. Pour que ces relais opèrent, les managers devront avoir une bonne connaissance de leurs interlocuteurs internes et des dispositifs qu’ils peuvent solliciter pour orienter les personnes confrontées à des problématiques de santé durables.

De la restriction d’aptitude subie à l’aménagement organisationnel co-construit

L’installation dans la durée d’un problème de santé chez un collaborateur se traduit souvent par des restrictions d’aptitude émises par la médecine du travail. Ces restrictions impliquent des besoins d’aménagement individuels, voire collectifs. Lorsque la restriction implique un report de charge ou de contraintes sur d’autres collègues, elle est susceptible de créer des problèmes d’équité au sein de l’équipe.

Beaucoup de managers sont désarmés face aux avis d’aptitude parfois lapidaires ou peu détaillés. Pourtant, ils ont la charge de la mise en œuvre des aménagements qui en découlent.

Mieux prendre en considération les restrictions d’aptitude passe par une amélioration de la qualité de la collaboration et de la communication directe directe entre les managers et les médecins du travail. Aujourd’hui, le dialogue entre ces deux parties est souvent inexistant, les services RH jouant tant bien que mal le rôle d’intermédiaire. 

Améliorer la traduction des restrictions en aménagements passe par le développement d’outils d’évaluation des contraintes plus fins. Il est également utile de développer de routines interdisciplinaires permettant aux managers, aux acteurs RH et aux professionnels de la santé au travail de travailler de concert à la construction d’aménagements organisationnels opérants et soutenables pour le collectif de travail.

Remettre la santé au centre du discours managérial

Changer notre approche managériale de la santé au travail passe par le développement de cultures où la dégradation de la santé cesse d’être un tabou que l’on cache ou qu’on élude. La fréquence des atteintes justifie au contraire qu’on y consacre un débat constructif où le management a un devoir d’exemplarité. Concrètement, il s’agit d’installer la santé au travail dans la communication managériale au long cours. Cela peut passer se concrétiser à travers des temps d’information, de sensibilisation ou de présentation des dispositifs internes et de rappel des engagements d’employeur.

Le management peut également s’appuyer sur des routines internes comme les entretiens professionnels pour questionner la soutenabilité du travail et inciter les collaborateurs à exprimer leurs besoins d’aménagements sans craintes.

Remettre la santé au centre du discours et de l’action des managers répond à un besoin profond de réhumanisation du travail qui s’exprime largement aujourd’hui. Cela contribue à redonner du sens au travail et à réancrer dans la réalité les doctrines managériales qui s’en sont parfois éloignées en théorisant des organisations ne tenant plus compte de nos vulnérabilités.

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Joseph Lahiani

Fadi Joseph Lahiani

Psychologue du travail et des organisations.

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