La reconnaissance est un élément récurrent du débat public sur la qualité de vie et les conditions de travail. Elle s’impose comme une valeur centrale du management bienveillant pour favoriser la motivation et l’engagement. A l’inverse, l’absence de reconnaissance est souvent invoquée comme un facteur de désinvestissement.
Mais comment définir la reconnaissance au travail ? Et quelles pratiques mettre en œuvre pour la favoriser ?
Cet article propose un retour aux bases du concept de reconnaissance et partage quelques pistes d’action pour la développer à tous les niveaux des organisations.
Les multiples visages de la reconnaissance : des racines historiques à sa résonance au travail
Le terme « reconnaissance » trouve ses origines dans la forme ancienne « reconuisance », telle qu’elle apparaît dans La Chanson de Roland en 1080. Elle est issue du verbe reconnaître initialement employé pour désigner un signe de ralliement ( « ce qui sert à reconnaître ») le mot a donné naissance à l’expression maritime « signaux de reconnaissance » au XVIe siècle.
La notion de reconnaissance acquiert assez tôt deux autres sens différents : l’expression du sentiment de gratitude d’une part (vers 1190), et l’action d’admettre ou d’accepter d’autre part (fin du XIIème siècle). Dans le domaine juridique, la notion au XVIIème siècle pour désigner l’appartenance (« reconnaître que quelque chose nous appartient ») et la responsabilité morale ce qui donne naissance à des expressions comme la « reconnaissance d’un enfant » ou de « reconnaissance de dettes ».
Il est intéressant de constater que la notion de reconnaissance au travail embrasse l’ensemble de cette sémantique : être reconnu au travail, c’est à la fois être visible au sein d’un groupe, recevoir la gratitude d’autrui et être en situation de responsabilité.
Les quatre formes de reconnaissance au travail
La psychologie du travail différencie quatre formes de reconnaissance au travail.
Tout d’abord, la reconnaissance existentielle est liée à la perception d’avoir le droit à la parole, une influence sur les décisions et une attention de la hiérarchie aux suggestions et opinions exprimées. Cette forme de reconnaissance est à l’origine du sentiment d’être considéré et respecté.
En second lieu, la reconnaissance des pratiques de travail concerne l’appréciation des compétences techniques, de l’expertise et du travail effectué par les employés. Elle souligne la compétence et contribue au sentiment de maîtrise et de technicité qui est central dans le développement de l’identité professionnelle.
L’investissement dans le travail est également une forme de reconnaissance découlant de la valorisation des efforts, de l’investissement, voire de la prise de risque dans la réalisation des tâches professionnelles. Au-delà des compétences, cette forme de reconnaissance met en lumière l’investissement personnel.
Enfin, la reconnaissance des résultats se concentre sur l’appréciation du produit du travail et l’expression de la conscience de son utilité et de son efficacité. Cette forme de reconnaissance met en lumière la contribution de l’individu à la performance globale.
La reconnaissance : un puissant vecteur pour développer la qualité de vie au travail
De nombreux travaux scientifiques mettent en évidence les effets bénéfiques de la reconnaissance au travail.
Sur le plan individuel, la reconnaissance contribue ainsi au développement d’une identité professionnelle positive et de l’estime de soi (Dejours, 1993 ; Brun, 2005), à la qualité des expériences de récupération (Kooij & al, 2010 ; Podsakoff & al, 2009), à la motivation et à la satisfaction au travail (Bourcier et Palobart, 1997).
Sur le plan collectif, les travaux d’Amar Fall montrent que la reconnaissance au travail émerge comme un catalyseur essentiel de la justice organisationnelle, c’est à dire du sentiment qu’ont les salariés d’être traités équitablement au regard des efforts qu’ils fournissent.
Par ailleurs, la reconnaissance au travail nourrit significativement le sens accordé au travail. Les salariés qui se sentent valorisés tendent à accorder une plus grande importance à leurs responsabilités, éprouvant ainsi une satisfaction personnelle accrue et reconnaissant davantage l’importance de leur contribution au sein de l’organisation.
Rôle clé de l’encadrement dans le développement de la reconnaissance au travail
L’encadrement opérationnel a un rôle central de développement de la reconnaissance à travers de nombreuses pratiques managériales nourrissant les quatre formes de reconnaissance. Le management peut ainsi favoriser la reconnaissance existentielle à travers les pratiques relationnelles du quotidien, mais aussi en prenant en considération les spécificités, les contraintes et les besoins de chaque collaborateur (horaires, état de santé, contraintes hors travail, etc.). Les managers peuvent également nourrir la reconnaissance liée aux pratiques de travail en valorisant l’expertise et les compétences spécifiques de chaque membre de leur équipe et en définissant des rôles et des missions permettant l’expression de ces spécificités.
La reconnaissance de l’investissement dans le travail passe elle par des postures managériales de valorisation des efforts consentis, notamment lors de situations ou de périodes exceptionnelles. Il ne s’agit pas d’encourager au surinvestissement permanent, mais de souligner les efforts exceptionnels ou les contributions particulières.
Les managers peuvent enfin favoriser la reconnaissance centrée sur le résultat en mettant en évidence la contribution de chaque collaborateur au dessin collectif. Cela passe par des temps formels individualisés, comme les entretiens dédiés à l’appréciation des compétences, mais aussi par des actions plus symboliques où la contribution de chaque collaborateur peut être valorisée devant l’équipe, les partenaires, les usagers ou les clients.
Pour cultiver ces pratiques managériales, il est essentiel d’accompagner les managers à travers des parcours de formation adaptés, de les soutenir au quotidien et de valoriser au plus haut niveau le management fondé sur la reconnaissance.
Collègues organisations, usagers, clients : des contributions diverses et complémentaires pour développer la reconnaissance
Les pratiques favorisant la reconnaissance ne sont pas un pré carré managérial. Organisation, collègues, usagers et clients : toutes les parties prenantes à la chaîne de valeur que sert le travail y contribuent.
Au sein d’un collectif de travail, les collègues peuvent exprimer de la reconnaissance au travers des relations du quotidien, en soulignant les contributions de chaque membre de l’équipe au collectif, mais aussi à travers des actions symboliques montrant l’attachement et l’attention accordée aux collègues (célébration d’évènements particuliers, proposition d’entraide en cas de difficultés personnelles, etc.).
De la part de l’organisation, la reconnaissance s’exprime à travers la politique de rétribution matérielle, mais aussi et des marques de considération non matérielles. Elle passe par exemple par les possibilités offertes de se former, de développer des compétences et des parcours professionnels variés, ou de concilier la vie professionnelle et la vie privée. Favoriser ces pratiques au niveau organisationnel passe par une intégration des enjeux de qualité de vie au travail aux orientations de la gouvernance et par un dialogue social riche et centré sur les besoins des travailleurs.
Enfin, il est utile de souligner le rôle important que peuvent jouer les clients et les usagers dans l’expression de la reconnaissance au travail, à travers les interactions qu’ils peuvent avoir avec les professionnels, les retours qu’ils peuvent faire sur les services qui leurs sont rendus ou l’expression de leur considération pour les contraintes que peuvent rencontrer les professionnels qui les prennent en charge. Il s’agit en somme de faire preuve d’empathie et de reconnaître la personne dans son ensemble au-delà de la fonction qu’elle endosse.
Conclusion
Souvent cantonnée aux pratiques managériales, la reconnaissance au travail est un concept beaucoup plus large qui renvoie à différents niveaux de pratiques où chaque acteur est à la fois contributeur et récipiendaire.
Ses effets bénéfiques méritent d’être rappelés, d’autant plus qu’ils sont pour la plupart déterminés par des mesures accessibles à toute organisation, sans efforts démesurés.
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