Dans le monde du travail, les mesures disciplinaires sont perçues comme antinomiques du bien-être des employés. Pourtant, dans de nombreuses situations, le fait d’affirmer un cadre institutionnel fort est nécessaire au maintien d’un cadre préservant l’intérêt collectif et servant la qualité de vie au travail.
A travers deux études de cas issues de nos retours sur expériences, nous allons mettre en évidence le caractère incontournable du cadre institutionnel pour la protection de la santé et de la qualité de vie au travail.
Cas numéro 1
La situation : Cette situation a pour théâtre un service administratif constitué de six agents au sein d’une Collectivité territoriale. Au sein de ce service, deux agents sont perçus comme privilégiés par l’encadrant car ils réalisent des tâches plus gratifiantes et ont la priorité dans le choix des plannings et des congés. L’encadrant de ce service estime que cette répartition du travail est équitable, dans la mesure où ces agents se sont montré proactifs et ont suivi des formations justifiant leurs missions actuelles.
Au sein de ce service, plusieurs altercations ont eu lieu sans pour autant que l’encadrant prenne partie. Alerté, le service de santé au travail de la Collectivité a mis en œuvre une démarche d’écoute conduite par un psychologue du travail. Cette démarche n’a malheureusement pas eu l’effet escompté et les altercations se sont accentuées.
Notre analyse de la situation : Même si le déséquilibre dans la répartition des rôles au sein du service se justifie par des critères factuels (formation suivie par les agents « privilégiés »), lesdits critères n’ont manifestement pas été validés et expliqués par le management. Les tensions qui émergent s’expliquent donc aisément par le sentiment d’injustice qui découle de la situation. Le fait qu’il n’y ait pas d’arbitrage managérial à l’issue des altercations nourrit le phénomène.
La démarche d’écoute mise en œuvre par le service de santé au travail de la Collectivité a par ailleurs un effet catalyseur dans la mesure où elle renvoie un signal bienveillant aux agents en réponse à leurs comportements pourtant répréhensibles. Elle peut être perçue comme un blanc-seing aux agents pour agir de la sorte.
Que faire ? Bien qu’un travail de fond sur la répartition des rôles au sein de ce service semble indispensable, il est avant tout nécessaire de rappeler les fondamentaux du cadre institutionnel. Aucune situation ne doit ainsi être prétexte à des vexations, des violences verbales ou des comportements déviants.
Le rappel à l’ordre n’a pas vocation à être punitif. Il s’agit plutôt d’expliciter aux agents qu’il existe des moyens institutionnels plus constructifs pour traiter des difficultés perçues. La posture réactive du management et la tolérance zéro face aux comportements violents est donc essentielle.
Enfin, un rappel à l’ordre n’empêche pas d’entamer par la suite un travail de fond sur la répartition des rôles et sur les critères donnant lieu à une différenciation des missions au sein du service.
Cas numéro 2
La situation : Ce second cas se déroule au sein d’un service support d’une entreprise du secteur bancaire. Au sein de ce service, les travaux en mode projets connaissent des retards chroniques. Un mode de travail dans l’urgence s’est généralisé. Tous les acteurs contribuent à la situation. Les échanges se font essentiellement par mail, et le ton employé pour les correspondances électroniques est souvent peu amical, voire brutal.
La plupart des salariés n’arrivent pas à se consacrer à leurs tâches « de fond » pendant les horaires ouvrés et ne font que répondre à des sollicitations urgentes.
Il est fréquent que certains salariés soient relancés par mail, voire par SMS, pendant les week-end ou au cours de leurs congés pour transmettre des données à leurs homologues ou à leurs hiérarchiques.
Tous les salariés se plaignent de la situation, mais tous avouent y contribuer, à commencer par le top management.
Notre analyse de la situation : Cette situation est malheureusement caractéristique du fonctionnement de nombreux services support gangrénés par le flux informationnel. Il ne s’agit pas d’une problématique liée aux TIC à proprement parler, mais plutôt d’une difficulté à réguler les comportements individuels et collectifs.
Le fait que le management ne réprime pas des comportements ouvertement déviants (messages violents, sollicitations hors travail), voire y contribue, encourage l’installation d’une norme déviante où cette façon de travailler se banalise et se généralise, au détriment de la performance collective et de la santé des salariés.
Que faire ? Dans ce type de situation, l’exemplarité du top management est primordiale. La régulation des comportements est en effet à la portée de toute organisation, sous réserve d’un cadre institutionnel solide porté par l’ensemble de la chaîne hiérarchique.
Il est ainsi essentiel de formaliser des règles régissant les échanges en mode projet (délais, modes de communication, relances, etc.) et, surtout, de s’y tenir et de dissuader tout comportement contre-productif. L’exemplarité et l’intransigeance qu’affichera le management face aux comportements déviants est à ce titre cruciale pour envoyer un signal fort à propos de la solidité des normes institutionnelles garantissant la qualité de vie au travail et la performance durable.
Conclusion
Dans le champ de l’amélioration de la qualité de vie au travail, le management bienveillant et à l’écoute est souvent montré en exemple.
Au travers des deux précédentes études de cas, il est aisé de constater que cela n’est vrai que si les managers sont également en capacité de se positionner de façon réactive et impartiale lorsque des arbitrages sont requis. Un manager est en effet garant du cadre institutionnel régi par des règles qui gagnent à être transparentes et équitables.
Pour que cette posture managériale soit tenable, il est en outre nécessaire que les institutions donnent la latitude et les outils nécessaires aux managers pour qu’ils agissent, tout en les soutenant dans les situations où les postures sont difficiles à affirmer, afin de démontrer la solidité du collectif institutionnel dont le manager n’est qu’un représentant.
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