La prévention des risques professionnels a beaucoup progressé ces dernières années et des effets tangibles sont observables dans plusieurs secteurs d’activité.
Cependant, force est de constater que le taux de travailleurs français en restriction d’aptitudes est en augmentation.
La DARES estime aujourd’hui à près de 10 % la part des actifs français présentant un problème de santé chronique impactant leurs quotidien. Ces difficultés affectent plus fortement les travailleurs les moins qualifiés.
Ces problématiques de santé sont loin d’être imputables au travail uniquement. Elles sont en grande partie liées à un double effet démographique : l’allongement de la durée de vie au travail, qui vient se combiner avec le vieillissement des actifs français.
En sommes, nous sommes une société d’actifs vieillissants et amenés à travailler de plus en plus longtemps.
Quand les problématiques se superposent
Les actifs les moins qualifiés sont statistiquement les plus touchés par des problématiques de santé chronique pour des raisons diverses, (soutenabilité du travail, pénibilité, horaires, hygiène de vie inversement proportionnelle aux ressources, etc.).
Aux problèmes de santé viennent parfois se superposer d’autres problématiques (logement, garde d’enfants, temps de trajet, etc.). L’impact de ces situations est de plus en plus tangible ces dernières années, dans un contexte économique tendu fragilisant les travailleurs les moins qualifiés.
Toutes ces difficultés ont trois points communs :
- Elles relèvent de la sphère privée,
- Elles impactent pourtant significativement le travail de l’individu, mais aussi celui de son collectif proche,
- Elles préfigurent des ruptures de parcours professionnels dans de nombreux cas.
Des organisations peinant à se positionner
Au cours du XXème siècle, la culture du travail française s’est progressivement détachée de son volet « social » où l’appui aux individus fragilisés était intimement associé à la responsabilité sociale d’employeur.
Nous sommes ainsi passé depuis l’après-guerre d’une une culture du travail paternaliste – au risque de s’immiscer dans l’intimité des individus – à une culture totalement centrée sur la sphère professionnelle et niant parfois les réalités individuelles. Certaines écoles des sciences du management ont popularisé la doctrine bien résumée par l’adage auto-prophétique « les problèmes personnels s’arrêtent au seuil de l’entreprise ». L’encadrement opérationnel a par ailleurs été formé à pratiquer un management ne tenant pas compte des difficultés issues de la sphère privée.
Pourtant, face au caractère systémique des problématiques que nous décrivions, beaucoup d’employeurs sont aujourd’hui désemparés. Ils sont en effet amenés à traiter des situations individuelles de plus en plus nombreuses – et coûteuses – où ils ne disposent ni des compétences, ni des marges de manœuvres nécessaires.
La plupart du temps, ces fragilités individuelles sont traitées au cas par cas, et ne sont véritablement prises en considération que lorsque l’impact sur le travail et les proches est devenu intenable.
A ce stade, il y a souvent peu d’alternatives au licenciement pour inaptitude ou à l’arrêt maladie de longue durée dans le meilleur des cas.
La fonction de veille sociale : une pratique organisationnelle
La notion de veille sociale émerge d’un postulat simple : partant du principe que dans une organisation du travail, il y a aura quoi qu’il arrive un nombre significatif d’individus en difficulté chronique, il importe de traiter ces situations de façon systémique et non comme une exception ou une fatalité.
Les systèmes de veille sociale visent ainsi à construire des processus permettant à l’organisation d’être attentive et réactive :
- Attentive en permettant de proposer une orientation et un appui personnalisé aux individus dès les premiers prémisses d’une rupture de parcours,
- Réactive en favorisant le travail interdisciplinaire et décloisonné des acteurs clés du maintien dans l’emploi (encadrement, acteurs RH, professionnels de soutien à commencer par la médecine du travail, appuis externes) autour de chaque situation afin de trouver rapidement des solutions d’aménagement adaptées dans la durée.
Managers opérationnels : une posture à construire
Dans notre culture managériale, un paradoxe mérite d’être souligné : les managers opérationnels sont les premiers à détecter les signes préfigurant une rupture de parcours chez leurs subordonnés. Ils en supportent également les conséquences et composent avec ces contraintes au quotidien. Or, ces mêmes encadrants sont la plupart du temps peu – voire pas du tout – formés aux enjeux de santé au travail.
Beaucoup de managers sont ainsi sont démunis et confrontés à un dilemme délicat : d’une part, on leur inculque que leur posture ne doit pas prendre en compte les considérations d’ordre privée, et, d’autre part, on leur demande de composer au quotidien avec les difficultés vécues par certains de leurs subordonnés.
Nombre de managers sont ainsi mal à l’aise face à des situations qu’ils ne savent aborder frontalement. Le malaise est d’autant plus grand face à des situations particulières comme la maladie psychique ou les addictions. Or, ces affections seront d’ici 2020 parmi les premières causes de handicap selon l’OMS.
La question du maintien dans l’emploi étant systémique, Il est essentiel que le management opérationnel soit accompagné et outillé afin de développer une réelle compétence et une posture adéquate face à ces situations. Quel discours tenir, vers qui orienter les salariés, sur qui s’appuyer pour construire une solution durable, et surtout quelles limites ne pas franchir pour respecter l’intégrité des salariés ? Telles sont les premières questions auxquelles répondre afin de transmettre aux encadrants une réelle compétence de veille qui permet de soutenir un processus efficient.
Un enjeu de performance durable
Loin d’être fastidieux, le processus de veille sociale ouvre la porte à une réelle synergie des efforts autours de situations très chronophages lorsqu’elles sont traitées en aval, et au cas par cas.
Il favorise la confrontation de logiques différentes entre les acteurs du maintien dans l’emploi dans une recherche du meilleur compromis possible au bénéfice du salarié, mais aussi de l’employeur.
De plus, les processus de veille ont un impact préventif significatif. Les entreprises ayant mis en œuvre une cellule de veille sociale capitalisant les alertes et favorisant la recherche pluridisciplinaire de solutions diminuent jusqu’à un tiers le taux d’absences chroniques et d’inaptitudes.
Enfin, il est indéniable qu’une politique de veille sociale affichée et assumée par l’employeur a un effet réel sur le climat de sécurité psychosociale. C’est une façon pour l’employeur de démontrer qu’il est attentif à chacun de ses travailleurs et qu’il les considère dans leur intégrité, tout en respectant leur intimité.
Pour en savoir plus sur l’articulation des démarches préventives et de la veille sociale : « Maintenir en emploi ou soutenir le travail ? La place de la santé au fil des parcours professionnels », une publication de l’INRS (2018).
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