Leadership féminin : Dépasser les stéréotypes de genre

1 Juil, 2020
Leadership féminin

« C’est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle ; c’est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète. »

Simone de Beauvoir

Même si elles cèdent progressivement du terrain, les inégalités femmes-hommes restent significatives. Nourries par les stéréotypes, ces inégalités impactent de manière singulière les femmes en situation de leadership. La recherche met ainsi en évidence que des traits perçus comme positifs chez des leaders masculins deviennent négatifs chez leurs homologues féminines. Dans cet article, nous décodons ces mécanismes psychosociaux et partageons des pistes pour les dépasser.

La parité hommes-femmes : quel constat ?

Bien que les femmes soient de plus en plus représentées dans le monde du travail, de telle sorte qu’une quasi parité hommes-femmes est atteinte chez les travailleur.euse.s français.es, les femmes n’en restent pas moins sous-représentées aux postes à responsabilité. En effet, selon l’Insee en France, en 2018, les femmes représentaient 48% de la population active, mais seulement un tiers d’entre elles occupaient un poste de cadre ou de dirigeant.e. En 2012, elles étaient 900 000 à travailler en tant qu’indépendantes ou dirigeantes salariées contre 1 800 000 hommes (hors agriculture). En 2015, les femmes représentaient 40% des auto-entrepreneurs, 37% des entrepreneurs individuels (classiques), 25% étaient gérantes de sociétés à responsabilité limitée (SARL) et 17% dirigeantes de sociétés hors SARL.

Plus généralement, en 2018, les femmes occupaient plus souvent que les hommes les emplois moins qualifiés (26% de femmes contre 15% d’hommes) ; alors qu’à l’inverse, elles sont moins souvent cadres (16% de femmes contre 21% d’hommes). Pour atteindre ces postes à responsabilité, les femmes doivent en effet faire face aux stéréotypes pour dépasser l’idéologie selon laquelle le leader idéal est masculin.

Stéréotypes de genres : La puissance des normes sociales

De nombreux travaux de recherche témoignent de l’existence de stéréotypes basés sur le genre. Ces stéréotypes décrivent des croyances générales à propos des caractéristiques des hommes et des femmes et génèrent des attentes envers ce qu’ils et elles sont supposé.e.s être. Les travaux de chercheuses de l’Université de Princeton, aux États-Unis, montrent notamment qu’il est plus ou moins consciemment attendu des femmes qu’elles soient chaleureuses, attentionnées, gentilles, discrètes et intuitives ; tandis qu’il est attendu des hommes qu’ils soient compétents, assertifs, dominants, intelligents et indépendants (Prentice et Carranza, 2002).

Selon la théorie des rôles sociaux avancée par Eagly et Karau, des chercheurs américains, ces stéréotypes découleraient des attentes envers les rôles sociaux culturellement associés aux hommes et aux femmes. Selon cette théorie, la femme s’occupe typiquement -ou plutôt, archaïquement- des tâches ménagères et prend soin des enfants alors que l’homme est le principal soutien financier de la famille. Hommes comme femmes ont ainsi besoin de démontrer les caractéristiques contenues dans leurs stéréotypes respectifs pour assurer leur rôle social.

Or, il se trouve que les caractéristiques attendues de la part des hommes (globalement la compétence) sont également communément requises pour le leadership et pour le succès professionnel. En effet, des chercheurs américains et finlandais ont rassemblé les résultats de soixante-neuf études et ont pu mettre en évidence que le stéréotype du leader contient des éléments de masculinité (Koenig, Eagly, Mitchell et Ristikari, 2011). Les hommes sont donc en parfaite adéquation avec les traits attendus d’un leader, en revanche, il en résulte une certaine incongruence entre le stéréotype de la femme et les qualités de leadership.

Le leadership féminin confronté à l’effet Backlash

Afin d’accéder aux postes à responsabilité, les femmes doivent donc faire preuve de compétence et d’assertivité afin de contrer l’inadéquation perçue entre leur genre et le leadership. Pourtant, en agissant ainsi, elles risquent malgré tout d’être jugées négativement puisque ces traits ne correspondent pas au stéréotype féminin et tranchent avec les normes sociales. Les travaux de Rudman, chercheuse de l’Université de Rutgers aux États-Unis, montrent que ces femmes risquent alors de se retrouver victimes de l’effet Backlash, que l’on pourrait traduire par l’effet « contrecoup ». Cet effet renvoie à un ensemble de sanctions économiques et sociales infligées aux femmes pour s’être comportées de manière contre-stéréotypique.

Par exemple, plusieurs recherches montrent que les femmes qui font preuve de compétence, d’intelligence et d’assertivité seraient, par compensation, automatiquement jugées non chaleureuses et manquant de qualités sociales (Holoien et Fiste, 2013). Puis, qu’il existe en parallèle une sanction de dominance qui consiste à évaluer ces femmes en position de pouvoir comme étant extrêmement dominantes, contrôlantes et arrogantes ; mais aussi plus hostiles, égoïstes, sournoises et querelleuses que leurs homologues masculins (Rudman, Moss-Racusin, Phelan et Nauts, 2012). Rudman et Phelan, également chercheuse à l’Université de Rutgers, expliquent que l’effet Backlash se traduit également par la discrimination à laquelle les femmes doivent faire face lorsqu’elles sont jugées moins recrutables et moins méritantes de promotions ; mais aussi par les inégalités salariales entre hommes et femmes.

Cet effet apparaît comme un obstacle dans l’avancement des carrières professionnelles des femmes car il enferme celles-ci dans un dilemme : elles doivent choisir entre se faire apprécier en remplissant un rôle socialement prescrit ou se faire respecter en tant que femme leader.

Comment expliquer l’effet Blacklash ?

Lorsqu’une femme exhibe des compétences traditionnellement perçues comme masculines, elle remet en question les différences présumées entre les genres et discrédite ainsi le système dans lequel les hommes ont l’accès au pouvoir. Le backlash serait alors un moyen plus ou moins conscient de les sanctionner pour avoir menacé la hiérarchie des genres (Rudman et collaborateurs, 2012). Ces réactions quasiment automatiques témoignent de la puissance des normes sociales et de leur ancrage chez les individus qui vont avoir besoin de rétablir une certaine cohérence dès lors que ces normes ne sont pas respectées.

Prendre conscience pour cesser de discriminer

Toutes les femmes occupant des postes à responsabilité ne sont pas systématiquement la cible d’évaluations négatives et de préjudices. L’étude de Haines et Stroessner (2019), deux chercheurs américains, met en évidence qu’une femme qui s’inscrit dans un premier temps dans le rôle qui lui est prescrit par son stéréotype (par exemple celui de mère) sera acceptée voire valorisée si elle s’engage par la suite dans un comportement atypique (si elle occupe un poste à responsabilité par exemple) et qu’elle trouve un équilibre entre ces deux rôles. Cependant ces recherches pointent un défi de plus pour les femmes qui doivent user de stratégies pour imposer graduellement leur légitimité.

En effet, donner aux femmes des clés pratiques pour faire face à ces effets reviendrait à les rendre responsables de ce qu’elles subissent injustement. Il serait donc prioritairement question de susciter une prise de conscience auprès des professionnel.le.s qui les entourent, afin de changer leurs attitudes et leurs pratiques. Ainsi, l’importance de la sensibilisation aux stéréotypes est essentielle tant pour les managers mais aussi l’ensemble des salariés en entreprise. En effet, il faut noter que l’effet Backlash n’est pas uniquement perpétué par les membres du sexe opposé : les femmes peuvent également réserver ce type de traitement à leurs paires féminines qui accèdent à des postes à responsabilité.

La prise de conscience des mécanismes automatiques de jugement et des stéréotypes est un premier pas vers la prévention de l’effet Backlash dont peuvent être victimes les femmes, mais aussi les hommes qui peuvent subir les mêmes préjudices s’ils dérogent à leur stéréotype de compétence et de dominance.

Les auteures :

marion

Marion Gonthier, étudiante du Master 2 Psychologie Sociale du Travail et des Organisations à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Marion souhaite s’engager dans l’armée de terre en tant qu’officier psychologue.

 

 

Malek Kaffel est diplômée d’un master en Psychologie Sociale du Travail et des Organisations. Elle souhaite développer son expérience professionnelle en tant que consultante et formatrice dans la promotion de la qualité de vie au travail en entreprise.

 

 

 

Sources :
Eagly, A. H. (1987). Sex differences in social behavior: A social role interpretation. Hillsdale, MI: Erlbaum.

Eagly, A. H. (1997). Sex differences in social behavior: Comparing social role theory and evolutionary psychology. American Psychologist, 52, 1380–1383.

Eagly, A. H., et Karau, S. J. (2002). Role congruity theory of prejudice toward female leaders. Psychological Review, 109(3), 573.

Haines, E. L., et Stroessner, S. J. (2019). The role prioritization model: How communal men and agentic women can (sometimes) have it all. Social and Personality Psychology Compass.

Koenig, A. M., Eagly, A. H., Mitchell, A. A., et Ristikari, T. (2011). Are leader stereotypes masculine? A meta-analysis of three research paradigms. Psychological Bulletin, 137, 616–642.

Prentice, D. A., et Carranza, E. (2002). What women should be, shouldn’t be, are allowed to be, and don’t have to be: The contents of prescriptive gender stereotypes. Psychology of Women Quarterly26(4), 269–281.

Rudman, L. A. (1998). Self-promotion as a risk factor for women: The costs and benefits of counterstereotypical impression management. Journal of Personality and Social Psychology, 74, 629–645.

Rudman, L. A., Moss-Racusin, C. A., Phelan, J. E., et Nauts, S. (2012). Status incongruity and backlash effects: Defending the gender hierarchy motivates prejudice against female leaders. Journal of Experimental Social Psychology, 48(1), 165–179.

Rudman, L. A., et Phelan, J. E. (2008). Backlash effects for disconfirming gender stereotypes in organizations. Research in Organizational Behavior, 28, 61−79.

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