Le harcèlement représente aujourd’hui une problématique sociale majeure pour les travailleurs comme pour les organisations du travail, au regard de ses effets sur la santé et la performance de ces premiers. Or, une étude publiée en 2010 estimait qu’environ 14,6% des salariés étaient exposés à celui-ci (Nielsen et al., 2010).
Pour prévenir la survenue du harcèlement au travail, il est nécessaire d’identifier ses sources. Or, si dans l’imaginaire collectif, ces comportements sont associés à la responsabilité individuelle des managers, certains stipulent qu’ils sont en réalité intimement liés à l’organisation du travail. Alors, qu’en est-il réellement ? Que dit la recherche scientifique à ce sujet ?
Quelle situation caractérise le harcèlement au travail ?
En 2012, les chercheurs Nielsen et Einarsen ont défini le harcèlement comme « une situation dans laquelle une ou plusieurs personnes de manière persistante, et sur une période de temps donné, se perçoivent comme étant la cible d’actes négatifs de la part de leur supérieur ou de leurs collègues ».
Contrairement aux agressions sur le lieu de travail qui peuvent être épisodiques, le harcèlement représente une exposition systématique et prolongée à des comportements négatifs et agressifs répétés qui se mettent en place graduellement.
Ces comportements peuvent être multiples : intimidation, hostilité verbale, isolement social, propagation de rumeurs, attaque de la sphère privée, critiques excessives du travail, rétention d’informations, etc.
Par ailleurs, à la différence du leadership abusif, le harcèlement au travail n’est pas uniquement perpétré par le manager mais peut l’être aussi par les collègues.
Quelles conséquences pour les salariés ?
Le harcèlement au travail est considéré comme un stresseur déstabilisant voir traumatisant qui a des effets délétères sur la santé des salariés.
Deux équipes de chercheurs, la première américaine (Bowling et Beehr, 2006) et la seconde norvégienne (Nielsen et Einarsen, 2012), ont compilé de précédents travaux et démontré que le harcèlement au travail est associé pour la victime à une détérioration de la santé physique et mentale avec une hausse de l’anxiété, de la dépression et du burnout. Les chercheurs ont également recensé une baisse de l’estime de soi et une variété de symptômes de stress post-traumatique chez les victimes de harcèlement au travail (Bowling et Beehr, 2006 ; Nielsen et Einarsen, 2012).
Finalement, ces mêmes chercheurs ont relevé que les victimes sont moins satisfaites au travail et que leur engagement envers l’organisation est altéré. Enfin, lorsque les salariés sont exposés au harcèlement au travail, ils sont plus enclins à adopter des comportements contre-productifs (ex : vol, sabotage) et à partir de l’organisation (Bowling et Beehr, 2006 ; Nielsen et Einarsen, 2012).
Les caractéristiques de travail jouent-elles un rôle dans la survenue du harcèlement ?
De nombreux chercheurs ont émis l’hypothèse selon laquelle des environnements de travail stressants peuvent créer des conditions favorables à l’émergence du harcèlement. Qu’en est-il réellement ?
Diverses études ont en effet démontré un lien positif entre les contraintes de l’emploi d’une part et le harcèlement au travail d’autre part. Les contraintes du travail se réfèrent aux aspects de l’environnement qui requièrent des efforts psychologiques ou physiques et qui conduisent sur le long terme à des problèmes de santé (Bakker & Demerouti, 2007).
Précisément, des chercheurs américains tels que Bowling et Beehr en 2006 ou encore Balducci et ses collaborateurs en 2011, ont soulevé que les contraintes les plus prédictives du harcèlement au travail étaient :
- La charge de travail (sentiment de devoir se dépêcher pour faire son travail),
- L’ambiguïté de rôle (manque de clarté dans la définition des missions et des responsabilités individuelles),
- Les conflits de rôle (présence simultanée de demandes contradictoires, de sorte que l’accomplissement d’une demande en entrave la réalisation d’une autre).
Parce qu’elles génèrent une tension individuelle et collective d’une part et entraînent un stress ainsi qu’un épuisement psychologique et physiologique d’autre part, ces contraintes sont susceptibles d’induire des situations de harcèlement professionnel. Autrement dit, parce que les collaborateurs sont irrités, stressés et épuisés en raison de contraintes élevées, ils auront davantage tendance à répondre avec agressivité envers leurs collègues et supérieurs et à faire preuve de maltraitance.
Comment agir pour prévenir la survenue du harcèlement professionnel ?
- Réguler les contraintes de l’emploi
La première solution consiste à clarifier les attendues aux salariés à l’aide d’une communication unique et cohérente (objectifs, missions, responsabilité individuelle, calendrier, rôle des membres de l’équipe de travail) et à veiller à ce que la quantité de tâches attribuées à chacun soit supportable dans les délais impartis.
- Etendre les ressources de l’emploi
Parce que la recherche scientifique a démontré que les ressources de l’emploi peuvent ralentir la survenue du harcèlement au travail (Balducci et al, 2001), la seconde solution consiste à étendre certaines d’entre elles telles que la latitude décisionnelle et le soutien entre collègues. Ainsi, dans des situations contraignantes, si les travailleurs ont la possibilité de choisir les missions à réaliser et la manière de procéder d’une part et de bénéficier d’une culture collective de soutien d’autre part, ils sont plus à même de faire face au stress et sont moins agressifs dans leurs interactions.
Conclusion
Face à l’idée collective que les individus sont les seuls responsables du harcèlement au travail, la recherche démontre qu’il existe d’autres facteurs. En effet, si les caractéristiques personnelles des personnels d’encadrement ont une influence sur l’apparition de ces comportements, c’est aussi le cas de certaines caractéristiques du travail telles que les contraintes professionnelles. Les organisations du travail peuvent ainsi avoir une part de responsabilité. Le lien entre prévention des risques psychosociaux et prévention du harcèlement est évident à la lumière de ces travaux.
Des solutions concrètes existent pour prévenir l’émergence de ces situations, notamment la veille constante des conditions de travail et de la santé de leurs collaborateurs.
Auteure
Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et docteur CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
Bakker, A. B., & Demerouti, E. (2007). The Job Demands‐Resources model : State of the art. Journal of Managerial Psychology, 22(3), 309‑328. https://doi.org/10.1108/02683940710733115
Balducci, C., Fraccaroli, F., & Schaufeli, W. B. (2011). Workplace bullying and its relation with work characteristics, personality, and post-traumatic stress symptoms : An integrated model. Anxiety, Stress & Coping, 24(5), 499‑513. https://doi.org/10.1080/10615806.2011.555533
Bowling, N. A., & Beehr, T. A. (2006). Workplace harassment from the victim’s perspective : A theoretical model and meta-analysis. Journal of Applied Psychology, 91(5), 998‑1012. https://doi.org/10.1037/0021-9010.91.5.998
Nielsen, M. B. & Einarsen, S. (2012). Outcomes of exposure to workplace bullying : A meta-analytic review. Work & Stress, 26(4), 309-332. https://doi.org/10.1080/02678373.2012.734709
Nielsen, M. B., Matthiesen, S. B., & Einarsen, S. (2010). The impact of methodological moderators on prevalence rates of workplace bullying. A meta-analysis. Journal of Occupational and Organizational Psychology, 83(4), 955‑979. https://doi.org/10.1348/096317909X481256
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