Régulièrement, le Blog QVT s’ouvre aux retours sur expériences des consultant.e.s d’AD CONSEIL. L’article d’aujourd’hui est l’œuvre de Clémence SOUCHET, psychologue du travail et des organisations, consultante et formatrice chez AD Conseil. Elle intervient auprès d’organisations diverses pour prévenir les risques psychosociaux et améliorer la qualité de vie au travail. Elle est spécialisée dans la mise en accessibilité des démarches de prévention au travers de la méthode FALC.
« Le ruissellement est le bouquet du trait premier et de ce qui l’efface. (…) Ce qui se révèle de ma vision du ruissellement, à ce qu’y domine la rature, c’est qu’à se produire d’entre les nuages, elle se conjugue à sa source, que c’est bien aux nuées qu’Aristophane me hêle de trouver ce qu’il en est du signifiant : soit le semblant, par excellence, si c’est de sa rupture qu’en pleut, effet à ce qu’il s’en précipite, ce qui y était matière en suspension. »
Lituraterre, J. Lacan (1971)
Si cet extrait vous a paru difficilement compréhensible, c’est que vous avez fait l’expérience de l’inaccessibilité. Nous nous sommes tous déjà confrontés à des messages peu accessibles, sans que cela ne nous affecte particulièrement. Toutefois, certains d’entre nous en font l’expérience de manière récurrente et connaissent de réels retentissements sur leur vie personnelle comme professionnelle.
De quoi parle-t-on ?
L’accessibilité est une notion consacrée en 2005 dans la Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Le législateur considère l’accessibilité comme étant toutes les mesures réduisant les écarts pouvant exister entre les souhaits et capacités des personnes en situation de handicap et les composantes de l’environnement dans lequel elles évoluent ; mesures permettant de ce fait leur autonomie et leur participation. Ainsi, deux grands champs sont identifiés :
- L’accessibilité aux lieux physiques, qui renvoie à la possibilité de se déplacer puis d’accéder à des lieux.
- L’accessibilité aux informations, qui renvoie à la possibilité d’obtenir des informations, de les comprendre et de les utiliser.
Plus de 15 ans après cette loi, et malgré son orientation inclusive remarquable, plusieurs constats peuvent être faits :
- La loi de 2005 n’a pas été suffisamment suivie d’effets.
- L’accessibilité est majoritairement abordée sous le prisme de la mobilité (ex. transports en commun, ERP), laissant de côté l’accessibilité aux informations.
- Le monde du travail se saisit peu de cette dernière : l’accessibilité aux informations est en effet souvent à destination des patients, usagers, visiteurs ou clients afin de favoriser leur accès aux services ou aux soins, mais elle est rarement pensée à destination du personnel lui-même.
Ces constats dressent un bilan mitigé des initiatives favorisant l’accessibilité aux informations dans la société de manière générale, mais encore plus dans les organisations du travail. En effet, en-dehors de rares exceptions comme au sein d’ESAT (Établissements et Services d’Aides par le Travail) ou d’Entreprises Adaptées, ce sujet n’est que très rarement abordé. Cela reflète par ailleurs la tendance à assujettir cette préoccupation à celle du handicap, occultant ainsi le public beaucoup plus large auquel elle peut s’adresser.
Le FALC : Un levier d’accessibilité au service d’une cible large
Les initiatives ayant pour but de rendre plus intelligibles et compréhensibles les informations ne sont pas uniquement bénéfiques aux personnes en situation de handicap. C’est le cas par exemple du Facile à Lire et à Comprendre, abrégé en FALC. Le FALC est un ensemble de règles européennes initialement pensé pour favoriser la formation continue des personnes en situation de handicap mental. Au travers de 4 catégories de règles (lexique, sémantique, syntaxe, présentation), son utilisation a montré que le FALC était utile à toute personne rencontrant des difficultés à lire, comprendre ou utiliser les informations écrites. Citons par exemple : le handicap mental, l’illettrisme, la dyslexie, un faible niveau d’instruction ou encore une langue maternelle étrangère. Ainsi j’illustrerai son application, non pas en reprenant l’extrait d’ouverture de Lacan dont le sens me reste impénétrable, mais en transcrivant une définition institutionnelle de la notion de « polyvalence » :
Texte original :
« La polyvalence est une forme d’organisation du travail qui consiste à affecter plusieurs activités différentes à un salarié. Elle peut devenir problématique lorsqu’elle est subie, c’est-à-dire quand les remplacements se font au « pied levé », dans l’urgence et sans préparation. Elle est d’autant plus pénalisante quand les salariés ne sont pas formés pour exercer ces différentes activités. Au-delà des risques d’erreur ou d’accident, la polyvalence subie peut être considérée comme dévalorisante par les salariés et constituer une perte de sens du métier. »
Texte FALC :
Vous êtes polyvalent quand vous faites plusieurs choses différentes. Ça peut être difficile quand :
- Ce n’était pas prévu
- Vous n’êtes pas assez formé
Exemples :
- Vous devez faire quelque chose que vous ne savez pas faire.
- Vous remplacez votre collègue.
Vous l’avez appris ce matin.
Mais vous ne savez pas faire son travail.
Des initiatives favorables à la santé du personnel et la performance durable de l’entreprise
L’exercice du FALC amène naturellement l’émetteur à se questionner sur le cœur du message qu’il souhaite faire passer et l’invite à se concentrer sur l’essentiel en prenant de la hauteur par rapport aux éléments de langage sophistiqués qui véhiculent une image de compétence mais qui peuvent complexifier la compréhension, voire lui faire obstacle.
Ainsi, que ce soit en respectant scrupuleusement les règles FALC ou en s’en inspirant, les organisations du travail ont tout intérêt à favoriser l’accessibilité des informations qu’elles souhaitent transmettre à leur personnel.
Il en va ainsi de l’employeur, du manageur, de l’acteur RH ou du préventeur qui souhaiterait mettre en place un nouveau processus qualité, faire connaître un nouveau projet et accompagner au changement, ou encore favoriser l’utilisation des dispositifs qu’il met en place en matière de prévention, de soutien ou d’accompagnement dans la carrière (ex. port des EPI, consignes de sécurité, demande d’aménagement de poste…).
Il en va de même de l’intervenant externe, qui souhaiterait initier une démarche de prévention des risques ou d’amélioration de la qualité de vie au travail, susciter l’adhésion et la participation, favoriser l’appropriation des résultats et la vitalité des mesures. Ou encore celui qui accompagnerait des travailleurs à des moments clés de leur vie professionnelle et qui chercherait à les rendre pleinement acteurs (mobilité, transition, retraite…).
Conclusion
Du chemin reste encore à parcourir afin de faire de l’accessibilité des informations un enjeu reconnu et partagé collectivement au sein des organisations du travail. Fort heureusement, il existe de nombreuses ressources pour initier des actions en ce sens. Il ne tient qu’aux acteurs du monde du travail de s’en saisir. Pour en savoir plus :
Référence image : Nighthawks, Edward Hopper – 1942 © Art Institute of Chicago
Auteure :
Clémence Souchet est Psychologue du travail et des organisations. Elle a accompagné des EA et ESAT à la mise en place de dispositifs de prévention de la santé des travailleurs. Afin de répondre aux enjeux d’accessibilité pour les travailleurs en situation de handicap, Clémence a été formée au Facile à Lire et à Comprendre (la méthode FALC) et développe des outils en ce sens.
Découvrez également notre podcast « Qualité de vie au Travail : La Tribune » sur l’accessibilité des démarches de prévention des RPS et d’amélioration de la QVT : https://adconseil.org/podcast/rendre-accessibles-les-demarches-de-prevention-des-rps/
Disponible également sur Spotify et Apple Podcast
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