Le télétravail se généralise actuellement en raison du confinement. Si les nouvelles conditions de travail associées sont propices à la concentration et à l’efficacité pour certains, elles peuvent aussi être source de difficultés et de procrastination pour d’autres.
La procrastination, quel constat ?
La procrastination était un comportement déjà très courant durant « l’avant confinement ». En effet, des chercheurs de l’Université de DePaul à Chicago ont réalisé une étude ayant démontré que 25% des salariés se considèrent comme des procrastinateurs (Ferrari, DiazMorales, O’Callaghan, Diaz et Argumedo, 2007). Par ailleurs, les salariés consacreraient en moyenne 1,5 à 3 heures à des activités personnelles pendant leur temps de travail (Paulsen, 2015).
Face à ces constats et à l’augmentation du télétravail en cette période, nous avons fait le choix de vous proposer cette semaine un article pour mieux comprendre et prévenir l’apparition des comportements de procrastination.
Qu’est-ce que la procrastination ?
La procrastination est la « tendance à ajourner, à remettre systématiquement au lendemain » (Le Dictionnaire Larousse, 2020).
Selon Metin et ses collaborateurs (2016), chercheurs de l’université d’Utrecht aux Pays-Bas, il existe deux types de comportements de procrastination.
Le premier type de comportement, aussi nommé le « Soldiering », fait référence à l’évitement des tâches de travail par le recours, à titre d’exemple, aux longues pauses-café, aux commérages ou à la rêverie. La face immergée de ces comportements réside dans la diminution des Output du travail (ex : diminution des résultats et de la production).
Par ailleurs, avec l’émergence des nouvelles technologies dans l’espace de travail, un second type de comportement de procrastination est apparu : le « Cyberslacking ». Celui-ci fait référence à l’utilisation d’Internet ou d’appareils mobiles à des fins personnelles pendant les heures de travail tel que la consultation des réseaux sociaux, les achats en ligne ou le cours aux jeux en ligne (Garrett et Danziger, 2008). Ce type de comportement est plus difficile à détecter que le premier car il n’a pas de face visible.
Déterminer la cause de ces comportements pour choisir les bonnes stratégies organisationnelles et managériales
Si les raisons de la procrastination en télétravail sont régulièrement orientées vers des facteurs individuels, la recherche scientifique sur le sujet nous démontre que la considération des facteurs organisationnels est essentielle.
La peur de l’échec liée aux objectifs trop ambitieux
En premier lieu, la procrastination peut émerger d’une peur de l’échec associée à la perception que les objectifs sont trop ambitieux. Avoir le sentiment de faire face à des exigences élevées sans avoir les ressources personnelles adéquates tels que le sentiment de compétence ou l’estime de soi peut favoriser le report de certaines tâches. Le salarié repousse ainsi la mission parce qu’il ne se sent pas à la hauteur (Haghbin et ses collaborateurs, 2012).
Dans ce premier cas, il est approprié de clarifier au maximum les missions afin que le salarié comprenne au mieux les attentes et éviter ainsi l’ambiguïté, de l’aider à diviser ses tâches de travail en sous-tâches pour les rendre plus accessibles, et de l’encourager et le soutenir notamment dans les situations de travail à distance dans lesquelles l’expression des difficultés est compliquée par le manque de contact.
L’ennui lié aux tâches peu exigeantes
La procrastination peut provenir en second lieu d’un sentiment d’ennui lié à des tâches peu exigeantes et/ou répétitives ainsi qu’à un environnement de travail sous-stimulant (Metin et ses collaborateurs, 2016).
Dans ce second cas, il serait préférable d’enrichir l’activité en offrant aux salariés des opportunités d’apprentissage et de développement (ex : formation durant le chômage partiel), en veillant à un niveau de charge de travail suffisant, en donnant du sens et en rappelant l’intérêt du travail réalisé ainsi qu’en promouvant l’expression de leur créativité.
La fatigue liée à une charge de travail excessive
La procrastination peut en troisième lieu s’expliquer par une fatigue et un manque de détachement psychologique élevés liés à une charge de travail trop importante (DeArmond et ses collaborateurs, 2014).
En effet, une charge trop conséquente (un volume de tâches considérable et des délais courts) peut entraîner un manque de détachement psychologique, c’est-à-dire des pensées incessantes liées au travail durant les temps de repos et une suractivation physiologique rendant difficile la relaxation. Ce phénomène peut alors induire un épuisement des ressources énergétiques et de la fatigue. Aussi, un salarié n’ayant plus les ressources suffisantes rencontre plus de difficulté pour se concentrer et a plus de probabilité de procrastiner (DeArmond et ses collaborateurs, 2014).
Dans ce dernier cas, il est nécessaire d’éviter la surcharge des salariés et notamment dans le cadre du télétravail, situation où l’on ne peut observer les comportements d’épuisement. Le respect du droit à la déconnexion et des temps de repos doivent par ailleurs faire l’objet d’une vigilance accrue pour aider les salariés à reconstituer leurs réserves d’énergie, notamment dans la mesure où le télétravail peut entraîner un débordement de la vie professionnelle sur la vie personnelle.
Conclusion
Les comportements de procrastination constituent un mal pour les organisations comme pour les travailleurs. S’ils sont le signe de perte de productivité et de dynamisme pour les premières, ils peuvent illustrer une perte d’intérêt pour le travail et une récupération difficile pour les seconds.
Par ailleurs, si les facteurs individuels sont souvent pointés du doigt pour expliquer l’apparition de ces comportements, les études scientifiques révèlent que les facteurs organisationnels sont non négligeables.
Elles démontrent par ailleurs que les organisations ont une marge de manœuvre pour les prévenir : soutenir au quotidien les salariés, clarifier leurs missions, mettre en œuvre des emplois suffisamment stimulants, comprenant des tâches variées et ayant du sens, permettre le développement des compétences et de l’innovation ainsi que veiller à la charge de travail et à l’état d’épuisement qui en découle.
Auteur
Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
DeArmond, S., Matthews, R. A., & Bunk, B. (2014). Workload and Procrastination: The Roles of Psychological Detachment and Fatigue. International Journal of Stress Management, 21(2), 137–161. https://doi.org/10.1037/a0034893
Ferrari, J. R., Diaz-Morales, J. F., O’Callaghan, J., Diaz, K., & Argumedo, D. (2007). Frequent behavioral delay tendencies by adults: International prevalence rates of chronic procrastination. Journal of Cross-Cultural Psychology, 38, 458–464. https://doi.org/10.1177/0022022107302314
Garrett, K. R., & Danziger, J. N. (2008). On cyberslacking: Workplace status and personal internet use at work. Cyberpsychology & Behavior, 11, 287–292. https://doi.org/10.1089/cpb.2007.0146
Haghbin, M., McCaffrey, A., & Pychyl , A. T. (2012). The Complexity of the Relation between Fear of Failure and Procrastination. Journal of Rational-Emotive & Cognitive-Behavior Therapy, 30, 249–263. https://doi.org/10.1007/s10942-012-0153-9
Larousse. (2020). Réussite. Dans Le Dictionnaire Larousse.
Metin, U. B., Taris, T. W., & Peeters, M. C. W. (2016). Measuring procrastination at work and its associated workplace aspects. Personality and Individual Differences, 101, 254–263. https://doi.org/10.1016/j.paid.2016.06.006
Paulsen, R. (2015). Non-work at work: Resistance or what? Organization, 22, 351–367. https://doi.org/10.1177/1350508413515541
Vitak, J., Crouse, J., & LaRose, R. (2011). Personal Internet use at work: Understanding cyberslacking. Computers in Human Behavior, 27, 1751–1759. https://doi.org/10.1016/j.chb.2011.03.002
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