Si l’âge du passage à la retraite soulève beaucoup d’interrogations économiques, sociales et politiques, force est de constater que les enjeux organisationnels et psychologiques de cette transition sont rarement pris en considération.
En 2009, l’INSEE nous dévoilait la prévision suivante : « un tiers des personnes actives en 2005 quitteront le marché du travail en 2020 ». Selon Isabelle Robert-Bobée (2007), administratrice de l’institut, 1 français sur 3 aura plus de 60 ans en 2050 contre 1 sur 5 en 2005. L’hypothèse actuelle préfigure que nous sommes à l’aube d’un vieillissement majeur et global de la population française.
Ces projections mettent en lumière l’enjeu fort que représentent les transitions de fin de carrière professionnelle pour les organisations comme pour les individus.
Les enjeux organisationnels
La transition de fin de carrière représente un enjeu pour les organisations dans la mesure où les salariés seniors représentent des ambassadeurs. La qualité de leur départ constitue un axe stratégique de protection de l’image.
Au sein des collectifs de travail, les départs peuvent également constituer une turbulence potentielle pour le capital humain. Il s’agit alors d’éviter la disparition de la culture et de la mémoire d’entreprise et d’assurer la transmission intergénérationnelle des compétences et des savoir-faire clés détenues par les salariés-seniors.
Une enquête de la DARES (n° 055) publiée en septembre 2010 a d’ailleurs souligné : « En 2008, les employeurs du secteur marchand estiment, dans leur majorité, que les salariés seniors sont un atout pour le collectif de travail, en termes d’expérience et de savoir-faire, de mémoire d’entreprise et de complémentarité des équipes ».
Les enjeux individuels
La fin de carrière professionnelle est un processus complexe et une transition clé dans la vie des individus car elle se caractérise par des changements importants sur le plan du revenu, du statut social, du réseau relationnel et des activités quotidiennes mais pas seulement (Pinquart & Schindler, 2007).
Pour Gana et ses collègues (2009), chercheurs à l’Université de Nancy, cette étape est aussi synonyme de perte d’emploi et conséquemment d’identité professionnelle. Or, la remise en question identitaire peut perturber l’équilibre psychologique des salariés-séniors et provoquer une l’anxiété et des inquiétudes face au départ à la retraite.
Kim et Moen (2001), professeurs en psychopathologie à l’Université de Rochester, soulignent que cette transition peut être vécue comme un choc et favoriser le développement de symptômes dépressifs
Une modélisation pour comprendre cette transition complexe
En 2000, de Mullet et ses collaborateurs, chercheurs à l’Université de Toulouse, ont développé la modélisation dite « Push/Pull/Anti-Push/Anti-Pull » qui visait initialement le recensement des différentes raisons explicatives du processus de départ à l’étranger des étudiants.
Plus récemment, des chercheurs de l’Université de Tours ont appliqué cette modélisation à l’étude du processus de décision du passage à la retraite chez les sportifs de haut niveau (Fernandez & ses collaborateurs, 2006) et chez les salariés (Fouquereau et ses collaborateurs, 2018).
Cette modélisation a pour ambition de mettre en lumière les barrières et leviers à l’origine des décisions de rester dans l’activité professionnelle ou de partir en retraite.
Nécessairement, lorsque le salarié (cas 1) est passionné par son travail (Anti-Push) et qu’il éprouve des craintes liées au passage à la retraite (Anti-Pull), la question de la gestion de la santé psychologique de cette transition se pose.
A l’inverse, lorsque le salarié (cas 2) fait l’expérience d’une surcharge de travail (Push) et qu’il a hâte de profiter de son temps libre (Pull), la question du creux suivant « l’effet lune de miel » (période d’euphorie à laquelle se suit une période de désenchantement, de vide et d’ennui) et de la perte de compétence en interne associés à un départ précipité se pose.
Ces quatre dimensions doivent nécessairement être prises en compte lors de la préparation à cette transition dans laquelle le salarié comme l’organisation sont en interdépendance.
Les leviers organisationnels d’une fin de carrière professionnelle sereine
L’instauration de dispositifs d’accompagnement à la gestion de fin de carrière professionnelle et de préparation à la retraite dans les organisations est aujourd’hui essentielle.
Plusieurs dispositifs peuvent soutenir une transition de fin de carrière professionnelle sereine. Citons par exemple les entretiens de fin de carrière (identification des compétences et des savoir-faire, des besoins de formation), les modules de conseils et de planification de la retraite (planification financière, questions juridiques, questions liées à la santé, planification des futures activités professionnelles et des loisirs), les horaires flexibles et les congés supplémentaires.
D’autres dispositifs favorisent le transfert des compétences et préservent la culture d’entreprise comme le coaching ou le tutorat, la promotion des salariés-séniors au statut de formateurs référents ou d’ambassadeurs, les systèmes de retraites progressives (ex : mi-temps) ou encore l’accompagnement de transitions progressives des seniors vers le consulting et le mentorat.
Auteur
Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
Fernandez, A., Stephan, Y., & Fouquereau, E. (2006). Assessing reasons for sports career termination : Development of the Athletes’ Retirement Decision Inventory (ARDI). Psychology of Sport and Exercise, 7, 407–421. https://doi.org/10.1016/j.psychsport.2005.11.001
Fouquereau, E., Bosselut, G., Chevalier, S., Coillot, H., Becker, C., & Gillet, N. (2018). Better Understanding the Workers’ Retirement Decision Attitudes : Development and Validation of a New Measure. Frontiers in Psychology, 9, 2429. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2018.02429
Gana, K., Blaison, C., Boudjemadi, V., Trouillet, R., & Lourel, M. (2009). Etude de quelques déterminants de l’anxiété face au passage à la retraite. Canadian Journal of Behavioural Science, 41(4), 260–271. https://doi.org/10.1037/a0015293
Kim, J. E., & Moen, P. (2001). Is Retirement Good or Bad for Subjective Well-Being? Current Directions in Psychological Science, 10(3), 83-86. https://doi.org/10.1111/1467-8721.00121
Mullet, E., Dej, V., Lemaire, I., Raiff, P., & Barthorpe, J. (2000). Studying, Working, and Living in Another EU Country : French Youth’s Point of View. European Psychologist, 5(3), 216–227. https://doi.org/10.1027/1016-9040.5.3.216
Pinquart, M., & Schindler, I. (2007). Changes of Life Satisfaction in the Transition to Retirement : A Latent-Class Approach. Psychology and Aging, 22(3), 442– 455. https://doi.org/10.1037/0882-7974.22.3.442
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