La fréquence des changements : « c’était mieux avant » ?

3 Juil, 2019
démarche RPS et QVT

Avant, les changements dans les entreprises étaient moins fréquents. A titre d’exemple, on dénombrait environ 2500 fusions/acquisitions au niveau mondial en 1985 contre 40000 en 2005 (M&A Statistics). Il était alors plus facile de percevoir la transformation comme un évènement singulier et les employés étaient en mesure de discerner un commencement et une fin.

Ça c’était avant. De manière caricaturale, cela correspond à ce que les théoriciens des changements organisationnels décrivent sous le terme de « changement aigu« , c’est-à-dire un changement unique et ponctuel.

Aujourd’hui les entreprises évoluent dans un environnement de plus en plus turbulent. Afin de répondre aux multiples exigences (marché, évolutions législatives, ruptures technologiques, concurrence, etc.), les organisations doivent opérer des changements de façon continue. Ces perpétuelles transformations illustrent ce que les chercheurs qualifient de « changement continu« .

Celui-ci se caractérise par des changements successifs ou simultanés. Par exemple, il n’est pas rare que les professionnels en accompagnement du changement soient amenés à opérer dans des organisations qui implémentent conjointement une réorganisation, un nouveau système d’information et des nouveaux objectifs. En effet, le cumul de changements est habituellement – et parfois à tort – considéré comme étant moins chronophage d’un point de vue organisationnel.

Dans le champ de la psychologie des organisations, la littérature sur les changements et plus spécifiquement sur leur rythme distingue les transformations centrées sur le temps et celles centrées sur l’évènement. Les transformations centrées sur le temps décrivent une organisation qui met en place, de façon timorée, des changements en vue de l’atteinte d’un objectif fixé à long terme. Ces changements sont habituellement de petites tailles et leurs cumuls apparaissent comme étant moins préjudiciables pour les salariés.

En revanche, les transformations centrées sur l’évènement désignent les organisations qui instaurent, en plus des modifications de petites tailles, des transformations majeures en réponse à des évènements extérieurs exceptionnels comme les crises.

Aux états Unis, la crise des subprimes a ainsi forcé de nombreuses organisations à opérer des changements d’ampleur débouchant sur des conséquences importantes. Les licenciements, réductions d’effectifs et plans de départs volontaires sont ainsi devenus plus réguliers alors qu’ils constituaient l’exception.

Fréquence du changement et qualité de vie au travail

De manière objective, la fréquence du changement peut être définie comme le nombre de changements implémentés dans les équipes ou les organisations sur une période donnée. De manière subjective, elle désigne le ressenti des salariés à propos de la régularité qu’ils perçoivent dans les transformations de leur environnement professionnel.

Le caractère permanent et superposé des changements dans notre contexte de travail actuel contraint donc les salariés à transformer constamment leurs routines de travail mais également leurs pratiques sociales,

La fréquence des changements apparait donc comme un enjeu pour les organisations et l’étude de son impact sur les individus est pertinente pour l’ensemble des acteurs œuvrant sur le champ de la prévention et de la qualité de vie au travail

Globalement la fréquence du changement impacte négativement l’activité. La littérature scientifique rapporte par exemple que la succession de changements conduit régulièrement à une augmentation de la charge de travail (Connell & Waring, 2002), à cause d’un manque de maitrise des nouveaux processus (Klarner & Raisch, 2013).

Plus spécifiquement, la littérature distingue quatre niveaux d’effets négatifs : les impacts sur la santé, sur les attitudes, sur les comportements et sur les relations sociales.

Sur le plan des relations sociales, il apparaît que plus les changements sont fréquents, plus les relations sociales sont mises à mal. Les changements trop réguliers sont ainsi susceptibles de créer des conflits interpersonnels (Carter, Armenakis, Feild & Mossholder, 2013). Dans cette même étude, les auteurs montrent que la fréquence des changements affecte la relation entre le manager et les salariés, car ces derniers ont besoin d’être orientés et assistés pour s’approprier les nouvelles procédures.

Le changement porteur d’effets bénéfiques

Malgré ces effets négatifs, et dans la mesure où l’augmentation de la fréquence des changements semble inévitable à moyen-terme, il est utile de se questionner sur les facteurs qui peuvent entraîner des effets positifs.

Certains travaux récents ont pu montrer que la répétition des changements les rendait plus prévisibles, permettant alors un meilleur ajustement (Babalola, Stouten & Euwema, 2014; Rafferty & Griffin, 2006). D’autres chercheurs ont montré également que cette même répétition pouvait augmenter la satisfaction au travail et la performance de l’organisation car les salariés accumulent de l’expérience (Klarner & Raisch, 2013 ; Lattuch & Young, 2010). Aussi, les changements fréquents peuvent permettre aux organisations être plus réactives car leurs salariés sont habitués à changer leurs habitudes rapidement (Klarner & Raisch, 2013).

Ces travaux émergents laissent donc entendre que, lorsque les changements continuels seront devenus la norme, leur répétition pourrait donc améliorer le fonctionnement des organisations. Ils tendent à démontrer que le changement n’est pas pathogène en soi, et qu’il est possible de développer des cultures d’entreprise où le caractère continu du changement peut être intégré et devenir un atout.

Quelles bonnes pratiques pour accompagner le changement ?

Communiquer : L’information autour des changements doit être bien vérifiée et communiquée afin que les collaborateurs soient préparés, avertis et qu’ils puissent anticiper les étapes de la transformation à venir.

Veiller à la qualité des relations entre les managers et les salariés : En effet, les salariés sont en attente d’orientations et de directions qui vont pouvoir les aider à mettre en œuvre le changement mais également leur permettre de retrouver des routines rassurantes dans leur travail. Par exemple, la perception d’être soutenu par le manager pendant le changement sera susceptible d’améliorer la relation entre les deux parties.

Faire participer les salariés : La participation des salariés dans la réflexion des nouvelles habitudes de travail est bénéfique. D’une part, elle permet aux salariés de s’investir dans le changement en étant force de proposition, et d’autre part, elle facilite la mise œuvre des nouvelles pratiques car les salariés sont (déjà) persuadés de leurs bienfaits.

Ménager des temps de repos : La mise en place de nouvelles habitudes de travail consomme du temps et de l’énergie. La prise en compte des rythmes des salariés permet d’éviter une augmentation de l’absentéisme. Les chercheurs Wynen, Verhoest & Kleizn (2019) soulignent à ce titre le caractère positif de la fréquence des changements sous réserve d’un temps suffisant de récupération entre les transformations.

Organiser des retours d’expériences : Il est important que les équipes dirigeantes qui mettent en place les changements prennent en considération les changements précédents et leurs effets sur du long terme. Un retour d’expérience peut permettre d’éviter de reproduire certaines erreurs et surtout de se focaliser sur ce qui a fonctionné afin de le reproduire dans le prochain changement.

 

Photo by Nick Fewings on Unsplash

 

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