Lorsqu’ils sont questionnés à propos des leviers managériaux favorisant la QVT, les spécialistes invoquent en priorité l’écoute active, la bienveillance, le soutien aux collaborateurs ou encore la capacité à déléguer et à rendre autonome.
Une compétence managériale clé est pourtant souvent négligée, alors qu’elle contribue tout autant à la qualité de vie au travail et à la performance durable : la compétence disciplinaire.
Il s’agit de la capacité du management à faire respecter le cadre institutionnel et à rendre des arbitrages. Elle renvoie aux situations où le management doit assumer l’autorité dans l’intérêt collectif et s’affirmer pour garantir l’équité et l’application des règles régissant la vie d’une équipe.
Quelles conséquences lorsque la fonction disciplinaire est défaillante ?
Lorsque les mécanismes d’arbitrage et de rappel au cadre sont absents ou dysfonctionnels, de nombreux effets pervers peuvent apparaître.
Des tensions mineures entre collègues pourront s’aggraver et se transformer en situations ouvertement conflictuelles. Des collaborateurs s’estimant floués auront tendance à se démotiver ou à remettre en question la légitimité du management.
En outre, lorsque les règles sont appliquées de façon aléatoires ou discontinue, elles seront perçues comme arbitraires. Progressivement, le management deviendra moins crédible et pourra être taxé de favoritisme.
Les déficits d’exemplarité de la hiérarchie inciteront également les collaborateurs à adopter des postures contre-productives en miroir.
Tous ces effets pervers ont des conséquences significatives, tant sur la qualité de vie au travail (absentéisme, violences internes, isolement, appauvrissement des soutiens, etc.) que sur la performance collective (incidents, baisse de la qualité, turnover, etc.).
Ces conséquences justifient l’intérêt particulier à accorder à la fonction disciplinaire en travaillant sur deux leviers complémentaires : la clarté du cadre institutionnel d’une part, et la posture du management d’autre part.
Définir un cadre institutionnel clair et équitable
Un environnement de travail est par essence contraignant, dans le sens où la vie d’un collectif s’articule autour d’un ensemble de règles formelles ou informelles définissant la hiérarchie, précisant les responsabilités et les missions de chaque partie et structurant les interactions au quotidien.
Pour que ce cadre soit efficient, il doit être intelligible, équitable et connu de tous.
Dans de nombreuses organisations, les règles demeurent mal définies ou méconnues. Il en résulte un flou où chaque collaborateur aura sa propre interprétation du cadre. Cette situation est propice à l’apparition de tensions et favorise l’injustice perçue.
Lorsque les règles sont imprécises, les managers sont amenés à opérer des arbitrages suivant leurs propres systèmes de valeurs. Des écarts importants pourront en résulter. Une même situation ne donnera pas lieu à la même décision en fonction de l’interprétation du manager. Ces écarts alimentent considérablement le sentiment d’arbitraire et de manque d’équité.
Deux familles de situations méritent particulièrement la définition de critères d’arbitrage extrêmement précis et transparents :
Les situations induisant une différenciation des collaborateurs (ex. : validation de souhaits de congés, validation d’un projet de formation, augmentation, validation d’une demande de mobilité ou de promotion, achat d’un nouveau matériel, etc.)
Les situations nécessitant une réponse disciplinaire lorsque le cadre est transgressé (ex. : absence injustifiée, insuffisance professionnelle, comportement inadapté, etc.). Dans ce cas, les réponses devront être rendues en se référant à un cadre réglementaire préexistant tout en étant proportionnées, respectueuses de l’intégrité des individus et porteuses de sens.
Le cadre disciplinaire sevra également être construit en tenant compte de l’activité réelle afin de ne pas générer de situations dissonantes où les contraintes du travail ne permettent pas l’application des règles, mettant de fait les collaborateurs en défaut.
Pour favoriser l’intégration collective du cadre, il est par ailleurs nécessaire de le formaliser, de le rappeler régulièrement et de l’appliquer de façon systématique. S’astreindre au principe d’exemplarité est également primordiale : les règles perdront en effet tout leur sens si la hiérarchie supérieure ne s’y conforme pas scrupuleusement.
Il est enfin nécessaire de préciser strictement les délégations de pouvoir et la latitude de chaque acteur de la chaîne hiérarchique en respectant un principe de bon sens : accorder à chaque échelon managérial les degrés de liberté et les outils lui permettant de traiter les situations auxquelles il est directement confronté. Un manager sera en effet peu crédible s’il est obligé de s’appuyer sur sa hiérarchie supérieure pour rendre ses arbitrages au quotidien.
Favoriser une posture managériale adaptée
Un cadre institutionnel n’a de sens que s’il est porté avec efficacité et conviction. Or, opérer un arbitrage ou apporter une réponse disciplinaire revient à endosser une posture peu naturelle.
« Recadrer », c’est se confronter à un ou plusieurs collègues afin de transmettre un message et mettre en œuvre des décisions pouvant générer des émotions ou des réactions négatives et dégrader durablement la qualité de la relation entre le manager et ses subordonnés. L’appréhension – somme toute naturelle – par les managers de ces conséquences négatives représente une importante source de stress et peut conduire à des comportements d’évitement ou des maladresses aux conséquences négatives.
L’exercice requiert un équilibre ténu entre fermeté et pédagogie et demande une véritable prise de recul. Il ne s’agit en effet pas seulement de transmettre une information, mais bien d’incarner l’institution, de justifier une décision et de faire en sorte que les motivations d’un arbitrage soient comprises.
Cette posture ne s’improvise pas. C’est pourquoi il est nécessaire d’accompagner tout manager dans l’acquisition des clés comportementales l’aidant à se positionner. Ce besoin d’accompagnement est encore plus important dans certains cas particuliers (managers issus de promotions internes, grande proximité entre le management et son équipe, ancienneté, etc.).
Les managers peuvent être soutenus par plusieurs biais comme la formation professionnelle ou les espaces d’échange d’expériences entre pairs.
La création d’instances consultatives (comité d’éthique, commission disciplinaire, etc.) pouvant être sollicitées pour aider à rendre des arbitrages représente également un levier utile. Ces instances permettent en effet aux managers de bénéficier d’une prise de recul et de l’avis de pairs, conférant à la décision un caractère concerté et collectif plus facile à assumer.
La culture d’entreprise joue également un rôle important. Un manager aura naturellement plus de difficulté à se positionner dans une culture d’entreprise excessivement permissive ou manquant d’exemplarité. Une posture adéquate repose ainsi sur l’engagement de la ligne hiérarchique à assumer collectivement la responsabilité du cadre institutionnel, à commencer par les hauts dirigeants.
Enfin, il est primordial d’associer l’ensemble de la ligne managériale à l’élaboration et à l’amélioration continue du cadre institutionnel dont elle est garante. Il est en effet essentiel que les décisions et les arbitrages fassent sens et ne mettent pas les managers dans des situations de dissonance où ils doivent assumer des positions avec lesquelles ils sont en profond désaccord.
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