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Nous avions partagé avec vous en 2018 un article sur les effets contre-intuitifs de l’autonomie au travail sur le bien-être. Précisément, nous rapportions que si cette ressource du travail, consensuellement perçue comme positive, est associée à une réduction du mal-être lorsqu’elle existe de manière modérée, elle entraîne étonnamment une augmentation de ce mal-être lorsqu’elle dépasse un certain seul d’intensité. Autrement dit, ce phénomène peut être comparé à la célèbre citation d’André Frossard « il ne faut pas abuser des bonnes choses ».
Aujourd’hui, nous vous proposons un focus sur la théorie qui explique les effets pervers de certaines ressources du travail, à savoir le Vitamin Model.
Le Vitamin Model, les postulats de base
Le Vitamin Model, a été introduit en 1987 par Peter Warr, aujourd’hui professeur émérite à l’Université de Sheffield au Royaume-Uni. Celui-ci est un modèle de bien-être au travail qui considère le côté obscur des caractéristiques de l’emploi habituellement perçues comme positives. Warr postulait l’idée selon laquelle certaines caractéristiques du travail présentent des effets curvilinéaire (en forme de U inversé) sur le bien-être, similaires à ceux des vitamines sur le corps humain (d’où le nom Vitamin model).
Précisément, toutes les vitamines sont essentielles à la santé physique de l’Homme. Une carence représente un danger. En revanche, un excès peut présenter deux effets distincts selon les vitamines considérées. A titre d’exemple, si un excès de vitamine E au-delà d’un certain seuil n’améliore, ni n’altère la santé, un excès de vitamine A devient quant à lui toxique.
Partant de cette analogie, Warr explique qu’il existe deux types de caractéristiques du travail, traditionnellement perçues comme positives, catégorisés selon la nature de leur effet sur le bien-être au-delà du seuil optimal :
- Les caractéristiques ayant un effet constant, illustré par l’effet de la vitamine E
- Les caractéristiques ayant un effet délétère, illustré par l’effet de la vitamine A
Warr a ainsi élaboré une liste de douze caractéristiques du travail correspondant à ces deux effets (E et A) au-delà du seuil optimal.
Caractéristiques ayant un effet constant (E)
Selon Warr, l’augmentation des caractéristiques du travail telles que la sécurité de l’emploi, le niveau du salaire, les nouveaux apprentissages, le confort et la sécurité de l’environnement de travail ou encore l’adéquation des équipements aux besoin, n’auraient plus d’effet additionnel positif sur la santé au-delà d’un seuil optimal. Toutefois et même titre que la vitamine E, un excédent ne présenterait aucun effet nocif sur la santé des salariés.
Caractéristiques ayant un effet délétère (A)
En revanche, l’excès des caractéristiques du travail telles que l’autonomie, la quantité des contacts sociaux, la quantité du feedback, la diversité des tâches et des lieux de travail ou encore le travail d’équipe, provoquerait au même titre que la vitamine A des effets nocifs sur la santé. Cet effet est qualifié de « curvilinéaire ».
Des travaux scientifiques soutenant cette théorie
Aujourd’hui, quelques travaux commencent à mettre en lumière ces effets.
Meyerding, professeur et chercheur à l’Université Gottfried Wilhelm Leibniz de Hanovre en Allemagne, a conforté en 2015 la crédibilité scientifique cette théorie chez un panel de 280 horticulteurs allemands en démontrant des effets curvilinéaires entre les caractéristiques professionnelles (A) et la satisfaction professionnelle.
Plus particulière concernant le cas de l’autonomie au travail, Stiglbauer et Kovacs (2017), chercheuses à Université de Linz, ont par exemple démontré que cette caractéristique (dans le choix des horaires, des méthodes et les prises de décision) présente un effet curvilinéaire sur le bien-être psychologique. En effet, parce qu’une autonomie excessive entraîne un accroissement des décisions à prendre et des objectifs à atteindre, une plus grande responsabilité et donc une probabilité accrue de faire des erreurs, elle génère une hausse de la pression au travail et détériore la santé. Par ailleurs, un collaborateur ayant une grande autonomie sans les compétences nécessaires lui permettant de faire face aux exigences de son travail risque d’accroître son un niveau de stress.
Quels enseignements ? Quelles applications pratiques ?
Bien que les travaux scientifiques restent peu nombreux, ils éveillent toutefois notre sens critique car ce modèle révèle au moins partiellement la complexité de la réalité professionnelle.
Si les caractéristiques positives du travail sont majoritairement reconnues comme ayant un effet salutaire sur la santé des salariés, évitons une trop grande simplification. En effet, il est absolument primordial de les considérer au regard du contexte et des ressources personnelles des travailleurs.
Le meilleur indicateur de leurs effets reste encore leur retour sur expérience. Recueillir les perceptions des salariés quant aux caractéristiques de leur travail permet, si nécessaire, de les ajuster au plus proche de leur niveau optimal.
Par ailleurs, l’analyse des besoins sur le terrain, une communication ascendante régulière (du bas vers le haut de la hiérarchie) ainsi que l’implication des salariés à la participation à la prise de décision peuvent permettre de rapporter les éventuelles difficultés rencontrées.
Conclusion
La Vitamin Model nous que démontre qu’il ne faut pas manipuler les caractéristiques du travail à la légère et qu’une veille constante des conditions de travail est nécessaire. Il s’agit d’agir en prenant systématiquement en compte les éléments de contexte en amont et les retours d’expérience des salariés en aval. L’amélioration des conditions de travail requiert une vigilance permanente.
Auteur
Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
Meyerding, S. G. H. (2015). Job Characteristics and Job Satisfaction: A Test of Warr’s Vitamin Model in German Horticulture. The Psychologist-Manager Journal, 18(2), 86–107. https://doi.org/10.1037/mgr0000029
Stiglbauer, B & Kovacs, C. (2017). The More, the Better? Curvilinear Effects of Job Autonomy on Well-Being From Vitamin Model and PE-Fit Theory Perspectives. Journal of Occupational Health Psychology, 23(4), 1-17. https://doi.org/10.1037/ocp0000107
Warr, P. (1987). Work, unemployment and mental health. Oxford science publications. Oxford, UK: Oxford University Press. https://doi.org/10.2105/ajph.94.1.82
Warr, P. B. (2007). Work, happiness, and unhappiness. Mahwah, NJ: Erlbaum. https://doi.org/10.4324/9780203936856
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