EDITORIAL – Le Blog QVT a choisi la thématique « Mettre le handicap en mots » pour la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées 2021. Nous constatons en effet que le discours sur le handicap au travail évolue peu et reste en décalage avec la complexité et la réalité du handicap dans le monde du travail d’aujourd’hui.
La 25ème semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées s’ouvrira le 15 novembre 2021. Une fois encore, la question de l’intégration et du maintien dans l’emploi des travailleuses et des travailleurs en situation de handicap sera au cœur des débats. Il est à ce titre légitime de questionner le discours général sur la question du handicap au travail.
Plus de trois décennies après la loi de 1987 instaurant l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés assortie d’une contrainte financière, il est aisé de constater que la façon dont on aborde le handicap au travail a peu évolué. Pourtant, le paysage de la santé au travail s’est considérablement transformé. Année après année, le vieillissement de la population active, l’évolution des contraintes imposées par la numérisation et la tertiarisation croissantes du tissu professionnel a bouleversé les enjeux de santé au travail. D’après les statistiques de la DARES, le nombre de licenciements pour inaptitude a plus que doublé cette dernière décennie.
Le handicap en milieu de travail ordinaire est désormais majoritairement imputable aux maladies chroniques invalidantes et aux pathologies psychiques, ces dernières étant la première cause de handicap dans le monde depuis les années 2010 selon l’OMS. Les premières statistiques démontrent que la prévalence de ces troubles psychiques s’accroît considérablement depuis le début de la pandémie de COVID-19.
Ces pathologies complexes et nombreuses partagent trois dénominateurs communs : la diversité des contraintes qu’elles génèrent dans la vie quotidienne des personnes qui en sont atteintes et leur caractère invisible les rendant difficilement tangibles par autrui. Dans une grande majorité de cas, elles apparaissent au cours du dernier tiers de la carrière, au moment où l’employabilité des personnes qui en souffrent est la plus réduite.
Parallèlement, la façon dont on se représente le handicap au travail évolue peu. Il reste associé avant tout aux déficiences motrices ou sensorielles lourdes, pourtant minoritaires en milieu de travail ordinaire. Pour beaucoup, le caractère inclusif des lieux de travail se résume à leur mise en accessibilité aux personnes à mobilité réduite ou déficientes visuelles et auditives.
Les maladies psychiques et, dans une moindre mesure, les maladies chroniques invalidantes, restent peu associées au champ du handicap. Souvent, les personnes qui en souffrent les taisent et n’ont pas connaissance de leurs droits. Rares sont celles qui effectuent une démarche de reconnaissance du handicap. L’apparition de ces pathologies, pourtant prévisibles en milieu de travail ordinaire, est encore trop vécue comme une fatalité à laquelle personne ne veut se confronter.
Le discours sur le handicap au travail est encore trop positiviste, assujetti aux codes du marketing social qui s’efforce de le rendre indolore et désirable aux yeux des employeurs.
Les acteurs institutionnels portent une responsabilité significative dans cet état de fait. Le discours sur le handicap au travail est encore trop positiviste, assujetti aux codes du marketing social qui s’efforce de le rendre indolore et désirable aux yeux des employeurs, quitte à tomber dans un discours simpliste gommant les contraintes et éludant les tabous.
La cause du handicap au travail ne peut être servie par de tels partis pris. Dans le monde du travail d’aujourd’hui, l’apparition de situations de handicap complexes représente indéniablement une difficulté importante pour le travailleur ou la travailleuse concernée, son entourage professionnel proche ainsi que sa hiérarchie. Cette difficulté forte ne doit pas être imputée au seul état de santé de la personne concernée. Elle est aussi le fruit d’un monde du travail construit autour de la doctrine chimérique de travailleurs en bonne santé perpétuelle, tout au long d’une carrière qui ne cesse de s’allonger. Ce vœu pieux se heurte à la réalité qui nous rappelle que près de 15 % des actifs français souffrent de pathologies chroniques impactant leur travail.
Parler du handicap dans sa vérité
Créer un débat constructif sur le handicap au travail passe avant tout par le fait d’admettre son caractère systémique. Dans un collectif de travail normalement constitué, il y aura toujours une part significative de travailleurs en situation de handicap. La plupart du temps, le handicap sera lié à des pathologies complexes et non-visibles, et engendrera des difficultés significatives s’il est mal pris en considération.
Partant de ce principe, la mise en débat du handicap dans sa réalité s’impose.
Comment objectiver les contraintes de pathologies non-visibles, dont les manifestations relèvent plus de la sphère cognitive ou relationnelle que du champ de l’accessibilité ?
Comment mieux considérer et accompagner ces pathologies pourtant prévisibles mais encore trop souvent stigmatisées, forçant les personnes qui en souffrent à les vivre dans la solitude et sans soutien ?
Comment libérer et déculpabiliser la parole dans des collectifs de travail qui côtoient quotidiennement le handicap, sans oser en parler ou agir, et qui subissent les difficultés engendrées par la défaillance de collègues souffrants ?
Comment enfin cesser d’éluder l’évident continuum entre la dignité des conditions de travail et l’inclusion des travailleuses et travailleurs handicapé.es en admettant enfin que les environnements de travail les plus usants sont également les plus précaires ?
C’est dans la perspective de promouvoir un discours de vérité allant au-delà des raccourcis simplificateurs que nous avons choisi la thématique « mettre le handicap en mots » pour la SEEPH 2021. Nous estimons en effet que la question de l’emploi et du maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap est un enjeu majeur qui mérite un débat de fond sans concession.
A travers cette thématique, nous reviendrons sur de nombreuses facettes concrètes de la mise en discussion du handicap au travail : le discours à tenir pour sensibiliser ou accompagner l’intégration, la façon de parler d’un handicap émergent et complexe, les outils pour objectiver et mettre en débat des contraintes à priori non-visibles et leurs conséquences individuelles et collectives.
D’aucuns pensent qu’aller aussi loin peut faire peur et dissuaderait les employeurs d’un engagement plus fort en faveur du handicap au travail. Nous pensons au contraire que ce discours de vérité répond à une attente collective. Nous sommes tous et toutes confronté.es à différents niveaux à ces situations. Il est temps de les regarder, d’apprendre à en parler et de cesser de les considérer comme une fatalité à taire. C’est à ce prix que nous bâtirons des environnements de travail véritablement inclusifs, au sens où il y devient enfin admis et accepté de ne pas être toujours en bonne santé.
Illustration : Tarsila do Amaral – Operários (1933)
Auteur :
Fadi Joseph Lahiani, Président d’AD Conseil
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