Job Crafting : Quand l’entreprise permet aux salariés de devenir les artisans de leur travail

18 Mar, 2021
Job crafting

[lwptoc]

L’employeur a longtemps été considéré comme le seul responsable des conditions de travail et du bien-être au travail des salariés, ce qui équivalait à les considérer comme des individus passifs qui ne font que s’ajuster à leur environnement de travail. Mais alors, comment expliquer que des salariés partageant un même contexte perçoivent différemment leur travail ? Pourquoi certains s’y épanouissent davantage ? Et comment s’y prennent-ils ? Il semble que certains individus puissent prendre l’initiative de redessiner les contours de leur travail : ils s’engagent dans des stratégies qualifiées de « job crafting ». Pour le favoriser, les employeurs ont leur rôle à jouer.

Qu’est-ce que le job crafting ?

De l’anglais « job » (= travail) et « crafting » (= fabriquer), le job crafting renvoie au fait de modeler différents aspects de son travail afin de le rendre plus en adéquation avec ses propres besoins, ses compétences et ses préférences, en somme, de donner plus de sens à son travail. Pour ce faire, les salariés peuvent augmenter leurs ressources sociales (par exemple, demander de l’aide), développer leurs ressources structurelles (par exemple, participer à une formation), rechercher des défis (par exemple, prendre en main un nouveau logiciel), ou encore, diminuer les obstacles (par exemple, éviter les conflits). Selon Wrzesniewski et Dutton, chercheuses américaines en psychologie du travail, le job crafting n’est pas l’apanage de certains domaines d’activité : quel que soit l’environnement, le travail peut être « recréé et fabriqué ».

Quels sont les avantages à s’engager dans du job crafting ?

Les salariés qui utilisent des stratégies de job crafting voient leur capital psychologique augmenté, c’est-à-dire qu’ils se sentent plus résilients (capables de se relever et de rebondir face à l’adversité, à l’incertitude ou à l’échec), plus efficaces (confiants en leurs capacités), ont plus d’espoir (capables de persévérer jusqu’à atteindre leurs buts), et sont plus optimistes (attentes positives quant à leur réussite présente et future). Le job crafting développe également le bien-être au travail et notamment l’engagement, la satisfaction et l’épanouissement au travail, tel que l’ont montré des études recensées par Wrzesniewski et Dutton et menées au sein de diverses professions. Ainsi, des infirmiers ont changé la qualité et la quantité de leurs interactions en s’intéressant davantage aux patients et à leur famille, des employés de cuisine ont modifié la perception qu’ils avaient de leur tâche en intégrant un processus créatif dans la réalisation des plats, ou encore, des ingénieurs ont davantage travaillé en groupe pour mener à bien des projets. Par ailleurs, une étude en psychologie du travail menée auprès de professionnels infirmiers français, par une équipe franco-québécoise collaborant avec Huyghebaert-Zouaghi, a montré que le job crafting est associé à davantage de satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux, qui eux-mêmes sont associés à une variété de conséquences positives. Si le concept promeut le bien-être au travail, il est également nourri par celui-ci. Tims et ses collaborateurs, chercheurs néerlandais en psychologie du travail, ont montré que les salariés en situation de bien-être ont davantage recours au job crafting. Autrement dit, ils sont plus enclins à faire des modifications positives dans leur environnement de travail, de telle sorte que celui-ci promeuve toujours plus leurs ressources et leur bien-être. En somme, cela les engage dans une forme de cercle vertueux. Du point de vue de l’employeur, avoir des salariés qui s’engagent dans du job crafting constitue également un avantage. En effet, Tims et ses collaborateurs ont montré que le job crafting est associé à un travail de meilleure qualité, à travers son impact direct et positif sur le bien-être des salariés, qui lui-même est associé à la performance au travail. Job crafting

Quatre stratégies pour mettre en œuvre le job crafting :

Pour s’engager dans du job crafting il est d’abord nécessaire que l’individu identifie dans son travail les éléments les plus importants, porteurs de sens et perçus les plus positivement. Ensuite, le salarié peut s’engager dans quatre stratégies de job crafting différentes :

  • Augmenter ses ressources sociales en développant des relations professionnelles positives, en cherchant du soutien social auprès de ses collègues, de son supérieur, ou encore en sollicitant des retours sur le travail de son supérieur hiérarchique.
  • Augmenter ses ressources structurelles, par exemple, en développant ses compétences, en demandant davantage d’autonomie, en participant à des formations, en demandant à ce que son rôle soit clarifié.
  • Rechercher des challenges, par exemple, en proposant de prendre de nouvelles responsabilités, de piloter un projet, de tutorer un nouvel arrivant.
  • Diminuer les contraintes faisant obstacle à la bonne réalisation de son travail en évitant par exemple les relations conflictuelles, les relations toxiques ou les procédures redondantes. Cela peut aussi passer par le fait d’éviter la surcharge de travail en apprenant à dire non ou en clarifiant ses disponibilités ou ses capacités.

 

Quel est le rôle de l’employeur dans la promotion du job crafting ?

Si la démarche de job crafting est bien à l’initiative des salariés, il serait injuste et peu réaliste de les tenir pour seuls responsables de leur bien-être et des conditions de travail dans lesquelles ils évoluent. Comme nous le mentionnions précédemment, la promotion du bien-être des salariés rend plus probable leur recours au job crafting. Ainsi, en s’engageant dans des démarches de promotion de la qualité de vie au travail et de prévention des risques psychosociaux, les employeurs ont la possibilité de favoriser des conditions qui peuvent stimuler les comportements de job crafting. Une étude en psychologie du travail, menée par l’équipe néerlandaise de Maria Tims, a par exemple révélé qu’une culture d’entreprise qui accorde aux employés un niveau d’autonomie suffisant pour prendre des décisions sans accroître la pression au travail  favorise l’apparition du job crafting. En sachant cela, un manager aurait tout intérêt à développer l’autonomie de ses collaborateurs, les ressources sociales à leur disposition et à leur donner la possibilité de relever des défis, afin de favoriser le processus vertueux de job crafting. De même, une organisation qui favorise le soutien social par une culture d’entraide et de collaboration suscite par la même occasion les comportements de job crafting. Leana et ses collaboratrices, chercheuses américaines en management, ont en effet observé dans 62 crèches de Pennsylvanie et du New Jersey que les professionnels bénéficiant de liens sociaux plus forts avec leurs pairs adoptaient plus fréquemment des comportements de job crafting que ceux qui déclaraient avoir des liens sociaux plus faibles. Ce résultat positif a été observé auprès d’employés disposant de la latitude nécessaire pour échanger des bonnes pratiques de partage de l’information pour faciliter la réalisation de tâches où ils étaient interdépendants. Enfin, une équipe internationale de chercheurs en management, dirigée par Kira, a révélé que certains contextes organisationnels favorisent le job crafting et en particulier les contextes de changement organisationnel (redimensionnement d’équipe, fusion, déménagement, arrivée de nouveaux salariés). Ces changements peuvent en effet représenter une opportunité d’accorder aux salariés la latitude nécessaire pour s’engager dans des stratégies de job crafting. Dès lors qu’elles s’engagent dans ce type de démarche, créant ainsi les conditions organisationnelles favorables au déploiement individuel de comportements de job crafting, les entreprises peuvent alors simultanément former leurs professionnels aux stratégies sous-tendant ce dernier. En effet, si certains salariés ont des prédispositions facilitant le recours à ces comportements, il peut également être intéressant de proposer une formation à l’ensemble du personnel. Cette formation pourrait inclure une analyse personnelle de l’adéquation entre le salarié et le poste afin de le mettre au défi de formuler des changements significatifs dans sa situation de travail. En somme, le job crafting bouleverse l’approche traditionnellement descendante de la promotion de la qualité de vie au travail et crée l’occasion d’un véritable partenariat entre l’entreprise et les salariés.   Dans ce texte, l’usage du genre masculin n’est pas utilisé pour discriminer et accréditer sa neutralité, mais uniquement pour alléger le texte.

Les auteures :

Léa MASSENET-VALAC


Léa MASSENET-VALAC
est étudiante en dernière année de Master de psychologie sociale, du travail, et des organisations à l’Université de Reims Champagne Ardenne. Elle s’intéresse particulièrement aux nouvelles technologies et à la qualité de vie au travail.

 

 

Alice Martinet

 

Alice MARTINET, finalise son cursus en psychologie sociale, du travail et des organisations à l’Université de Reims Champagne Ardenne. Suite à un parcours professionnel dans le milieu agricole, elle envisage d’accompagner les entreprises de ce milieu pour un développement de la qualité de vie au travail.

 

Quelques références :

Demerouti, E. (2014). Design your own job through job crafting. European Psychologist, 19(4), 237-247. Huyghebaert-Zouaghi, T., Morin, A. J. S., Forest, J., Fouquereau, E., & Gillet, N. (2020). A longitudinal examination of nurses’ need satisfaction profiles : A latent transition analysis. Current Psychology, 1‑23. Kira, M., van Eijnatten, F. M., & Balkin, D. B. (2010). Crafting sustainable work: Development of personal resources. Journal of Organizational Change Management, 23, 616–632. Leana, C., Appelbaum, E., & Shevchuk, I. (2009). Work process and quality of care in early childhood education: The role of job crafting. Academy of Management Journal, 52, 1169–1192. Petrou, P., Demerouti, E., Peeters, M., Schaufeli, W. B., & Hetland, J. (2012). Crafting a job on a daily basis: Contextual antecedents and the link to work engagement. Journal of Organizational Behavior, 33, 1120–1141. Tims, M., & Bakker, A. B. (2010). Job crafting: Towards a new model of individual job redesign. South African Journal of Industrial Psychology, 36, 1–9. Tims, M., Bakker, A. B., & Derks, D. (2013). The impact of job crafting on job demands, job resources, and wellbeing. Journal of Occupational Health Psychology, 18, 234–245. Van Wingerden, J., Bakker, A. B., & Derks, D. (2016). The longitudinal impact of a job crafting intervention. European Journal of Work and Organizational Psychology, 26(1), 107-119. Wrzesniewski, A., & Dutton, J. E. (2001). Crafting a job: Revisioning employees as active crafters of their work. Academy of Management Review, 26, 179–201.

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