L’analyse des pratiques professionnelles au service de la qualité de vie au travail

28 Mar, 2019
Un article d’Yves PONS, Consultant AD CONSEIL, Ergologue & IPRP

L’analyse de la pratique est un espace de ressourcement, de prise de recul et de soutien social. Elle représente aussi un cadre de professionnalisation, d’analyse des phénomènes transférentiels, de renforcement ou de restauration de l’identité professionnelle, c’est-à-dire l’élaborations de ressources personnelles et collectives pour préserver sa santé et accompagner l’usager dans le cadre de son projet de vie. C’est pourquoi le choix de l’intervenant et du référentiel mobilisé, plus que pour toute autre formation, est déterminant en fonction des priorités que l’on se donne avec le groupe de participants. Quelle que soit l’approche, l’analyste doit être garant du cadre groupal avec ses règles, ses limites, ses repères spatiaux et temporels permettant à chacun de parler librement de sa pratique sans être jugé.

Les trois paradigmes de l’analyse de la pratique

Trois paradigmes principaux se sont dégagés successivement au cours du vingtième siècle et s’inscrivent aujourd’hui dans des dispositifs de formation initiale ou continue sous le même vocable de Groupes d’analyse des pratiques professionnelles.

Les 3 paradigmes représentés par ordre d’apparition dans l’histoire des sciences humaines et sociales. Le dernier paradigme ne chasse pas le(s) précédent(s) qui continue(nt) à s’enrichir.

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Les finalités attendues pour une organisation qui met en place ces groupes sont multiples : accompagnement du changement, évolution des représentations, transformation des pratiques individuelles et collectives, régulation des problèmes de dynamique de groupe, production de connaissances ou promotion de la bientraitance.

Le premier paradigme se matérialise peu après la seconde guerre mondiale à Londres où le psychiatre et psychanalyste anglais d’origine hongroise, Michael Balint (1896-1970) fait travailler des médecins à partir de situations problème pour faire émerger la place des processus inconscients dans la relation avec leurs patients, c’est la naissance des groupes Balint. S’appuyant sur les concepts psychanalytiques de transfert et de contre-transfert, il pointe ce qui est en jeu dans cette pratique et notamment le fait que les relations d’un sujet à un autre soient soumises à des prototypes infantiles, qui organisent le champ de la relation à l’insu des sujets eux même. Il postule l’importance déterminante de la relation patient/médecin dans le processus de guérison : « Le médicament de beaucoup le plus utilisé en médecine générale était le médecin lui-même »[1] mais quelle est la bonne dose et qui la prescrit ? Le titre de son ouvrage, publié à Londres en 1957, est d’ailleurs « Le médecin, son malade et la maladie » et non le médecin, le patient et sa maladie. Il démontre ainsi l’impossibilité de découper les problèmes de santé en psychique et somatique.

Dès 1918 Sigmund Freud (1856-1939) confronté à la transmission de la psychanalyse avait mis en place un groupe de formation des analystes à partir de leurs difficultés dans la relation avec les analysants. C’est cette dimension formative que l’on retrouve dans le groupe Balint. Sandor Ferenczi (1873-1933), membre du groupe viennois de 1908 à 1933 et considéré par S. Freud comme son fils spirituel est le trait d’union entre eux. En effet M. Balint est l’élève et l’analysant de S. Ferenczi qui présente en 1908 au congrès de Salzbourg son travail sur le thème psychanalyse et pédagogie. D’ailleurs M. Balint poursuit l’œuvre théorique de S. Ferenczi dans le cadre du courant de la psychanalyse hongroise. On peut donc parler de continuité entre Freud, Ferenczi et Balint dans l’émergence de cette méthode de professionnalisation articulant pratique et théorie. Le dispositif s’est ensuite ouvert à d’autres métiers et d’autres référentiels comme la psychanalyse groupale ou la psychologie clinique. D’ailleurs aujourd’hui l’analyse des pratiques professionnelle constitue un débouché très important pour les psychologues cliniciens qui continuent à enrichir cette approche.

Une seconde approche apparait avec l’ouvrage de Donald Alan Schön (1930-1997) publié en 1983 en Amérique du Nord « Le praticien réflexif – A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel » qui paraît en France en 1993 et où l’auteur souligne les difficultés de décrire ou d’expliquer les actes produits de manière intuitive. Il attribue ce phénomène au caractère tacite et implicite des savoirs pratiques. Avec Chris Argyris (1923-2013), D. A. Schön élabore une théorie de l’apprentissage organisationnel au Massachusetts Institute of Technology. Si C. Argyris est influencé par Kurt Lewin (1890-1947) et ses groupes de recherche-action, D. A. Schön, revendique l’influence du pragmatisme de John Dewey (1859-1952), adepte des démarches dites « actives » où la construction des savoirs se fait dans l’action, une approche constructiviste, bien résumé par la formule « learning by doing ».

Constatant que les apprentissages académiques sont peu opérants pour résoudre des problèmes rencontrés dans le cadre d’une pratique professionnelle, ils proposent aux praticiens de construire des modèles d’action à partir d’une réflexion sur leurs propres actions, ce travail de réflexion étant producteur d’un savoir. L’enjeu est alors d’enrichir les représentations des praticiens afin de leur donner une meilleure capacité à décider dans l’action. L’analyse de pratiques réflexive réalise ainsi un processus de lecture et d’analyse qui vaut pour d’autres situations professionnelles en s’appuyant sur l’action et sur la conceptualisation.

Les fondateurs de cette école relativisent ainsi la suprématie des savoirs académiques par rapport aux savoirs que le professionnel mobilise dans l’action. Aujourd’hui cette approche est prolongée et enrichie dans le champ de la psychologie sociale et de la psychologie du travail et des organisations.

Le troisième courant, plus récent, est celui de l’analyse du travail qui permet d’interroger la tension féconde entre travail réel et travail prescrit avec des outils comme l’autoconfrontation, la confrontation croisée ou encore l’instruction au sosie. L’analyse du travail est portée par les ergo-disciplines et notamment l’ergonomie de l’activité, la clinique de l’activité, la psychodynamique ou l’ergologie. L’approche ergologique se fonde sur le dispositif dynamique à trois pôles (DD3P) qui met en rapport, dans l’espace social, deux rationalités répartis aux deux pôles d’un même axe. Leur séparation est un construit social alors qu’une continuité existe potentiellement. Le premier pôle est constitué des savoirs formels de ceux qui prescrivent le travail. Le second pôle comprend les savoirs investis dans l’activité de ceux qui réalise ce travail. Un troisième pôle est garant du dialogue et de la rencontre de ces savoirs. Ce dispositif s’incarne en entreprise par une modalité d’intervention qui est le groupe de rencontre du travail (GRT). Formaliser les savoirs investis dans l’activité et faire émerger les réserves d’alternatives permet de rendre ces savoirs visibles et communicables et d’organiser le dialogue et la rencontre des rationalités dans une visée de production de connaissances nouvelles et donc de transformation des situations de travail.

Analyse de la pratique et amélioration de la QVT

L’approche d’un praticien peut être fidèle à l’un des trois paradigmes fondateurs tout comme elle peut être hybrides ou multiréférentielles. Dans les deux cas, les groupes d’analyse des pratiques professionnelles constituent des leviers d’amélioration de la qualité de vie au travail agissant sur les caractéristiques du travail en diminution des contraintes et en amélioration des ressources.

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Dans le cas particulier des exigences émotionnelles, l’approche de la psychanalyse de groupe et de la psychologie clinique, semble naturellement plus outillé pour faire travailler les participants sur les phénomènes transférentiels. Nous avons évoqué notamment l’importance du cadre soutenant, porté par l’animateur, dans l’accompagnement des professionnels exerçant des métiers à forte dimension relationnelle.

Pour un travail sur la clarté des rôles intrinsèque ou extrinsèque, la reconnaissance, la latitude décisionnelle, la communication de proximité ou la performance collective, ce sont les approche de la psychologie sociale et de l’analyse de l’activité qui semblent être les plus opérantes.

Il est délicat de proposer une catégorisation pratique en fonction des publics ou des familles de métiers dont les besoins correspondraient strictement à une typologie d’analyse des pratiques professionnelles. Traditionnellement le paradigme de la psychanalyse groupale et de la psychologie clinique est très implanté et en position de quasi-monopole dans l’enseignement, le travail social, le médicosocial compte tenu de son antériorité et de la place dominante qu’à tenu la psychanalyse. Pour les métiers où la dimension relationnelle est forte (éducatrices spécialisés, assistantes de service social, psychologues et médecins) ce paradigme semble toujours le mieux outillé pour travailler la place faites aux processus inconscients dans la relation, privilégiant ainsi l’implication du praticien en tant que sujet en rapport avec sa propre histoire.

A contrario les métiers qui subissent de fortes transformations et/ou une augmentation du travail prescrit sous l’effet des démarches de certification, des démarches qualité ou des évaluations internes/externes de bonnes pratique professionnelles auraient intérêt à s’ouvrir à des approches basées sur l’analyse de l’activité et la psychologie sociale

Il en va de même à faible niveau de qualification comme les accompagnantes éducative et sociale (AES) et les aides-soignantes (AS) et ceux dont l’identité professionnelle est fragile, notamment les fonctions supports « hors cœur de métier », souvent laissés à l’écart des débats institutionnels.

Si l’on considère non plus des métiers mais des organisations, celles dont le dialogue social est en panne gagneraient à s’ouvrir au dispositif ergologique avec les groupes de rencontres du travail parce qu’ils permettent le dialogue des rationalités et ce quel que soit le secteur d’appartenance.

[1] Le médecin, son malade et la maladie, Payot, Paris, 1972, p. 9.

Pour en savoir plus :

Photo by Vince Fleming on Unsplash

 

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