Gestion de crise : le silence est-il d’or ?

12 Jan, 2021
Le silence est d'or gestion de crise

[lwptoc]

Parce que les situations de crise entraînent un vide informationnel, une perte de contrôle et une insécurité au travail pour les salariés, le silence des dirigeants est en général fortement déconseillé. En effet, pour pallier une incertitude, les salariés vont activement chercher des réponses à leurs interrogations. Il est alors admis dans l’imaginaire collectif que l’organisation devrait réagir le plus rapidement possible en cas de crise pour réaffirmer son contrôle et sa crédibilité ainsi que pour éviter l’émergence de rumeurs. En revanche, une réponse trop lente ou une non-réponse sont, elles, souvent interprétées comme un signe d’incompétence, de négligence voire d’indifférence.

En 2018, Le et ses collaborateurs, chercheurs en sciences de la communication et de l’information, ont publié une étude révélant que le silence peut être une stratégie efficace en situation de crise lorsqu’on y a recours dans les bonnes conditions.

La rédaction du blog QVT a choisi aujourd’hui de vous rapporter les résultats de cette étude qui peut sembler contre-intuitive.

Alors, en gestion de crise, quand est-ce que le silence est d’or ?

Distinguer le silence involontaire du silence volontaire

Le silence peut tout d’abord être défini comme « un manque de communication de la part d’une organisation ou son incapacité à fournir des réponses claires et adéquates aux questions ou préoccupations soulevées » (Woon et Pang, 2017). Dans ces conditions, il peut être involontaire ou volontaire.

Le silence involontaire se produit lorsque l’organisation n’a guère d’autre recours, c’est-à-dire qu’elle ne dispose par des moyens nécessaires pour acquérir et diffuser rapidement les informations. En revanche, celui volontaire renvoie à une décision délibérée. Dans ce cas, il peut être qualifié de « stratégique ».

Différentes stratégies du silence pour différents effets

Le et ses collaborateurs (2018) ont identifié, sur la base d’une étude de cas de huit crises internationales, trois stratégies du silence distinctes ;

  1. La stratégie de « l’évitement par le silence » est utilisée lorsque l’organisation a l’intention d’éviter de répondre aux demandes des parties prenantes sur des problématiques techniques et budgétaires par exemple.
  2. La stratégie de « la dissimulation par le silence » est utilisée pour cacher volontairement et de façon indéterminée des informations pertinentes pour les parties prenantes et mettant en cause la responsabilité de l’organisation.
  3. La stratégie du « retardement par le silence » est utilisée, elle, pour signaler que les dirigeants travaillent à l’élaboration d’une réponse. Cette stratégie est caractérisée par l’intention claire de rompre ce silence lorsqu’un plan d’action opérationnel aura été identifié.

L’étude de cas a permis aux auteurs de l’étude d’observer que le recours aux deux premières stratégies menait systématiquement à des effets négatifs pour les salariés comme pour l’image de l’organisation pendant et après la crise. En revanche, ils ont constaté que la troisième stratégie peut être tolérée par certaines parties prenantes dans certaines conditions. Ces résultats remettent donc en question l’opinion dominante selon laquelle en temps de crise, les organisations devraient toujours émettre une réponse la plus rapidement possible.

Il est important de souligner que la stratégie du « retardement par le silence » doit être adoptée seulement lorsque c’est nécessaire, c’est-à-dire que les dirigeants ont besoin de temps pour (1) comprendre les causes et les enjeux de la crise et pour (2) élaborer un plan d’action adapté.

Les quatre avantages du « retardement par le silence »

  1. En premier lieu, parce qu’il est utilisé pour signaler le travail en cours des dirigeants sur le sujet, le retardement par le silence peut être plus tolérable pour les salariés car il souligne la recherche active de solution et annonce la préparation d’une stratégie opérationnelle.
  2. Ensuite, le retardement par le silence offre à l’organisation un délai supplémentaire pour mener une enquête plus approfondie avant d’émettre la réponse la plus pertinente possible (temps de recueil des informations et d’élaboration d’une stratégie adaptée).
  3. Par ailleurs, lorsqu’il est associé à une vigilance constante des menaces et des changements extérieurs, il permet une adaptation plus aisée du plan opérationnel adopté à l’évolution des conditions environnementales.
  4. Enfin, le retardement par le silence permet aux dirigeants d’être en situation de proactivité, car elle détermine la rupture du silence et leur donne ainsi le contrôle de la communication de crise.

Une condition essentielle : la déclaration préliminaire

Les chercheurs postulent également que lorsque les dirigeants souhaitent avoir recours à la stratégie du « retardement par le silence » pour signaler aux salariés le travail d’investigation en cours, il est absolument primordial qu’une « déclaration préliminaire » soit émise avant la phase de silence.

Cette déclaration préliminaire présente plusieurs avantages :

  1. Tout d’abord, elle permet d’éviter le risque d’adopter une position prématurément avant que l’organisation ne soit prête à s’y engager ou qu’il y ait changement de position.
  2. Ensuite, elle permet aux dirigeants d’avoir le temps de recueillir un maximum d’informations pour prendre les décisions les plus pertinentes.
  3. Elle permet également aux dirigeants de se concentrer sur la résolution du problème sans distraction (en dehors de la vigilance constante des menaces et des changements).
  4. Enfin, elle permet d’éviter le flot de critiques potentielles associé au silence absolu qui pourrait être interprété comme une rétention d’informations ou une culpabilité.

Le guide pratique du « retardement par le silence »

Le et ses collaborateurs (2018) proposent au terme de leur étude un guide pratique de recours au retardement par le silence en quatre étapes :

Etape 1 – Etudier la pertinence du recours au « retardement par le silence » 

Lorsque la crise survient, les dirigeants doivent en premier lieu avoir l’interrogation suivante : « Avons-nous besoin de temps pour mieux comprendre la crise et pour prendre des décisions pertinentes ? ». Si la réponse est affirmative, alors la direction peut adopter la stratégie du « retardement par le silence ».

Etape 2 – La planification du silence

L’organisation doit en second lieu faire une annonce préliminaire pour signaler que les dirigeants vont travailler à l’élaboration d’une réponse opérationnelle. Si la direction en dispose, cette déclaration préliminaire peut inclure des informations préliminaires. Toutefois, elle ne devrait pas indiquer de position précise (laissant une marge de liberté pour élaborer la stratégie la plus pertinente).

Etape 3 – Le maintien du silence

La phase de silence va ainsi permettre aux dirigeants d’enquêter et de recueillir des informations nécessaires pour comprendre la crise, pour prendre des décisions et se préparer à l’émission de la réponse formelle (et à la logistique associée). Pendant ce temps, l’organisation doit surveiller en permanence les menaces et les changements externes de l’environnement pour détecter toute intensification de la crise. Dans ce cadre, il faut nécessairement prévoir des réponses d’urgence appropriées au cas où il serait nécessaire de rompre prématurément le silence.

Etape 4 – Rompre le silence

Lorsqu’elle a obtenu suffisamment d’informations et s’est préparée de manière adéquate, l’organisation peut rompre le silence en émettant la ou les réponses formelles. Il faut posteriori surveiller les perceptions qu’ont les salariés de la réponse donnée afin de détecter si l’image de l’organisation a été affectée négativement par la stratégie choisie.

Conclusion

Si le silence des dirigeants est généralement déconseillé en période de gestion de crise, la recherche scientifique démontre qu’il n’a pas que des effets délétères. Précisément, l’utilisation du « retardement par le silence » dans les bonnes conditions pourrait être une stratégie de communication de crise efficace et présente de multiples avantages pour les dirigeants. Cette stratégie représente même un recours utile dans un monde professionnel où la crise s’accompagne souvent de communications immédiates, parfois impulsives, maladroites, et finalement contre-productives. Toutefois, ce silence stratégique doit être utilisé en connaissance de cause, seulement lorsqu’il est nécessaire, et doit systématiquement être accompagné d’une déclaration préliminaire.

Auteur

Julia Aubouin Bonnaventure

Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.

Bibliographie

Le, P. D., Teo, H. X., Pang, A., Li, Y., & Goh, C.-Q. (2019). When is silence golden? The use of strategic silence in crisis communication. Corporate Communications: An International Journal, 24(1), 162‑178. https://doi.org/10.1108/CCIJ-10-2018-0108

Woon, E. & Pang, A. (2017). Explicating the information vacuum: stages, intensifications, and implications. Corporate Communications: An International Journal, 22(3), 329-353. https://doi.org/10.1108/CCIJ-10-2016-0066

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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