A l’occasion de la semaine de la QVT 2020, AD CONSEIL vous propose des témoignages et retours sur expériences de travailleurs dits « essentiels ». L’objectif est à la fois de documenter ces semaines exceptionnelles, mais aussi de capitaliser les bonnes pratiques et de tirer des enseignements utiles sur lesquels nous reviendrons en fin de témoignage. Nous vous proposons aujourd’hui de revenir sur le témoignage d’Aurélie, Préparatrice en pharmacie.
Que faites-vous dans la vie ?
Je suis préparatrice en pharmacie. Mon métier consiste à vendre des médicaments avec et sans ordonnances et vendre des produits de parapharmacie.
En quoi le covid-19 a bouleversé votre quotidien au travail ?
Dans un premier temps au niveau sanitaire, nous prenions beaucoup de temps à nettoyer les comptoirs, les vitres et les machines à carte bleue. Nous avons dû travailler avec des masques et des gants. Cela a beaucoup changé notre quotidien car notre métier est avant tout centré sur l’humain.
Nous voyons certains clients au moins une fois par mois pour renouveler leur traitement ou leurs produits pour leur bébé. On se sent est proche d’eux, on connait leur famille, on rigole avec eux.
Cette pandémie a instauré une certaine distance, notamment vis-à-vis des personnes âgées. Nous avons essayé de maintenir les distances de sécurité avec nos clients, mais certains sont malentendants. Nous n’osions plus trop leur parler car avec les masques nous devions hurler dans la pharmacie et nous préférions éviter car la pharmacie reste un lieu de confidentialité.
Nous passions moins de temps à prendre des nouvelles, à échanger, et cela a tendu les relations. Certains clients ne se rendaient pas compte de la gravité de la situation et il fallait leur rappeler les règles de distanciation sociale. Ils prenaient ça comme une agression. C’était dur de leur faire comprendre que nous réagissions ainsi pour les protéger.
Quelles ont été les mesures prises dès le début de confinement ? Ces mesures ont-elles évolué ?
Ces mesures restent d’actualité aujourd’hui encore. Nous garderons les masques au moins jusqu’en septembre. Pendant toute l’épidémie, nous mettions des gants, mais nous sommes actuellement en pénurie donc nous nous lavons les mains très régulièrement. La situation reste compliquée car il suffit qu’il y ait un peu d’affluence dans la pharmacie pour que je n’y pense pas systématiquement.
Je constate aujourd’hui un peu de relâchement par rapport aux mesures prises au début de la pandémie.
Comment définiriez-vous vos conditions de travail pendant cette crise ?
Un stress permanent : des travailleurs stressés et des usagers ou clients parfois agressifs
C’était très stressant et fatiguant. Il y avait une très forte demande de masques et de gels et nous ne pouvions malheureusement pas y répondre. Par conséquent, les gens étaient agressifs car nous ne pouvions pas leur fournir ce qu’ils demandaient.
Il y avait une grande différence entre ce qu’ils entendaient dans les médias et notre discours.
Les gens n’étaient pas agréables. Certains clients se sont montrés condescendants ou culpabilisants. Très peu ont fait preuve de reconnaissance alors que nous aurions pu faire valoir notre droit de retrait. Cela devenait pesant d’aller travailler.
Une fois que nous avons pu répondre à leur demande, l’ambiance était nettement meilleure.
Nous avons aussi vendu beaucoup de médicaments contre le stress et pour le sommeil. On nous a demandé beaucoup de tests de grossesse aussi. J’ai vendu en deux mois ce que je vends d’habitude en six mois.
Comment avez-vous perçu le management, la communication et l’organisation au sein de votre équipe ?
Une direction parfois absente mais une équipe sur le terrain soudée
J’ai un patron en fin de carrière et qui délègue énormément aux pharmaciennes présentes. Nous avions très peu de communication de sa part.
Nous recevions tous les jours des mails informatifs de la part de la sécurité sociale et de l’agence du médicament avec les nouvelles instructions à suivre. Notre responsable n’était pas toujours à jour concernant ces informations. Il faisait aussi partie des personnes à risque et était très affecté psychologiquement par l’épidémie. Entre collègues, nous sommes restés très solidaires et nous avons beaucoup communiqué.
Pensez-vous que cette crise aura des répercussions sur votre façon de travailler à posteriori ?
Des gestes d’hygiènes qui doivent perdurer
Nous nous sommes rendus compte, nous n’étions pas assez exigeants sur le plan de l’hygiène. En temps normal, nous avons une femme de ménage qui vient tous les soirs nettoyer les comptoirs, mais nous ne pensions pas à nettoyer systématiquement la machine à carte bleue par exemple. Maintenant, je trouve nécessaire de laisser du gel hydroalcoolique à disposition des clients à l’entrée de la pharmacie ou de perpétuer certaines habitudes acquises à cause du COVID-19.
Je pense également qu’il est essentiel de conserver l’habitude de porter des masques pendant les périodes hivernales. Les mesures de prévention du COVID-19 sont les mêmes que pour la grippe. Porter un masque dans l’espace public pendant les périodes à risque est une pratique préventive à maintenir.
Quels sont les enseignements que vous tirez de cette crise sanitaire ?
Premièrement, je pense que nous n’étions pas du tout préparés. J’ai un côté très humain, mais j’ai saisi qu’il ne fallait pas se montrer trop gentil dans certaines circonstances.
Avec mes collègues, nous n’avons compté que trois personnes qui nous ont remercié pour notre travail là où nous recevons 180 clients par jour
Pourtant, notre travail est essentiel, la fourniture de médicaments ne peut s’interrompre. Ce manque de reconnaissance a désormais créé une distance qui n’existait pas auparavant avec nos clients.
Quels enseignements ? L’avis du Blog QVT.
Ce témoignage met avant tout en évidence la difficulté à adopter des routines contraignantes, même si elles sont composées en apparence de gestes simples à réaliser. Ces nouveaux gestes demandent une mobilisation attentionnelle forte et constituent une véritable contrainte cognitive.
Le témoignage d’Aurélie met en évidence l’évolution des comportements des usagers en situation de tension et de danger. Ces dernières sont propices aux comportements individualistes et peuvent être à l’origine de violences et d’incivilités. Comme nous l’avions détaillé dans un précédent article, les professionnels exposés à ces exigences émotionnelles fortes s’exposent à un risque d’usure et développent des postures défensives qui distendent le lien avec les usagers ou les clients et favorisent encore plus les tensions. C’est un véritable cercle vicieux qu’il est nécessaire de prévenir.
L’absence de reconnaissance malgré le risque encouru au nom de l’intérêt collectif pèse également et affecte le lien entre professionnels et clients.
Suite à de telles expériences, des mesures d’écoute et de régulation peuvent être utiles. A contrario, le fait de banaliser ou de passer sous silence de telles situations laissera des traces durables et affectera à long terme la qualité de vie au travail des professionnels exposés.
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