Les retours sur expérience de la crise sanitaire : 3/3 – Robin, Facteur

19 Juin, 2020
Témoignage confinement

A l’occasion de la semaine de la QVT 2020, AD CONSEIL vous propose des témoignages et retours sur expériences de travailleurs dits « essentiels ». L’objectif est à la fois de documenter ces semaines exceptionnelles, mais aussi de capitaliser les bonnes pratiques et de tirer des enseignements utiles sur lesquels nous reviendrons en fin de témoignage. Aujourd’hui nous vous présentons Robin, facteur depuis 3 ans à Paris. Il revient sur son expérience pendant le confinement.

En quoi le covid-19 a bouleversé votre quotidien au travail ? Et quelles ont été les mesures prises dès le début de confinement ?

Nous sommes une équipe de douze personnes. Durant la pandémie, cinq d’entre elles, dont mon responsable, étaient absentes pour des raisons de santé ou de garde d’enfants. Au sein de notre équipe, un collègue dit « polyvalent » assure les tournées des personnes absentes. Pendant la crise, il a assuré 4 tournées au lieu de 2 initialement. L’adjointe au Responsable faisait également la même chose. En temps normal, elle gère plus les tâches administratives et managériales mais face à ce fort besoin, elle a également réalisé 4 tournées quotidiennes, ce qui correspond à environ 20 km de marche par jour. Nous avons aussi fait appel à un intérimaire. Des étudiants venaient enfin faire des tournées ponctuelles. Malgré le manque de personnel, nous avons réussi à livrer l’ensemble de nos tournées et cela était extraordinaire !

Nous avons eu l’ordre de ne plus distribuer les recommandés afin de ne plus avoir de contact physique avec les clients. Ces recommandés ont étés retenus à la source pendant environ deux semaines. Cette mesure a sensiblement allégé nos tournées. Nous pouvions également fusionner nos tournées du matin et de l’après-midi et ainsi ne travailler que le matin.

La première semaine de confinement, la Direction n’a pas pris de mesures spécifiques et a semblé prise de court. La deuxième semaine, la elle a annoncé que les facteurs ne viendraient que deux jours par semaine.
Nous nous sommes inquiétés car nous pensions que nous allions être submergés de courrier mais finalement, la quantité de travail était adaptée à la situation. Après un mois de confinement, nous travaillions 3 jours par semaine. Aujourd’hui, le rythme est redevenu presque normal. Nous avons repris notre travail à 85%.

Une lenteur dans la mise en œuvre de mesures adaptées

La Poste est une très grande structure, 250 000 personnes qui y travaillent et nous sommes 70 000 facteurs. Ce n’est peut-être plus une administration publique depuis 2011, mais elle garde le poids et la lenteur d’une grande administration. La réactivité y est assez faible.

Concernant les mesures d’hygiène, nous avons reçu des masques deux jours après le début du confinement.  Nous recevions une boite de 50 masques pour toute l’équipe chaque semaine et nous avions également des gants à disposition.
Le port du masque a été rendu obligatoire dans les locaux de La Poste car il y a une cohabitation entre plusieurs entités : la Banque Postale, le réseaux (les guichetiers) et nous autres facteurs. *

Le facteur est une personne assez libre car il est de fait mobile et difficile à contrôler 

Personnellement, je n’étais pas très enthousiaste pour porter un masque pendant ma journée de travail. Pendant ma tournée, le port du masque n’était pas obligatoire.
Dans notre culture professionnelle, le facteur est une personne assez libre car il est de fait mobile et difficile à contrôler.

J’ai questionné plusieurs fois ma hiérarchie à propos des conduites à tenir en tournée, mais aucune consigne particulière ne m’a été donnée.
J’ai donc fait mes tournées sans masque tout en faisant bien attention à éviter tout contact. Les rares personnes que je rencontrais au début du confinement ne m’ont pas posé de questions. Il était tellement difficile de se procurer des masques à ce moment-là que personne ne m’en a tenu rigueur. Vers la fin du mois d’avril, quelques personnes ont commencé à me questionner à ce propos. Je leur ai répondu que j’étais équipé mais que c’était un choix personnel.
Un de mes collègue s’est fait insulter pendant sa tournée car il ne portait pas de masque.

Mais la plupart de mes collègues portaient des masques pendant leur tournée. Ils faisaient l’inverse de ce que je faisais. Il portaient des masques à l’extérieur. Dans nos bâtiments, ils ne le portaient plus et il y avait un relâchement de leur part. Ça me dérangeait un peu car on n’avait pas forcément d’espace dans des lieux confinés. Je n’étais pas forcément rassuré.

Comment définiriez-vous vos conditions de travail pendant cette crise ?

De manière générale, j’étais assez content. A titre personnel, j’avais choisi le métier de facteur pour sortir. Sans vraiment l’avoir anticipé, je me suis rendu compte que ce métier est très gratifiant car beaucoup de gens restent attachés au facteur. C’est un métier qui peut être très sympathique.

On s’adressait à moi comme un personnage bienveillant faisant partie de la vie du quartier

J’ai gardé cette opinion pendant tout le confinement . Elle s’est même renforcée. Quand on me croisait dans la rue, on s’adressait à moi comme un personnage bienveillant faisant partie de la vie du quartier.

Comment avez-vous perçu le management, la communication et l’organisation au sein de votre équipe ?

Pendant les trois premières semaines, il y a eu une période de flottement car notre service est décentralisé. Notre manager était en arrêt maladie. Nous étions seulement en contact avec l’adjointe au responsable. L’avantage est qu’elle est très proche de l’équipe et la communication est restée fluide entre nous. Elle prenait le soin de ne pas dramatiser la situation.

Un de nos collègues s’est montré très inquiet. Il est d’origine asiatique et a un accent. Il avait l’impression que les gens le regardaient avec méfiance et le considéraient comme un vecteur de la maladie. Il a très mal vécu cette situation et s’est replié sur lui-même.  Il a même arrêté de nous parler le premier mois.

Pensez-vous que cette crise aura des répercussions sur votre façon de travailler à posteriori ?

 Pour l’instant oui, cette organisation risque de durer jusqu’en août.
Avec la présence toujours plus forte du numérique, notre métier de facteur est en train de mourir. Nous nous sommes donc forcément posés des questions sur l’évolution de notre métier avec la pandémie. Plusieurs de mes collègues se sont demandés si notre mission était réellement indispensable pendant le confinement.

Le facteur est le dernier contact physique systématique qui rencontre tous les gens 

Le fait de supprimer la distribution des recommandés qui est notre service le plus important m’a questionné. Je me suis demandé si il était nécessaire de distribuer le courrier ordinaire malgré l’alternative sécurisée qu’offre Internet. Le contexte nous a également permis de constater que dans une  société atomisé et individualisée, le facteur est le dernier contact physique systématique qui rencontre tous les gens. Je pense que ce lien est très important. Le maintien de la distribution du courrier ordinaire dans un contexte de pandémie reste toutefois très discutable.

Quels sont les enseignements que vous tirez de cette crise sanitaire ?

J’aurais voulu personnellement en faire plus. J’ai trouvé du sens dans la mission de service public qui est loin de se résumer à distribuer bêtement le courrier,  mais qui réside dans le lien que l’on créé avec les gens.

Je pense également que les organisations plus petites ont pu être plus réactive et mieux adaptées à la situation. En France, la centralisation de la décision dans les administrations et le délai important de entre la décision et son application dû aux nombreuses strates hiérarchiques nous a desservis.

Quels enseignements ? L’avis du Blog QVT.

Le témoignage de Robin met en évidence l’importance de deux éléments essentiels dans le management des crises.

  • La nécessaire réactivité qui tient moins à la taille des organisations qu’à leur capacité à offrir une véritable latitude décisionnelle au management opérationnel. Loin de ces approches, le jacobinisme français a particulièrement montré ses limites et ses effets pervers au cours de la crise sanitaire.
  • La clarté et la fermeté des prises de positions managériales, notamment lorsque les organisations font face à des enjeux de santé et de sécurité. Dans le cas présent, le flottement que nous avons observé dans de nombreux organismes a été propice à l’hétérogénéité des prises de position et des pratiques (port du masque, interprétation des gestes barrières, etc.), ce qui a pu mettre en danger les professionnels et les usagers.

Le témoignage de Robin a par ailleurs mis en lumière le fait que ce qui faisait sens dans son travail va au-delà de sa mission formelle. Le maintien du lien social, si utile pendant le confinement, fait toute l’utilité sociale du métier de facteur. Il mérite sans conteste d’être mieux reconnu.

Enfin, le traitement réservé au collègue d’origine asiatique mérite d’être dénoncé. La recherche de boucs émissaires est une triste constante en période d’épidémie, comme nous avons pu l’expliquer dans un article précédent. Il n’en demeure pas moins inacceptable. Dans ce type de situation, l’intervention rapide et décisive de la hiérarchie pour soutenir les salariés victimes d’incivilités est primordiale pour prévenir l’isolement et la souffrance qui peut en résulter.

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