Dans son ouvrage « DRH, la machine à broyer » publié aux éditions Le Cherche Midi, Didier Bille, ancien DRH, dénonce les pratiques de « forced ranking » pratiquées par de nombreuses grandes entreprises.
Défini dans les années 90 par le charismatique dirigeant de Général Electric, Jack Welch, le postulat du forced ranking vise à délester les effectifs de l’entreprise d’un certain pourcentage prédéfini de « low performers » ou salariés sous-performants.
Partant du principe que les performances d’un collectif se répartissent selon la courbe de Gauss, le forced ranking conduirait à une amélioration progressive de la performance moyenne du collectif.
Hors la loi depuis un arrêté de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 27 mars 2013, le forced ranking continue à être pratiqué de façon plus ou moins avouée par de nombreux employeurs en France et dans le monde.
Un mythe sans fondement scientifique solide
A l’instar de la pyramide de Maslow ou de la courbe du deuil, la doctrine du forced ranking fait partie de ces postulats théoriques que se sont appropriés les sciences du management, mais qui ne reposent sur aucune démonstration scientifique solide. Au contraire, comme nous l’avons détaillé dans un précédent article, cette vision de la performance a été mise à mal par des travaux scientifiques récents.
Ces travaux, et notamment une étude du MIT, montrent en effet que de telles pratiques favorisent les comportements contre-productifs (désengagement, défiance, etc.) et nuisent progressivement à la performance collective qu’on ne peut résumer à la somme des potentiels individuels.
Une vision eugéniste du capital humain
Sur le plan éthique, pratiquer le forced ranking revient à appliquer une forme de sélection arbitraire en considérant que le jugement subjectif d’une performance individuelle à un instant donné suffit à pousser vers la sortie un collaborateur.
Il s’agit d’une vision du travail où seule la performance actuelle compte, sans considération pour ce qu’une personne a pu – ou pourra – apporter au collectif. Cette vision des choses questionne d’ailleurs le pouvoir accordé aux notateurs et l’objectivité de cette notation lourde de conséquences. Elle fait écho au malaise des managers obligés de pratiques cette méthode de notation en dépit de leur appréciation réelle de la performance de leurs collaborateurs.
L’extrapolation de la logique du forced ranking nous conduit vers une vision de l’entreprise où seuls certains individus jugés performants survivent et où toute faiblesse est sanctionnée. Cette vision est incontestablement eugéniste.
Une vision humaniste – et réaliste – de l’entreprise commence par l’acceptation d’un fait évident : aucun individu ne sera totalement performant tout au long d’une carrière de plus de 40 ans. C’est cette reconnaissance du droit à la fragilité par le développement de compétences d’accompagnement et de maintien dans l’emploi, mais aussi le soutien au développement des compétences des professionnels, qui sert la performance durable et permet à une entreprise de conserver ses talents et son expérience collective.
Pourquoi ces pratiques subsistent-elles ?
Malgré les travaux scientifiques prouvant son inefficacité et les jurisprudences dissuasives, le forced ranking continue à séduire. C’est grâce à son attrayante simplicité que cette conception de la performance perdure : la doctrine est simple à comprendre et à mettre en œuvre, même si ses effets sont incontestablement néfastes.
La vérité est pourtant infiniment plus complexe : la subtile alchimie de la performance collective ne saurait se résumer à la somme des performances individuelles à un instant donné.
Pour en savoir plus sur l’ouvrage de Didier Bille
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