Apparue dans le droit du travail en 1956, la notion de « travailleur handicapé » a été instaurée pour amener les employeurs à agir de façon proactive afin corriger des inégalités systémiques éloignant des populations fragilisées de l’emploi. La notion de handicap n’était d’ailleurs pas circonscrite à l’état de santé, mais englobait des situations socialement excluantes à l’instar des mères célibataires.
Révisé à plusieurs reprises, le cadre légal de l’emploi des personnes en situation de handicap s’est aujourd’hui recentré sur les états de santé – chroniques ou réversibles – entraînant une limitation d’activité durable au travail.
Certes, il est indéniable que ce cadre légal fondé sur une obligation d’emploi a permis de faire progresser le taux d’emploi chez de nombreux employeurs privés et publics, notamment depuis l’assujettissement à la contribution financière.
Cependant, de nombreux écueils persistent dans l’appréhension de la question du handicap au travail. Derrière un discours positiviste, les pratiques sont malheureusement loin d’être à la hauteur des réalités.
Dans cet article, nous détaillerons ces écueils freinant le développement d’une approche systémique adaptée à la complexification des enjeux de santé au travail.
En finir avec l’approche charitable du handicap au travail
Dans les représentations collectives, la question du handicap au travail reste perçue comme le devoir moral d’une population valide vis-à-vis d’une population handicapée, reliquat moyenâgeux de l’obligation de charité vis-à-vis des populations misérables.
Dans les faits, cette séparation imaginaire entre « valides » et « handicapés » est pure illusion.
Aujourd’hui, près de la moitié des actifs français déclare au cours de sa carrière une problématique de santé durable (6 mois au moins). La population des travailleurs en situation de handicap n’est ni stable, ni délimitée. Agir en faveur des personnes en situation de handicap au travail passe d’abord par cette prise de conscience. Il ne s’agit pas d’un acte de charité des bien portants vis-à-vis des désavantagés, mais bel et bien d’une meilleure prise en considération des questions de santé publique au travail. C’est à ce prix que sera dépassé le stéréotype charitable pour évoluer vers une perspective de performance durable.
Rattacher la question du handicap au travail aux enjeux de prévention
Répondre à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés ne se limite pas à en recruter. Aujourd’hui, environ 14 % des actifs français présentent une restriction d’aptitude durable selon la DARES. Ce chiffre est en constante augmentation, indépendamment de l’évolution des conditions de travail. Il est avant tout le reflet d’une population active vieillissante dont la durée de vie au travail s’allonge.
Pourtant, seule une infime partie des salariés à l’aptitude restreinte bénéficie d’une reconnaissance administrative lui permettant de prétendre à un aménagement de poste ou à un accompagnement adapté.
Il est donc parfois surprenant de voir des entreprises mettre en œuvre des politiques ambitieuses de recrutement de travailleurs handicapés quand leurs statistiques de santé au travail sont catastrophiques et leurs pratiques de prévention de l’usure quasi-inexistantes.
Il est également nécessaire de rappeler que les licenciements pour inaptitude ont plus que doublés en 10 ans. La bataille de l’emploi des travailleurs handicapés reste avant tout un enjeu d’amélioration des pratiques de prévention et de maintien dans l’emploi.
Prendre la mesure de la complexification des pathologies
Selon l’OMS, la déficience psychique est en passe de devenir la première cause de handicap au travail en France. De nombreuses études livrent à ce titre des statistiques préoccupantes concernant la santé mentale des actifs. Or, la maladie psychique reste malheureusement un tabou et les pratiques d’évaluation, d’accompagnement et de maintien dans l’emploi sont balbutiantes.
Par ailleurs, le vieillissement de la population et l’évolution des environnements de travail sont à l’origine de pathologies multifactorielles de plus en plus complexes. Les troubles musculosquelettiques ou les maladies invalidantes en sont des exemples. Ces pathologies restent difficiles à appréhender car elles génèrent des contraintes apparemment plus délicates à objectiver (fatigabilités, douleurs chroniques, troubles cognitifs, etc.).
Développer de meilleurs pratiques, c’est aussi prendre la mesure de cette réalité. Se limiter aux actions de sensibilisation stéréotypées sur le handicap (initiation à la LSF, parcours en chaise roulante, etc.) est insuffisant. Il est nécessaire d’élargir le discours et les pratiques à ces pathologies plus complexes reflétant mieux la réalité du milieu de travail ordinaire.
Revenir à la définition originelle du handicap
Le législateur a introduit la notion de handicap pour décrire une limitation d’activité dans un environnement donné. Autrement dit, une situation de handicap est la rencontre d’une déficience et d’un environnement potentiellement handicapant. Pourtant, dans la majorité des esprits, une situation de handicap se définit exclusivement par la pathologie d’un individu.
Au-delà des mots, cette nuance a une incidence majeure : c’est en pensant des environnements non handicapants qu’il est possible d’intégrer et de maintenir durablement dans l’emploi les travailleurs souffrant d’un problème de santé chronique.
Cela revient dans les faits à développer de réelles compétences d’évaluation des contraintes professionnelles, ne se limitant pas aux contraintes physiques et posturales. Il existe aujourd’hui des méthodologies éprouvées permettant d’évaluer les contraintes cognitives, relationnelles ou temporelles. Elles sont utiles pour aménager l’environnement de travail des personnes souffrant de pathologies complexes.
L’enjeu est également de penser des environnements de travail intégrant naturellement la variable santé comme une composante native. Une organisation conçue pour un effectif en bonne santé permanente est une gageure. Le principe de réalité implique au contraire la prise en considération de la part significative d’actifs en situation de restriction d’aptitude et le développement d’organisations intégrant cet état de fait, sans y voir une fatalité.
Développer l’interdisciplinarité
La question du handicap au travail est à l’interface entre le monde médical et le monde du travail. L’intégration et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ne saurait être durable et efficient sans collaboration de qualité entre les acteurs de la santé au travail et les acteurs de l’entreprise.
Dans les faits, nous sommes dans la majorité des cas loin de cette conception interdisciplinaire de la prise en charge du handicap au travail. Les relations entre médecins du travail et employeurs restent assez pauvres et le dialogue autour des restrictions d’aptitude des salariés très limité. La question du handicap est également peu prioritaire dans le cadre du dialogue social.
De plus, le handicap au travail reste souvent cantonné à la sphère RH et les acteurs du management opérationnel restent assez peu associés aux réflexions internes autour des questions de santé au travail. Ils sont pourtant les premiers à devoir composer avec les restrictions des salariés et méritent à ce titre d’être mieux formés, associés et outillés.
L’amélioration des pratiques passe ainsi par la construction de véritables systèmes interdisciplinaires de veille et d’action fondés sur la responsabilité collective et la conscience que chaque acteur a un rôle bien déterminé à jouer.
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