Quelles politiques publiques pour mieux prévenir les TMS ? Retour sur une expérience européenne

26 Mar, 2021
TMS études européenne

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Les troubles musculosquelettiques demeurent un enjeu majeur de santé au travail en France et en Europe. De nombreuses initiatives se succèdent depuis des années pour tenter d’y remédier, avec un impact discutable. La publication par l’Agence Européenne pour le sécurité et la Santé au Travail (EU-OSHA) d’une méta-étude sur les politiques de prévention des TMS dans l’espace de travail européen permet de questionner ces actions et d’identifier les pratiques les plus pertinentes.

 

Les troubles musculosquelettiques sont la première cause de maladies professionnelles. D’après l’agence Santé Publique France, ils représentent 87 % des maladies professionnelles reconnues par le Régime général de la sécurité sociale avec plus de 40 000 cas enregistrés par an, et ce malgré un fort niveau de sous-déclaration.

Anciennement imputés aux gestes répétitifs, les troubles musculosquelettiques sont aujourd’hui considérés comme une atteinte multifactorielle liée à la combinaison de facteurs biomécaniques (gestes répétitifs, manipulation de charges, contraintes posturales, etc.), psychosociaux (exigences émotionnelles, manque d’auto-contrôle sur le travail, etc.) et organisationnels (cadences imposées, rythme de travail élevé, contrôle accru sur la réalisation des tâches, etc.).

Schéma causes TMS

La nature des contraintes à l’origine des TMS explique leur prévalence dans des secteurs d’activité cumulant naturellement ces contraintes (industrie agro-alimentaire, secteur sanitaire et médico-social, restauration collective, etc.).

Longtemps, la prévention des TMS s’est cantonnée à la formation des travailleurs exposés aux « gestes et postures ». Au début des années 2000, des approches préventives plus systémiques se sont développées, parallèlement à la prise en considération croissante de l’impact des risques psychosociaux.

L’impact de ces démarches restait à ce jour peu documenté. Il était donc nécessaire de questionner leur effet sur la prévalence des TMS afin de sélectionner les pratiques préventives les plus pertinentes.

L’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au travail (EU-OSHA) a publié une méta-étude analysant le résultat de 142 démarches de prévention des troubles musculosquelettiques conduites au sein de 6 pays européens : l’Autriche, la Belgique, la France, l’Allemagne, la Suède et le Royaume Uni.

L’étude s’est plus particulièrement intéressée à deux facteurs : les grandes orientations caractérisant la politique nationale de prévention de chaque pays d’une part, et les facteurs favorisant l’efficience de ces politiques publiques d’autre part.

Une prise en compte très inégale du risque TMS

L’analyse des pratiques de prévention du panel d’employeurs européens a mis en évidence une prise en compte défaillante des situations de travail complexes sous-tendant l’apparition de troubles musculosquelettiques. Certes, l’étude relève une progression dans la systématisation de l’évaluation du risque TMS. Ce constat est fondé sur les statistiques de la troisième enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents (ESENER-3) qui montre qu’en 2020, 76 % des entreprises européennes évaluent le risque de TMS contre 50 % seulement en 2015.

Trois axes majeurs de prévention ressortent des plans de prévention de la majorité des employeurs européens :

  • des formations génériques aux bons gestes pour manipuler les charges
  • la rotation des employés sur des postes différents pour diversifier les gestes et les postures
  • la mise en place d’aides techniques à la manutention

Dans la plupart des cas, ces actions préventives sont envisagées de façon isolée, sans une réflexion globale sur leur interconnexion ou l’apport de mesures organisationnelles complémentaires garantissant leur efficience. A titre d’exemple, la mise en œuvre d’aides à la manutention est très rarement accompagnée de mesures organisationnelles garantissant leur bonne utilisation (adaptation de l’organisation et des horaires, réflexion collective autour de la disponibilité du matériel sur des temps clés, mesure de l’impact de l’utilisation du matériel sur le temps de travail, etc.). Seules les employeurs Suédois se démarquent positivement en généralisant une approche plus systémique de la prévention des troubles musculosquelettiques.

Des politiques publiques nationales à questionner

La prévalence des troubles musculosquelettiques reste élevée et varie peu dans l’espace de travail européen. La persistance de la problématique malgré de nombreuses initiatives nationales démontre un manque global des politiques publiques dans la prévention de ces pathologies et la réduction de leur coût sanitaire et sociétal.

Deux pays se démarquent toutefois par des politiques publiques plus ambitieuses.

La Suède d’une part a adopté une législation précisant clairement le caractère multifactoriel des TMS et recensant les facteurs psychosociaux et organisationnels à prévenir obligatoirement pour en réduire l’impact.

L’Allemagne d’autre part a fait le choix de renforcer son arsenal législatif en se dotant d’un cadre légal spécifique à la prévention des TMS comportant un volet dédié à la prévention organisationnelle.

En revanche, d’autres mesures largement répandues comme les campagnes nationales de sensibilisation ou l’outillage en méthodes de prévention des secteurs à forte sinistralité se caractérisent par un impact limité ou nul. Les statistiques européennes démontrent en effet que ces mesures ponctuelles n’ont qu’un effet limité sur la prévalence des TMS, même si elles font évoluer les représentations et les pratiques d’évaluation des risques. L’accompagnement par des tiers (consultants, appuis institutionnels, etc.) dans des démarches participatives lui donne des résultats mitigés. Ces démarches apparaissent comme efficaces uniquement dans les pays ayant développé une forte culture du travail collaboratif fondé sur des consensus paritaires. La France, sans surprise, n’en fait pas partie.

Autrement dit, l’inscription dans le droit des approches préventives structurelles et globales se révèle bien plus efficace que les mesures pédagogiques et incitatives non assorties d’obligations précises.

Quels facteurs de réussite ?

L’étude met en évidence des facteurs récurrents favorisant l’efficience des politiques publiques de prévention des TMS et les hiérarchise en deux niveaux. Le premier concerne l’échelon politique là où le second, qualifié d’intermédiaire, s’adresse aux opérateurs institutionnels tissant le lien entre le législateur et les employeurs.

Mesures politiquesMesures intermédiaires
  • Un engagement politique fort se traduisant par des cardes législatifs ciblés et précis
  • Une facilitation du dialogue social pour la construction de consensus paritaires durables autour de la prévention des TMS
  • Des incitations législatives positives plutôt que des mesures coercitives
  • Une incitation législative à planifier des plans de prévention systémiques et échéancés
  • Le renforcement de l’enseignement initial de l’ergonomie et de la formation continue à l’ergonomie des opérateurs de la prévention
  • Construire et transmettre des méthodes de prévention à large spectre permettant d’appréhender le risque TMS dans sa complexité
  • Développer la collecte et l’analyse d’indicateurs au niveau national afin d’initier des démarches de mesure d’impact des politiques de prévention
  • Améliorer les méthodes de prévention pour prendre en compte la diversité des travailleurs et de leurs besoins (femmes, personnes âgées, personnes souffrant de pathologies chroniques, etc.)
  • Créer des mécanismes de vérification de l’efficience des aides techniques commercialisées au titre de la prévention des TMS

Conclusion

L’étude de l’Agence Européenne pour la sécurité et la Santé au Travail confirme l’intérêt d’une approche plus globale de la prévention des TMS, tout en mettant l’accent sur l’utilité de mesures législatives précises, incitant les employeurs à agir de façon durable sur les facteurs de risques organisationnels et les dotant d’outils adaptés à chaque population.

La place accordée au dialogue social est également déterminante. En France, des outils comme l’accord d’entreprise agréé seraient adaptés si le législateur renforçait l’obligation de résultats sur le champ de la prévention des TMS, et sous réserve de l’accompagnement de la montée en compétences des partenaires sociaux.

Enfin, la grande similitude des pays européens, tant au niveau des enjeux économiques que des caractéristiques des populations actives appelle une meilleure mutualisation des méthodes, des ressources et des bonnes pratiques afin de favoriser des pratiques de prévention plus harmonisées et nourries des retours sur expériences des pays les plus en pointe sur le sujet.

Pour en savoir plus : Prevention policy and practice. Approaches to tackling work-related musculoskeletal disorders – EU-OSHA – 2020 (Publication en langue anglaise)

 

 Auteur : Fadi-Joseph LAHIANI, Psychologue du travail et des organisations

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