Depuis le début de la crise sanitaire, le télétravail occupe une part croissante dans la vie de nombreux travailleurs. Cette évolution de l’activité a fait émerger de nouveaux risques susceptibles de générer des atteintes spécifiques, à commencer par les troubles musculosquelettiques. Inspiré des récentes publications de l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), cet article propose des pistes pour prévenir les TMS en télétravail.
Une nouvelle façon de télétravailler imposée par la crise sanitaire
La crise sanitaire a provoqué un essor du télétravail et a accéléré l’acculturation de nombreuses organisations, y compris au sein de cultures professionnelles qui y étaient traditionnellement réfractaires.
Les pratiques de télétravail pendant la crise sanitaire ont été très différentes de celles des télétravailleurs d’avant la crise. Le télétravail occupe désormais une part plus importante du temps de travail. Le télétravail majoritaire, jadis déconseillé, devient de plus en plus acceptable.
Avant la crise sanitaire, les employeurs qui installaient le télétravail prenaient davantage en considération les questions d’hygiène, de sécurité ou d’équipement informatique. Le recours forcé au télétravail massif a éloigné les organisations de ces considérations, ouvrant la voie à des pratiques de télétravail plus agiles et flexibles, mais moins respectueuses de la santé et de la sécurité des télétravailleurs.
Malgré un retour relatif à une situation sanitaire normale, le recours massif au télétravail semble aujourd’hui acquis. La fin de l’état d’exception impose cependant de reconsidérer les conditions dans lesquelles s’exerce le télétravail et leur impact sur la santé et la sécurité des travailleurs.
C’est dans cette perspective que l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail (EU-OSHA) a publié une série de recommandations et de publications à destination des employeurs et des télétravailleurs pour prévenir les risques liés au télétravail, et en particulier les troubles musculo-squelettiques.
TMS en télétravail : une causalité multifactorielle
Initialement associée aux gestes répétitifs, l’origine multifactorielle des troubles musculosquelettiques est à présent mieux connue. Ces pathologies émergent lorsque des facteurs de risques physiques, psychosociaux et environnementaux se combinent pour créer un profil de contraintes particulier.
Dans le cas particulier du télétravail, l’EU-OSHA identifie cinq facteurs de risque entrant en jeu dans l’émergence des TMS :
- L’ergonomie du poste de travail (bureau, outils, équipements, etc.)
- L’environnement de travail (exposition à des nuisances, du bruit, etc.)
- La sédentarité et l’absence d’activité physique
- L’organisation du travail (management, suivi du travail, modes de collaboration, etc.)
- L’exposition à des risques psychosociaux générant un stress chronique
Il est aisé de constater que les nouvelles pratiques de télétravail imposées par la crise sanitaire ont accentué chacun de ces cinq facteurs de risque, rendant le risque d’occurrence des troubles musculosquelettiques plus important. Ce constat impose une meilleure prise en considération de cette problématique en adaptant les pratiques d’évaluation et de prévention.
Adapter les méthodes d’évaluation des risques professionnels
Pensées avant la crise sanitaire, les méthodes d’évaluation des risques professionnels sont majoritairement fondées sur l’analyse de l’activité sur le lieu de travail. Elles prennent peu en considération le télétravail et l’environnement dans lequel il est pratiqué.
Il est donc judicieux d’adapter les grilles d’analyse des risques professionnels et la nomenclature des DUERP afin de mieux y intégrer l’environnement de télétravail et les risques spécifiques qui le caractérisent.
Des méthodes participatives innovantes sont particulièrement adaptées à ce volet de l’évaluation des risques, en particulier la méthode « body and hazards mapping » à laquelle nous avons consacré un précédent article. Elle permet en effet d’identifier les risques de façon graphique en associant les atteintes physiques à des environnements de travail et des gestes professionnels ou des activités précises.
Mettre en œuvre une prévention efficiente
La prévention des troubles musculosquelettiques en télétravail passe par des politiques de prévention ambitieuses et des actions à plusieurs niveaux.
Avant tout, il est indispensable de réguler la pratique du télétravail dans une perspective durable et soutenable mettant fin à l’état d’exception imposé par la crise sanitaire.
Il est ainsi nécessaire de mettre en débat la fréquence du télétravail, les activités éligibles, les moyens pour réguler la charge de travail ou encore les conditions matérielles nécessaires à un télétravail de qualité. L’évolution des pratiques managériales, des modalités de suivi et de coordination et d’organisation du travail dans des équipes mixtes mérite également d’être repensée.
Un retour sur expérience collectif de la période passée permettra ainsi d’identifier les nouvelles pratiques méritant d’être capitalisées et les effets pervers qu’il convient de corriger.
C’est au prix de cette prise de recul collective que chaque organisation pourra structurer une politique de télétravail adaptée à ses usages, sa culture et ses normes de segmentation.
La formation des télétravailleurs et de la ligne managériale est également incontournable pour une prévention efficace.
Les télétravailleurs gagnent ainsi à être sensibilisés aux bonnes pratiques de collaboration, de déconnexion, de planification du travail ou à l’adaptation de leurs pratiques professionnelles aux différentes solutions numériques proposées par l’employeur.
Les managers doivent en complément acquérir de nouvelles compétences de planification, d’organisation des modalités de travail à distance ou en mixité, de maintien de la cohésion et de prévention de l’isolement.
Un soin particulier mérite par ailleurs d’être apporté à l’équipement dont disposent les télétravailleurs d’une part, et à l’usage qu’ils en font d’autre part. Il convient ainsi de s’assurer que les équipements et solutions logicielles sont adaptés à l’activité et n’imposent pas de nouvelles contraintes. Il est aussi utile de formaliser des protocoles des bonnes pratiques pour guider les salariés tant sur le plan matériel (ex. : positionnement du poste de travail) que logiciel (ex. : quel outil utiliser dans différents cas de figure).
L’isolement qu’induit le télétravail prolongé implique également de repenser les dispositifs de veille sur la santé au travail. Il est ainsi utile de rappeler aux collaborateurs les relais interne qu’ils peuvent solliciter en cas de problème de santé (médecin du travail, professionnels de soutien, etc.). Certaines entreprises font également le choix de nommer des correspondants télétravail qui peuvent être sollicités par les télétravailleurs pour évoquer leurs difficultés en toute confidentialité et qui jouent le rôle d’aiguilleurs ou de médiateurs en cas de besoin.
Enfin, la sensibilisation des salariés à l’importance d’une activité physique régulière peut compléter les mesures préventives et inciter à adopter des comportements individuels sains. La mise en œuvre de mesures incitatives (ex. chèques sport) peut favoriser cette dynamique.
Pour en savoir plus : découvrez ici les publications, recommandations et kits de sensibilisation de l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (ENG)
Un article de Fadi Joseph LAHIANI, Psychologue du travail et des organisations
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