Chaque mois, le blog QVT donne la parole à un consultant de l’équipe AD CONSEIL.
L’article d’aujourd’hui est l’œuvre de Christophe DIDIER, Ingénieur ENSAM, consultant en Qualité de Vie au Travail après un parcours de 25 années de management dans l’industrie. Il nous livre son point de vue sur l’impact des nouvelles technologies sur la Qualité de Vie au Travail. Il nous propose aussi quelques suggestions pour bien accompagner ces mutations.
L’industrie du futur ou industrie 4.0
L’industrie du futur est issue de la quatrième révolution industrielle. Elle a pour but de produire des objets uniques et personnalisés pour les consommateurs dans des délais courts et de manière rentable.
Elle fait appel à la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, au Big Data et met en œuvre des robots ou cobots (robots collaboratifs), des systèmes cyber physiques (ordinateurs puissants et autonomes) et des nouvelles façons de travailler. Ces nouvelles intelligences intégrées visent principalement à réduire le nombre d’interactions humaines tout en augmentant leur qualité. Le développement de l’intelligence artificielle dans l’industrie entraîne une réduction du nombre d’interfaces homme-machine, tout en leur donnant plus d’importance lorsque les machines nécessitent l’intervention humaine. Dans l’usine du futur, un flux de production régulier ne requiert aucune surveillance humaine. C’est lorsqu’une machine anticipe ou détecte une anomalie qu’elle est incapable de corriger qu’une intervention humaine et une prise de décision sont nécessaires.
Quelles conséquences sur la santé et Qualité de Vie au Travail ?
Plusieurs études à travers le monde et au sein de l’Union Européenne sont en cours pour mesurer les impacts sur la Santé et la Qualité de Vie au Travail des dernières évolutions technologiques. Pour l’instant, le peu de travaux réalisés par les organismes compétents (Institut de recherche sur le travail en Belgique, Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique appliquée) n’établissent pas de preuves d’un effet délétère sur la santé et sur la qualité des emplois.
ans un groupe de mille travailleurs, l’arrivée d’un robot correspond à la disparition de six emplois et à une perte de 0,75 % en salaire.
A contrario, on observe une prolifération récente de rapports alarmistes qui ont eu pour conséquence d’effrayer les employés et l’opinion publique. L’hypothèse la plus pessimiste a été émise par Carl Frey et Michael Osborne. Pour 70 métiers sur les 903 enregistrés dans une base de données du département du Travail des États-Unis, choisis pour la représentativité des tâches que les opérateurs doivent effectuer, les auteurs de l’étude ont demandé à des experts en robotique de se prononcer sur l’automatisation possible des tâches. Les auteurs concluent que 47 % de ces emplois sont substituables à un horizon de 10 à 20 ans.
Par ailleurs, Daron Acemoglu et Pascual Restrepo ont publié un article académique qui utilise des données réelles recueillies entre 1990 et 2007. Les auteurs arrivent à la synthèse suivante: dans un groupe de mille travailleurs, l’arrivée d’un robot correspond à la disparition de six emplois et à une perte de 0,75 % en salaire.
L’évolution technologique n’est ni phénomène nouveau, ni en un problème en soi. Les difficultés proviennent plutôt de l’accroissement du rythme et de la complexité des évolutions technologiques qui sollicitent de manière permanente et accrue les capacités d’adaptation des individus. L’enquête Sumer de la DARES dans son édition 2017 (surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) corrobore cette tendance. Les salariés interrogés, témoignent d’une augmentation de la quantité et de l’intensité du travail demandé.
Autrement dit, la technologie ne doit pas être considérée comme intrinsèquement délétère. C’est plutôt la conception de ces solutions, leurs modalités d’implantation organisationnelle et le manque de maîtrise de leurs impacts qui sont susceptibles d’altérer la QVT.
Quelles pistes de réflexion pour bien accompagner les évolutions technologiques ?
Tout d’abord, l’intention initiale : pourquoi implanter une nouvelle technologie ? S’agit-il d’assister le travailleur dans sa tâche, de le rendre plus performant, de le préserver des risques ? Dans ce cas, le scénario est vertueux car le travailleur reste au centre de l’activité. Ou s’agit-il essentiellement de développer les possibilités de rentabilité, flexibilité, ou d’efficacité. Dans ce cas, on constate souvent davantage de standardisation des modes opératoires, de réduction des marges de manœuvres, et un accroissement du contrôle. Ainsi, lorsque le facteur humain est absent de l’intention initiale, l’impact de la modernisation sur la soutenabilité du travail est souvent négatif.
La communication préalable à la mise en œuvre d’une nouvelle technologie est indispensable. Les résultats d’un sondage de C. Warwhust (Université de Warwick, Royaume Uni) auprès de 795 salariés montre que pour 44 % d’entre eux, le travail devient plus « sûr » car l’entreprise paraît plus compétitive en ayant recours à des technologies de pointe. Selon le sondage, Ces mêmes salariés semblent avoir plus peur d’être surveillés par l’exploitation des données par la hiérarchie que de perdre leur emploi suite à l’arrivée d’une nouvelle technologie. L’introduction d’une nouvelle technologie doit s’appuyer sur une communication transparente et détaillée sur les raisons et sur la manière dont elle va être implantée, sans faux-semblants ou double discours. Les employés et leurs représentants peuvent s’engager dans des démarches d’amélioration de la rentabilité ou de la productivité, mais aspirent en contrepartie à de la transparence et de l’intégrité.
le fait de présenter des solutions dédiées au contrôle ou à l’optimisation comme des aides pousse au cynisme et affecte la motivation
Inversement, le fait de présenter des solutions dédiées au contrôle ou à l’optimisation comme des aides pousse au cynisme et affecte la motivation. Plusieurs exemples en témoignent, comme l’implantation des systèmes de géolocalisation dans certaines entreprises du transport ou d’intelligence artificielle dans les secteurs de la restauration et de la logistique.
La formation du personnel : une évidence parfois négligée. Quoi de plus stimulant pour un opérateur de production que d’être assisté dans son travail par un outil efficace et infaillible qui permet de produire en qualité, sécurité et à grande cadence ? Et quoi de plus stressant de constater que le robot à son poste de travail stoppe la production entière de l’usine parce que l’opérateur ne possède pas les compétences pour régler un dysfonctionnement, même mineur ? Dans ce cas de figure, l’opérateur peut penser qu’il sera remplacé par un collègue plus compétent ou par un robot de dépannage. Il peut se demander comment vont réagir sa hiérarchie et ses collègues.
Il convient donc d’accompagner les salariés à atteindre un haut niveau de maîtrise de la technologie. Cela renforce le sentiment d’utilité et nourrit le besoin en compétences de l’individu avec à la clé un impact bénéfique sur la Qualité de Vie au Travail.
Le management à tous les niveaux est un vecteur essentiel à la réussite de ces transformations. Le manager de proximité en est l’acteur principal. Il relaie la communication auprès de ses équipes et contribue à la formation des opérateurs de terrain. Encore faut-il lui en donner les moyens et l’accompagner dans cette mission. Les niveaux hiérarchiques supérieurs doivent le soutenir dans cette entreprise en lui donnant comme objectif prioritaire l’accompagnement du changement.
Ma propre expérience m’a permis de constater que la réalité est souvent différente. Le manager de proximité est souvent sollicité par certaines tâches consommatrices de temps et non prioritaires. Ce manque de disponibilité est parfois renforcé par le manque de moyens (humains et matériels) et le manque de compétences (savoir-être, compétences émotionnelles, compétences de transmission et d’accompagnement) des managers de proximité. Le soutien par l’ensemble de l’organisation au manager de proximité est une priorité en ce sens.
Un niveau de confiance élevé des collaborateurs envers l’ensemble du management favorise enfin les transitions technologiques. Selon T. Alasoini (Institut finlandais de la santé au travail) l’acceptation et l’utilisation par les salariés des évolutions technologiques dans les pays scandinaves sont plus faciles que dans d’autres pays.
Cela semble être la conséquence d’un niveau de confiance plus élevé des collaborateurs entre eux et envers leur management que dans d’autres pays de l’Union Européenne.
Les gouvernances de type sociocratie ou holacratie favorise l’engagement personnel, le dialogue et le lien social ou encore le sentiment de responsabilité.
Le niveau de confiance des salariés résulte de relations sociales et managériales de qualité (dialogue, écoute, soutien, cohésion) et des modes de gouvernance alternatifs (par opposition aux modes traditionnels en vigueur dans la plupart des entreprises françaises).
Les gouvernances de type sociocratie ou holacratie favorise l’engagement personnel, le dialogue et le lien social ou encore le sentiment de responsabilité.
Pour conclure
Pour cela, la place de l’humain au travail doit demeurer au cœur des préoccupations, dès la genèse des projets de modernisation et non se résumer à un discours de façade masquant d’autres motivations. L’expérience démontre par ailleurs que les mutations technologiques ne peuvent être abouties qu’au travers du prisme de la compétence technique, mais qu’elles appellent au contraire au développement de la prise en considération du facteur humain à tous les niveaux de l’organisation.
En somme, je pense que les évolutions technologiques sont une opportunité incroyable pour l’Humanité. Dans l’intérêt général, ne faut-il pas considérer davantage le potentiel des collaborateurs et de l’organisation plutôt que le recours systématique à la technologie ?
A chaque fois que le recours à une évolution technologique pour améliorer la performance est envisagé, il serait utile que les dirigeants en charge de ces mutations se posent deux questions : A quelle hauteur les capacités des collaborateurs sont utilisées aujourd’hui ? Et quel est le niveau réel d’efficacité de l’organisation en place ?
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