Pourquoi les managers sont-ils particulièrement exposés à l’épuisement émotionnel ? Et comment les en protéger ? Une équipe anglo-néerlandaise de chercheurs en science du management menée par De jong a publié en 2021 une étude visant à apporter une réponse à ces questions.
Cette étude cherchait plus précisément à comprendre l’effet du sentiment des managers que leurs collaborateurs n’ont pas tenu leurs engagements sur leur santé psychologique. Nous avons fait le choix de vous rapporter les résultats éclairant de ce travail de recherche.
Qu’est-ce que le contrat psychologique des managers vis-à-vis de leurs collaborateurs ?
Parce que les managers sont responsables de la mise en œuvre de la stratégie de l’organisation et de l’atteinte des objectifs organisationnels, ils doivent répondre aux attentes de leur direction et développent en conséquence des attentes vis-à-vis de leurs collaborateurs.
Le contrat psychologique d’un manager vis-à-vis de ses collaborateurs renvoie à sa perception des attentes, mais aussi des promesses et/ou des obligations implicites et réciproques qui le lient à ces derniers (Rousseau et ses collaborateurs, 1998). Autrement dit, il représente ce que le manager et ses collaborateurs se sont implicitement et mutuellement engagés à faire, au-delà du contrat de travail écrit qui les lie. Ces attentes peuvent renvoyer à l’implication au travail, un certain niveau de qualité dans la réalisation du travail, des comportements de proactivité ou encore de l’assiduité.
Les managers doivent ainsi s’assurer que leurs collaborateurs atteignent leurs objectifs et remplissent leur rôle afin de tenir leurs propres engagements vis-à-vis de la direction de l’organisation. L’atteinte de ces objectifs repose en partie sur ces engagements réciproques et implicites, qualifiés de contrat psychologique.
La perception des managers que leurs collaborateurs ont manqué à un ou plusieurs de leurs engagements renvoie à ce que les chercheurs en psychologie qualifient de brèche du contrat psychologique. Cette rupture est sous-tendue par le sentiment des managers que leurs collaborateurs n’ont pas respecté leurs engagement et leurs promesses.
Le lien entre la brèche du contrat psychologique et l’épuisement émotionnel
Les résultats de l’étude de l’équipe de De Jong démontrent en premier lieu que les brèches du contrat psychologique perçues par les managers à l’égard de collaborateurs sont associées à une dégradation de leur santé psychologique et plus particulièrement à une augmentation de leur épuisement émotionnel.
L’épuisement émotionnel est communément défini comme la « conséquence d’un effort physique, affective et cognitive intense » (Demerouti et al., 2001) et se manifeste par le sentiment d’être au « bout du rouleau », c’est-à-dire épuisé avant, pendant et après les journées de travail. Ainsi, plus les managers ont le sentiment que leurs collaborateurs ne satisfont pas leurs engagements, plus ils se sentent épuisés.
Comment expliquer les effets néfastes de la brèche du contrat psychologique sur l’épuisement émotionnel ?
Lorsque les managers ont le sentiment que leurs collaborateurs ne respectent pas leurs engagements, ils ressentent une perte de prévisibilité et de contrôle sur leur environnement de travail.
Parce que les objectifs organisationnels à atteindre restent les mêmes, les manquements perçus des collaborateurs représentent une menace pour la performance des managers et leur capacité à satisfaire leurs propres engagements vis-à-vis de la direction de l’organisation.
Les résultats de l’étude de De jong et ses collaborateurs (2021) indiquent ainsi que ces brèches du contrat psychologique perçues par les managers vis-à-vis de leurs collaborateurs sont associées à une augmentation de la pression à la performance.
Lorsque les collaborateurs ne respectent pas leurs engagements, les managers adoptent alors des stratégies de compensation et engagent des mesures correctives pour maintenir leur performance au même niveau et atteindre ces objectifs organisationnels. Pour ce faire, ils vont générer des efforts supplémentaires et épuiser en conséquence leurs ressources émotionnelles et énergétiques.
Les difficultés rencontrées par les managers sont particulièrement prégnantes dans la mesure où le contrat psychologique est subjectif et où les attentes développées dans la relation sont implicites. Autrement dit, la brèche relève d’une interprétation individuelle et n’est pas directement observable et ni formellement reconnue par les autres membres de l’organisation.
Quelles actions mettre en œuvre pour protéger la santé psychologique des managers ?
Les résultats de l’étude De jong et ses collaborateurs (2021) révèlent également que la possibilité pour les managers de négocier avec leur direction sur leurs ressources professionnelles les protège des effets néfastes de ces brèches sur leur santé psychologique.
En effet, l’allocation de ressources supplémentaires limite les pertes de prévisibilité et de contrôle vécues par les managers liées au non-respect des engagements de leurs collaborateurs et facilite la réalisation des mesures correctives engagées pour compenser ces manquements. Ces ressources supplémentaires vont ainsi permettre aux managers d’atteindre leurs objectifs malgré les difficultés rencontrées avec certains de leurs collaborateurs.
A titre d’exemple, ces négociations peuvent porter sur l’allocation de ressources humaines et financières supplémentaires, sur une autonomie et une flexibilité accrues dans la réalisation du travail ou encore sur des possibilités de formations professionnelles et de développement des compétences.
Conclusion
Si la santé psychologique des collaborateurs fait l’objet multiples interventions dans les organisations du travail, force est de constater que celle des managers est souvent moins considérée. Pourtant, et parce qu’ils détiennent un rôle pivot dans l’organisation, les études scientifiques démontrent que les managers sont exposés à des exigences professionnelles particulièrement fortes et représentent donc une population à risque de dégradation de la santé psychologique. Il appartient ainsi à la hiérarchie supérieure d’instaurer un dialogue permanent avec les échelons managériaux intermédiaires pour questionner en continu l’adéquation entre la pression générée par les objectifs à atteindre d’une part et les ressources managériales d’autre part.
L’auteure
Julia Aubouin Bonnaventure, docteure en psychologie du travail et des organisations et associée au laboratoire Qualipsy de l’université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
Demerouti, E., Bakker, A. B., Nachreiner, F., & Schaufeli, W. B. (2001). The job demands-resources model of burnout. Journal of Applied Psychology, 86(3), 499‑512. https://doi.org/10.1037/0021-9010.86.3.499
de Jong, J. P., Clinton, M., Bal, M., & Van Der Heijden, B. (2021). Caught in the Middle : How and When Psychological Contract Breach by Subordinates Relates to Weekly Emotional Exhaustion of Supervisors. Frontiers in Psychology, 11, 464774. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2020.464774
Rousseau, D. M., Hansen, S. D., & Tomprou, M. (2018). A dynamic phase model of psychological contract processes. Journal of Organizational Behavior, 39(9), 1081‑1098. https://doi.org/10.1002/job.2284
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