Le contrat psychologique en psychologie du travail et des organisations se focalise sur la relation entre l’employeur et l’employé. Cette théorie fait référence à un ensemble d’accords non formalisés à l’écrit, générés au début de la relation professionnelle, sur ce que l’une des parties (i.e. employé ou employeur) s’attend à recevoir et à donner à l’autre (Robinson 1996, Robinson & Morrison, 2000). Autrement dit, il concerne des croyances sur ce que l’employé croit être en droit d’attendre, devrait recevoir, parce qu’il perçoit que son employeur a fait part de la promesse de fournir ces éléments (Robinson 1996).
Les effets du contrat psychologique sur l’engagement organisationnel.
Le contrat psychologique agit comme une norme pour guider les contributions que l’employé donne à l’organisation, ainsi que les investissements actuels et futurs qu’il anticipe de recevoir de celle-ci (Rousseau, 1995, 2011). Pour un soignant, ce contrat psychologique englobe différents éléments tels que la sécurité de l’emploi, la perception d’un environnement sécure pour exercer ses qualités de soignant ou encore le soutien de l’organisation en cas de difficultés. Pour un salarié, cela peut correspondre par exemple à la perception d’avoir les moyens nécessaires pour accomplir son travail : ordinateur, connexion internet, perception que l’organisation prend en compte sa qualité de vie au travail (ex: rythme, charge mentale).
La littérature scientifique montre que, lorsque les personnels ont l’impression que le contrat est respecté, ils sont des employés plus engagés dans leur travail et plus motivés pour contribuer à l’efficacité organisationnelle (Bal, De Lange, Jansen, & Van der Velde, 2008; Zhao et al., 2007) et moins susceptibles de quitter l’organisation (Bal, de Cooman et Mol, 2014).
Les répercussions du covid-19 sur le contrat psychologique
En temps de crise sanitaire, le contrat traditionnel est susceptible d’être remis en question. C’est alors que risque de se produire la rupture dans le contrat psychologique, un phénomène purement et intrinsèquement subjectif.
Rousseau (1995) a conceptualisé la rupture dans le contrat psychologique comme un événement où un employé perçoit une divergence entre ce qui lui a été promis et ce qui est proposé. En d’autres termes, la rupture désigne un écart perçu entre les attentes dérivées du contrat psychologique et le vécu réel (Solinger et al. 2015). La perception que l’organisation n’était pas prête, qu’elle ne donne pas aux personnels les moyens pour faire efficacement leur travail, qu’elle ne valorise pas leur santé, sont différents éléments qui sont susceptibles d’entraîner des ruptures dans le contrat psychologique.
Lorsque le personnel perçoit une rupture dans le contrat psychologique, cela peut avoir des impacts émotionnels négatifs tels que la colère ou la détresse, mais également d’autres conséquences : harcèlement moral, comportements déviants, baisses des comportements de citoyenneté organisationnelle, de l’engagement, de la satisfaction au travail, des intentions de rester dans l’organisation et de la performance des collaborateurs (Anwar, 2014, Depolo, 2006, Robinson & Morrison, 2000, Robinson 1996, Rousseau, 2011). Ces réactions symbolisent la perception que l’employeur a échoué dans la satisfaction d’une obligation importante pour le salarié.
Les chercheurs Solinger et al., (2015) ainsi que Tomprou et al., (2015) expliquent que lorsqu’un individu est confronté à une rupture, son processus de coping (adaptation en situation de déséquilibre) peut suivre 4 trajectoires différentes.
- La première correspond au développement. Dans ce cas de figure, l’engagement suite à la rupture diminue mais remonte ensuite à un niveau supérieur à celui d’origine.
- La seconde est intitulée réactivation, et elle correspond à la situation où l’engagement diminue après la rupture mais remonte ensuite à un niveau équivalent à celui d’origine.
- Le troisième cas de figure est celui où l’engagement diminue suite à la rupture du contrat psychologique et reste inférieure à son niveau d’origine.
- Enfin, dans le quatrième cas, intitulé dissolution, l’engagement baisse au point que l’individu se désengage de l’organisation.
L’étude de Solinger et al, (2015) montre que le processus de coping est plutôt rapide dans le temps et qu’il prend au maximum 10 semaines. Ce processus est néanmoins susceptible d’être plus long quand il y a une accumulation de ruptures. Dans le cadre de la crise COVID-19, la tension continue provoquée par l’effort exigé, associé à l’anxiété professionnelle et sociétale qu’ont pu connaitre notamment les équipes des hôpitaux, des EHPAD et tous les personnels qui y évoluent, mais également le reste de la population active qui a dû s’adapter à cette nouvelle forme de travail, sont susceptibles d’avoir entrainé une succession de ruptures dans le contrat psychologique.
Comment reconstruire le contrat psychologique après une crise ?
La reconstruction et l’adaptation du contrat psychologique prend du temps (Tomprou et al., 2015).
La satisfaction au travail ou encore l’engagement organisationnel apparaissent comme pouvant réduire les impacts négatifs de la brèche dans le contrat (Ng, Feldman & Lam, 2010).
Aussi, il a été démontré que la participation dans la prise de décisions peut développer la satisfaction au travail ainsi que l’engagement (e.g., Wright & Kim, 2004).
Ainsi, pourquoi ne pas profiter de la situation pour tirer des leçons de la crise et peut-être repenser l’organisation en associant des salariés aux débriefings de crise ? D’ailleurs, la littérature scientifique a pu montrer que, suite à une rupture, mettre en place des groupes de débriefing permet de réduire la perception de brèche (Schalk, de Ruiter, Van Loon, Kuijpers & Van Regenmortel, 2018).
L’auteur :
Nicolas Beltou est docteur en psychologie du travail et des organisations. Passionné des thématiques traitant des conditions de travail et leurs améliorations, il a travaillé pour Orange; puis a réalisé son doctorat sur l’impact des changements organisationnels sur les personnels chez France Télévisions.
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