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Véritable problème de santé publique, les addictions au travail restent encore taboues dans la majorité des organisations. Pourtant, leur impact est significatif et tend à s’aggraver sous l’effet des contraintes imposées par le contexte sanitaire.
Dans cet article, nous revenons sur ces enjeux et partageons les axes de prévention les plus pertinents.
Addictions au travail : un sujet encore tabou
Les addictions au travail sont un sujet encore tabou et complexe, à la croisée de la vie professionnelle et de la vie privée. Lorsqu’ils y sont confrontés, les dirigeants, les acteurs RH, l’encadrement et les collègues de travail ont bien souvent du mal à aborder ces situations.
D’après la MILDECA, 85 % des dirigeants et DRH se déclarent préoccupés par le sujet et ne savent pas comment le traiter. Néanmoins, l’enjeu est de taille puisque d’après l’Inserm 10 à 20 % des accidents du travail seraient dus directement à l’alcool, et l’usage de stupéfiants. Un autre chiffre est édifiant : 16,4 % des actifs occupés déclarent consommer de l’alcool sur le lieu de travail en dehors des repas et des pots selon le baromètre santé 2010 de l’INPES.
Les médicaments psychotropes et le cannabis sont les autres substances psychoactives les plus consommées en milieu de travail.
Des situations connues, mais difficiles à aborder
Au-delà de ces chiffres, les situations relatées par des salariés lors de nos interventions alertent.
Dans un établissement éducatif, un salarié nous rapportait ainsi : « J’ai remarqué que mon collègue qui conduit le bus transportant les enfants lors des activités piscine, fume du cannabis dans le bus en attendant notre retour. J’en ai parlé à mon directeur mais la situation a continué, jusqu’à ce que mes collègues et moi refusions de monter dans un bus conduit par ce collègue ».
Ou un autre salarié du secteur médico-social témoignant : « Nous savons qu’une de nos collègues du service restauration conserve une bouteille d’alcool dans son armoire au vestiaire et consomme pendant les temps de pauses ».
Aucun secteur n’est épargné, mais les secteurs d’activité les plus concernés sont le bâtiment et les Travaux Publics, la fabrication et vente de spiritueux, l’hébergement, la restauration, les arts et spectacles.
Un lien direct avec des situations de travail bien identifiées
Il n’y a pas besoin d’être dépendant, de tituber, pour se mettre en danger ou pour mettre les autres en danger. Le simple fait de dépendre d’une substance altérant le discernement pour réaliser les actes de la vie quotidienne équivaut à un danger accru pour soi et pour les autres.
Par ailleurs, plusieurs études ont démontré que les pratiques addictives peuvent être liées à des facteurs relevant de la vie privée, mais également à des facteurs en lien avec le travail. Des contraintes bien spécifiques sont ainsi mises en évidence comme le port de charges lourdes, le stress, les rythmes de travail trop intenses, le travail en extérieur, ou la multiplication d’évènements festifs sur le lieu de travail impliquant une alcoolisation (pots, dîners d’affaires, etc.)
Quels axes de prévention ?
Prévenir les addictions est également un enjeu de Qualité de Vie au Travail et de performance durable. En effet, la consommation d’alcool, de drogues ou de médicaments diminue les réflexes, la vigilance et les aptitudes de raisonnement et peut générer des tensions dans les équipes, des erreurs, des retards, de l’absentéisme et des évènements indésirables. La plupart des substances psychoactives augmentent par ailleurs significativement le risque de développer des maladies chroniques synonymes de ruptures de parcours.
Concernant le cadre règlementaire, le rôle de l’employeur est évident à travers l’obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés et de prendre toutes les mesures nécessaires (article L. 4121-1 du Code du travail).
Mais cette obligation de sécurité incombe également à tout salarié. Il lui revient « … de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. » (article L. 4122-1 du Code du travail).
La responsabilité incombe également aux représentants du personnel. Lorsqu’ils constatent un danger grave et imminent, directement ou suite à un signalement, ils doivent alerter l’employeur qui doit mettre en œuvre les mesures adéquates. (article L. 4131-2 du Code du travail).
Dans notre pratique d’intervenants en faveur de la santé au travail, et à l’exception de quelques établissements volontaires qui mènent des actions de prévention sur les addictions, la majorité des institutions oscillent entre le silence face à des situations embarrassantes que personne ne sait traiter, et le registre disciplinaire pour les situations flagrantes. Pour les collaborateurs, le fait de signaler une situation à l’employeur reste vécu comme un évènement culpabilisant apparenté à de la délation. Nous notons également l’absence régulière d’évaluation de ce risque dans le DUERP et, par conséquent, l’absence de plans de prévention adaptés.
Pourtant construire et développer une politique prévention, pour mieux accompagner les individus et les collectifs exposés à ces situations est possible.
Pour cela lever les tabous à travers un travail paritaire et pluridisciplinaire associant l’employeur, les représentants du personnel, les acteurs de la prévention, la médecine du travail, et des tiers experts est une clé d’entrée indispensable.
Par ailleurs, les actions de prévention menées doivent être conduites en visant une finalité objective de prévention, en se détachant de tout jugement moralisant. Elles doivent concilier les actions collectives de prévention et de sensibilisation et les actions individuelles d’orientation et d’accompagnement.
Ces actions de prévention peuvent prendre plusieurs formes : co-construire des fiches réflexes pour guider les équipes sur la conduite à tenir en cas d’exposition à une situation d’addiction au travail, s’interroger dans le cadre du DUERP sur les risques et les mesures de prévention, former l’encadrement, amender le règlement intérieur pour permettre le recours à des dépistages, accompagner les équipes pour passer d’une représentation centrée sur la honte et la délation à une meilleure appréhension des enjeux de prévention et des effets pervers découlant d’un silence collectif face à une fragilité avérée, recours à des tests de dépistage sur les postes présentant un danger.
Les actions concrètes ne manquent pas, et elles sont à la portée de toute organisation sous réserve d’une volonté collective à la hauteur de l’enjeu.
L’auteure :
Christina Armand, Experte Santé au travail, Handicap et Veille sociale.
Elle accompagne depuis 20 ans les employeurs et les collectifs pluridisciplinaires en santé au travail dans la mise en œuvre de dispositifs de veille sociale, de maintien dans l’emploi et de prévention de la désinsertion professionnelle.
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