Dans le précédent volet de notre série consacrée aux théories de la motivation autonome, nous avons expliqué la genèse et les principaux aspects théoriques de la théorie de l’autodétermination qui fait consensus au sein de la communauté scientifique.
Dans ce second volet, nous nous intéresserons aux applications pratiques en identifiant les actions concrètes pouvant favoriser et soutenir la motivation autonome au travail.
Quels objectifs poursuivre ?
La motivation autonome des travailleurs peut être promue par les contextes professionnels qui satisfont leurs besoins psychologiques fondamentaux (Deci et Ryan, 2000) :
- le besoin de compétence
- le besoin d’autonomie
- le besoin d’affiliation.
En effet pour la théorie de l’autodétermination, la satisfaction de ces besoins facilite l’internalisation des expériences de travail, favorise le sentiment d’être acteur des situations et constitue le carburant nécessaire pour une motivation optimale.
Le modèle contraintes-ressources de l’emploi explique quant à lui que les ressources de l’environnement professionnel engendrent un processus motivationnel. En théorie, elles ont donc la capacité de promouvoir la satisfaction de ces trois besoins fondamentaux et par extension la motivation autonome (Bakker & Demerouti, 2007 ; Deci & Ryan, 2008).
Quelles pratiques favoriser ?
Plusieurs études scientifiques ont commencé à identifier les ressources de l’environnement professionnel qui favorisent la motivation autonome.
A) Les caractéristiques du travail
En 2012, Fernet, Austin et Vallerand ont démontré dans une étude réalisée sur un échantillon de 586 directeurs d’écoles canadiennes que plusieurs ressources favorisaient de façon proximale la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux et de façon distale la motivation autonome :
- L’opportunité de prendre des décisions et d’exercer un contrôle sur les tâches de travail à accomplir,
- La reconnaissance du travail et des contributions,
- La qualité des relations au travail.
La satisfaction des besoins fondamentaux est aussi bien favorisée par des ressources dépendant des caractéristiques du travail (latitude décisionnelle) que par des éléments dépendant des relations et de la nature des interactions.
B) Le système de rétribution et la reconnaissance
Au cours d’une étude menée en 1999, Deci, Koestner et Ryan ont démontré un résultat surprenant : alors que la reconnaissance verbale des collaborateurs favorise leur motivation intrinsèque, les récompenses tangibles et contingentes (ex : prime pour une tâche spécifique) leur sont délétères.
Précisément, ces chercheurs expliquent que les récompenses sous contrainte et sous contrôle nuisent à la perception de la liberté et à la perception de l’intérêt personnel dans la réalisation des tâches. Les résultats révèlent donc qu’un feed-back positif, ayant pour simple finalité la reconnaissance des compétences, représente le facteur de reconnaissance le plus favorable au développement de la motivation autonome.
Ce résultat ne signifie pas que le facteur rétribution doit être mis de côté, mais il souligne l’importance des pratiques managériales de considération et de reconnaissance et met en évidence leur impact à long-terme sur la motivation des collectifs de travail.
C) Les pratiques managériales
Jensen et Bro (2017) ont observé parmi un ensemble de pratiques managériales que le leadership transformationnel avait le pouvoir de satisfaire les besoins psychologiques fondamentaux et la motivation intrinsèque.
En effet, le leader « transformationnel » clarifie les objectifs de travail, leur donne un sens, explique le processus à suivre pour les atteindre, exprime sa confiance envers leur succès et favorise en conséquence le sentiment d’autonomie, d’auto-efficacité et de compétence.
Ce type de leadership encourage également les collaborateurs à transcender leurs objectifs individuels au profit des objectifs collectifs et promeut ainsi un sentiment d’appartenance et d’affiliation.
Plus récemment en 2018, Slemp, Kern, Patrick et Ryan ont publié une méta-analyse regroupant les résultats de 72 études. Ces chercheurs ont démontré sur la base d’un échantillon de plus de trente-deux milles travailleurs, que le soutien à l’autonomie du supérieur favorisait également la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux et supportait le développement de la motivation autonome.
Ce concept renvoie à un style de management :
- Soutenant l’autonomie,
- Témoignant de l’intérêt pour l’opinion des collaborateurs,
- Favorisant la consultation des collaborateurs à propos de la méthode de travail, de la planification ou encore des horaires,
- Encourageant les initiatives et la prise de responsabilité.
Ces comportements vont nourrir chez les collaborateurs le sentiment d’emprise sur leurs propres actions et par conséquent leur motivation autonome.
L’étude de Hardré et Reeve (2009) révèle d’ailleurs que le fait de former les leaders à créer un environnement soutenant l’autonomie favorise effectivement ces comportements ainsi que la motivation autonome des collaborateurs dès la cinquième semaine suivant la formation.
Conclusion
Loin d’être un concept abstrait, la motivation autonome se construit et se nourrit à travers un ensemble de pratiques managériales qu’il est possible de formaliser et de transmettre.
Ces pratiques permettent de mieux considérer les collaborateurs, d’encourager les postures proactives et d’offrir la latitude nécessaire pour s’exprimer et œuvrer dans une logique de responsabilité collective.
Auteur
Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
Bakker, A. B., & Demerouti, E. (2007). The Job Demands-Resources model: State of the art. Journal of Managerial Psychology, 22(3), 309-328. https://doi.org/10.1108/02683940710733115/full/html
Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2008). Self-determination theory: A macrotheory of human motivation, development, and health. Canadian Psychology, 49(3), 182-185. https://doi.org/10.1037/a0012801
Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2000). The « what » and « why » of goal pursuits: Human needs and the selfdetermination of behavior. Psychological Inquiry, 11(4), 227-268. https://doi.org/10.1207/S15327965PLI1104_01
Deci, E. L., & Koestner, R., & Ryan, R. M. (1999). A Meta-Analytic Review of Experiments Examining the Effects of Extrinsic Rewards on Intrinsic Motivation. Psychological Bulletin, 125(6), 627-68. https://doi.org/10.1037/0033-2909.125.6.627
Fernet, C., Austin, S., & Vallerand, R. J. (2012). The effects of work motivation on employee exhaustion and commitment : An extension of the JD-R model. Work & Stress, 26(3), 213‑229. https://doi.org/10.1080/02678373.2012.713202
Hardré, P. L., & Reeve, J. (2009). Training Corporate Managers to Adopt a More Autonomy-Supportive Motivating Style Toward Employees: An Intervention Study. International Journal of Training and Development, 13(3), 165-183. https://doi.org/10.1111/j.1468-2419.2009.00325.x
Jensen, U. T., & Bro, L. L. (2017). How Transformational Leadership Supports Intrinsic Motivation and Public Service Motivation: The Mediating Rôle of Basic Need Satisfaction. American Review of Public Administration, 48(6), 535-549 https://doi.org/10.1177/0275074017699470
Slemp, G. R., Kern, M. L., Patrick, K. J., & Ryan, R. M. (2018). Leader autonomy support in the workplace : A meta-analytic review. Motivation and Emotion, 42, 706–724. https://doi.org/10.1007/s11031-018-9698-y
Photo by Brooke Cagle on Unsplash
0 commentaires