Si le confinement a révélé aux yeux de tous des métiers indispensables au fonctionnement de notre société, il a également généré pour certains un sentiment d’inutilité et une remise en question professionnelle. Les interrogations soulevées relevaient notamment de l’utilité et du sens du travail accompli. Le sens au travail constitue, aujourd’hui plus que jamais, un levier essentiel des organisations pour fédérer, motiver et fidéliser leurs salariés. Pourtant, trop peu de professionnels de terrain s’emparent de cet atout et cela souvent par méconnaissance. Nous vous proposons aujourd’hui un retour sur les fondements théoriques et scientifiques du sens au travail et des actions concrètes à mettre en place pour le promouvoir.
Définir le sens du travail
Le travail signifiant (ou « meaningful work » en anglais) fait référence au jugement global que son travail permet d’accomplir des tâches significatives, précieuses et utiles qui sont en accord avec ses propres valeurs existentielles (Allan et ses collaborateurs, 2018). En d’autres termes, il renvoie à l’importance ou à la valeur du travail (LipsWiersma et al., 2016). Le sens perçu du travail que l’on réalise au quotidien n’est pas stable dans le temps mais varie selon les expériences vécues. Précisément, si certaines de ces expériences peuvent être perçues comme significatives, d’autres peuvent être dénuées de sens. Pour Allan et ses collaborateurs (2018), chercheurs à l’Université de Purdue aux Etats-Unis, les expériences significatives sont caractérisées par la réalisation d’actions qui mettent en lumière les raisons pour lesquelles le travail vaut la peine d’être fait et qui correspondent aux valeurs de l’individu.
Quelques exemples d’expériences significatives
Les expériences significatives de travail peuvent faire référence aux situations professionnelles suivantes (Lips‑Wiersma et ses collaborateurs, 2020) :
- Les situations qui témoignent de la finalité et de l’utilité du travail,
- Les situations qui contribuent au bien d’autrui et participent à l’amélioration d’un collectif,
- Les situations qui favorisent la croissance professionnelle et la réalisation du potentiel du salarié,
- Les situations qui répondent à un standard de valeurs et d’éthique proche de celui du salarié.
Quelles conséquences ?
Allan et ses collaborateurs ont publié en 2018 un article scientifique réunissant les résultats de 44 études précédemment réalisées et démontré sur plus de 23 000 personnes que le sens du travail était positivement corrélé à la santé générale, à l’engagement au travail, à l’engagement organisationnel ainsi qu’à la satisfaction au travail des salariés. De plus, les résultats ont permis de constater que le sens du travail favorisait également l’intention des salariés de rester dans l’organisation ainsi que leur performance et leurs comportements citoyens (ex : faire la promotion de l’entreprise, aider ses collègues). En d’autres termes, si le sens au travail soulève des enjeux individuels et organisationnels essentiels à l’efficience de chacune des parties, il représente également un levier non-négligeable de fidélisation et d’amélioration de la qualité de vie au travail
Comment donner du sens au travail ?
1. Les tâches de travail
En premier lieu, la théorie des caractéristiques de l’emploi de Hackman et Oldham (1976) met en lumière certaines caractéristiques du travail qui ont le pouvoir de générer du sens au travail, telles que :
- La signification des tâches, c’est-à-dire la force de l’impact du travail réalisé sur autrui. Elle promeut la compréhension de l’utilité du travail.
- L’identité des tâches, c’est-à-dire le degré avec lequel le salarié connaît et réalise le travail de A à Z. Elle permet aux salariés d’identifier la cohérence des process organisationnels et de visualiser le résultat de son travail.
- L’autonomie dans les tâches, c’est-à-dire le degré de liberté avec lequel le salarié peut effectuer son travail. Elle lui laisse la possibilité de choisir la méthode qu’il estime la plus pertinente pour réaliser le travail.
2. La congruence entre caractéristiques organisationnelles et individuelles
En second lieu, Rosso et ses collaborateurs (2010) ont souligné que les caractéristiques des organisations jouent un rôle important dans la manière dont les travailleurs interprètent le sens du travail. Précisément, l’organisation produirait du sens lorsque ses caractéristiques, à savoir ses objectifs, son objet social et ses valeurs, sont en adéquation avec les caractéristiques individuelles des salariés. Ce constat illustre la nécessité de recruter des personnels dont les aspirations correspondent au poste à pourvoir et aux attributs de l’organisation.
3. Le management
Une étude récente, réalisée par Cai ses collaborateurs (2018), a révélé que le style de leadership des managers avait une influence sur le sens perçu du travail. Plus particulièrement, ces chercheurs ont observé que les salariés perçoivent leur travail comme plus signifiant lorsque leurs supérieurs se préoccupent de leur bien-être, les encouragent à prendre des responsabilités, et les soutiennent dans leur réussite professionnelle et le développement de leur plein potentiel, aussi appelé leadership serviteur (Hale & Fields, 2007). En d’autres mots, parce qu’ils ont le sentiment que leur supérieur priorise leurs intérêts et qu’il les soutient, les salariés perçoivent davantage l’utilité et l’importance de leur travail.
Conclusion
Parce que qu’il promeut la santé, la performance et la fidélité des salariés, le sens du travail constitue un réel atout pour les organisations du travail. La crise sanitaire a fortement questionné le sens du travail dans de nombreuses organisations. A l’heure de la reprise, la seule recherche de performance économique ne suffit pas à motiver et impliquer durablement un collectif de travail. C’est en s’autorisant à questionner la finalité sociale de l’entreprise, les pratiques managériales et le sens du travail attribué à chacun que les employeurs peuvent créer du sens. Cette création de sens est la clé vers une vision plus durable et soutenable de la performance individuelle et collective.
Auteur
Julia Aubouin Bonnaventure, chargée de recherche appliquée chez AD Conseil et doctorante en convention CIFRE en psychologie du travail et des organisations au laboratoire Qualipsy de l’Université de Tours. Ses travaux portent sur l’étude des effets des pratiques organisationnelles sur la santé psychologique, les attitudes et les comportements des travailleurs.
Bibliographie
Allan, B. A., Batz-Barbarich, C., Sterling, H. M., & Tay, L. (2018). Outcomes of Meaningful Work: A Meta‐Analysis. Journal of Management Studies, 56(3), 500-528. https://doi.org/10.1111/joms.12406
Cai, W., Lysova, E. I., Khapova, S. N., & Bossink, B. A. G. (2018). Servant Leadership and Innovative Work Behavior in Chinese High-Tech Firms: A Moderated Mediation Model of Meaningful Work and Job Autonomy. Frontiers in psychology, 9, 1767. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2018.01767
Hackman, J. R., & Oldham, G. R. (1976). Motivation through the design of work: test of a theory. Organizational Behavior and Human Performance, 16, 250–79. https://doi.org/10.1016/0030-5073(76)90016-7
Hale, J. R., & Fields, D. L. (2007). Exploring servant leadership across cultures: A study of followers in Ghana and the USA. Leadership, 3(4), 397–417. https://doi.org/10.1177/1742715007082964
Lips-Wiersma, M., Wright, S. & Dik, B. (2016). Meaningful work: differences among blue-, pink-, and white-collar occupations. Career Development International, 21, 534–51. https://doi.org/10.1108/CDI-04-2016-0052
Lips‑Wiersma, M, Haar, J., & Wright, S. (2020). The Effect of Fairness, Responsible Leadership and Worthy Work on Multiple Dimensions of Meaningful Work. Journal of Business Ethics, 161, 35–52. https://doi.org/10.1007/s10551-018-3967-2
Rosso, B. D., Dekas, K. H. and Wrzesniewski, A. (2010). On the meaning of work: A theoretical integration and review. Research in Organizational Behavior, 30, 91–127. https://doi.org/10.1016/j.riob.2010.09.001
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