Les périodes de congés sont perçues comme une opportunité de déconnexion dans la plupart des organisations. Pourtant, de nombreux employés connaissent des difficultés à rompre le lien numérique avec leur entreprise. Dans cet article, nous allons revenir sur un ensemble de bonnes pratiques organisationnelles et individuelles favorisant concrètement le droit à la déconnexion.
Pourquoi est-il si difficile de déconnecter ?
Dans de nombreuses entreprises, les employés sont confrontés à l’inflation de la charge numérique et aux contraintes sociales et cognitives qui en découlent. Les périodes de congés sont par conséquent perçues comme une soupape permettant de prendre de distance, de favoriser la récupération et d’investir pleinement les autres sphères de vie (de Bloom et ses collaborateurs, 2009).
Le droit à la déconnexion ne se décrète pourtant pas si simplement. De nombreux employés maintiennent ainsi un lien numérique plus ou moins important avec leur employeur. Cette hyperconnexion est parfois subie, mais elle peut également être en partie volontaire. Certains salariés maintiennent ainsi le lien de leur propre chef par peur de manquer de réactivité ou de voir trop de requêtes s’accumuler pendant leur absence. L’étude récente de Chen et ses collaborateurs (2017) a par exemple démontré que 40% des professionnels utilisent leur smartphone à des fins professionnels pendant leurs vacances.
L’absence de déconnexion pendant les périodes de congés a de nombreux effets pervers. Elle impacte la sphère privée, favorise le stress chronique et nuit aux mécanismes biologiques et psychologiques de récupération (Park et ses collaborateurs, 2011).
Enfin, ces habitudes de travail maintiennent les individus dans un registre permanent de demande immédiate nuisant à la prise de recul et à la hiérarchisation des priorités. De plus en plus d’entreprises prennent conscience des effets pervers de l’hyperconnexion et affirment leur attachement au droit à la déconnexion. Pour favoriser ce principe, il est cependant nécessaire de mettre en œuvre un ensemble de pratiques concrètes.
Les clés pour favoriser pour une déconnexion réelle
1. Questionner la culture de l’immédiateté
Dans de nombreuses organisations, l’avènement des nouvelles technologies de la communication a instauré un contexte de demande immédiate permanente. L’accès en temps réel, à tout moment, aux demandes entrantes a fortement impacté les délais de réponse. Aujourd’hui, il est difficile de dissocier ce qui est urgent de ce qui ne l’est pas, et de nombreux employés se plaignent de devoir reléguer leurs tâches « de fond » sur des tranches horaires distales (début de matinée ou fin de journée), voire pendant les week-end et les congés, car ces moments sont les seuls où le flux numérique se calme suffisamment pour se consacrer à des tâches demandant du recul et de la concentration.
Chaque individu subit et contribue dans un même temps à cette situation complexe. Faire respecter le droit à la déconnexion passe dans un premier temps par la mise en débat de cet état de fait. En permettant une prise de recul collective sur ses fonctionnements et ses normes de segmentation (Kreiner, 2006) l’organisation fait ainsi un premier pas vers une évolution des pratiques en autorisant la remise en question des schémas profondément intégrés dans le quotidien.
2. Faire évoluer le management des flux de travail
Peu de managers adaptent leurs demandes et leurs prescriptions aux cycles de travail des employés, et notamment aux phases précédant ou suivant leur départ en congés.
Pourtant, une déconnexion sereine passe par la capacité des employés à clôturer sereinement les tâches en cours d’une part, et, d’autre part, par la possibilité de reprendre pied posément après les congés en prenant connaissance des informations et des tâches à accomplir transmises en leur absence.
Le fait d’encourager les managers à développer ces périodes tampon est par conséquent un axe de travail important. Il s’agira ainsi de diminuer les sollicitations et l’attribution de tâches pendant un temps à définir au regard de la nature de l’activité.
3. Clarifier les priorités et les délais
Dans de nombreuse organisation, la plupart des requêtes ne sont plus assorties de délais. Une tâche est ainsi considérée comme attribuée à un subordonné à partir du moment où elle lui a été notifiée.
Peu d’organisations prennent par ailleurs le temps de hiérarchiser le caractère urgent ou important des tâches à effectuer. Dans un tel environnement, il est compliqué de planifier correctement le travail et de différer des tâches de moindre importance, avant un départ en congés par exemple.
Une déconnexion de qualité dépend donc de la clarté des délais et des priorités, et de la latitude décisionnelle accordée aux employés pour s’organiser de la façon la plus adaptée.
A ce titre, plusieurs bonnes pratiques peuvent être encouragées :
- La hiérarchisation des priorités par familles de tâches au sein de chaque équipe
- La définition de délais de réponse moyens par familles de tâches
- La définition de plans de continuité de l’activité et de modalités de passage de relais entre employés lors des départs en vacances
- L’indication systématique des délais attendus lors de l’attribution d’une tâche, avec la possibilité de renégocier ce délai s’il n’est pas tenable.
4. Faire preuve d’exemplarité
La déconnexion au sein d’une organisation n’est possible que si chaque acteur, à commencer par la hiérarchie supérieure, s’astreint à respecter les pratiques préservant la sphère privée des employés.
Or, force est de constater que la pression de l’immédiateté est souvent dictée par cette même hiérarchie supérieure qui agit parfois comme si elle n’était pas concernée par les règles qui s’imposent aux autres.
A partir du moment où des déficits d’exemplarité existent, les règles en faveur de la déconnexion perdent toute leur crédibilité. La création d’organisations plus vertueuses passe donc avant tout par l’investissement réel des hauts dirigeants.
5. Encourager les bonnes pratiques individuelles et collectives
Au-delà des solutions organisationnelles précédemment décrites, la déconnexion passe également par de nouvelles habitudes individuelles de travail.
Plusieurs pratiques méritent ainsi d’être encouragées :
- Désactiver ses notifications pendant les périodes de congés.
- Ne pas répondre aux requêtes ou aux demandes entrantes pendant les périodes d’absence.
- Réduire l’envoi de messages et de requêtes à des collègues en congés, afin de ne pas les surcharger à leur retour, et différer tant que faire se peut les requêtes.
- Prendre le temps de transférer l’ensemble des tâches importantes en cours et de donner les informations utiles aux collègues qui prennent le relais.
Ces pratiques simples en apparence constituent des petites disciplines qui ont un impact réel sur la qualité de vie au travail de tous en favorisantle droit à la déconnexion.
En savoir plus :
Sur les bonnes pratiques managériales de régulation de l’usage des TIC
Sur la mise en œuvre du droit à la déconnexion (INRS)
Sur le droit à la déconnexion dans le droit du travail (Ministère du travail)
Bibliographie
Chen, C., Huang, W., Gao, J., & Petrick, J., F., (2017). Antecedents and Consequences of Work-Related Smartphone Use on Vacation: An Exploratory Study of Taiwanese Tourists. Journal of Travel Research, 57(6), 613– 633.
De Bloom, J., Kompier, M., Geurts, S., De Weerth, C., Taris, T., & Sonnentag, S. (2009). Do we recover from vacation? Meta-analysis of vacation effects on health and well-being. Journal of Occupational Health, 51, 13–25.
Kreiner, G. E. (2006). Consequences of work-home segmentation or integration: A person-environment fit perspective. Journal of Organizational Behavior, 27, 485-507.
Park, Y., Firtz, C., & S. M., Jex (2011). Relationships Between Work-Home Segmentation and Psychological Detachment From Work: The Role of Communication Technology Use at Home. Journal of Occupational Health Psychology, 16(4), 457– 467.
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